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que je travaille à mériter de vous offrir un hommage public; & cette heureuse occafion fuppléant en partie à ce que mes efforts n'ont pu faire, j'ai cru qu'il me feroit peranis de confulter ici le zele qui m'anime, plus que le droit qui devroit m'autorifer. Ayant eu le bonheur de naître parmi vous, comment pourrois-je méditer fur l'égalité que la Nature a mise entre les hommes & fur l'inégalité qu'ils ont inftituée, fans penfer à la profonde fageffe avec laquelle l'une & l'autre, heureusement combinées dans cet Etat, concourent de la maniere la plus approchante de la loi naturelle & la plus favorable à la fociété, au maintien de l'ordre public & au bonheur des particuliers? En recherchant les meilleures maximes que le bon fens puiffe dicter fur la conftitution d'un vernement, j'ai été fi frappé de les voir toutes en exécution dans le vôtre, que même fans être né dans vos murs, j'aurois cru ne pouvoir me difpenfer d'offrir ce tableau de la fociété humaine à celui de tous les Peuples qui me paroît en poffeder les plus grands avantages, & en avoir le mieux prévenus les abus.

gou

Si j'avois eu à choifir le lieu de ma naiffance, j'aurois choifi une fociété d'une gran deur bornée par l'étendue des facultés hu

maines, c'est-à dire, par la poffibilité d'être bien gouvernée, & où chacun fuffifant fon emploi, nul n'eût été contraint de commettre à d'autres les fonctions dont il étoit chargé: un Etat où tous les particuliers fe connoiffant entr'eux, les manoeuvres obfcu res du vice ni la modeftie de la vertu n'euf fent på fe dérober aux regards & au juge ment du Public, & où cette douce habi tude de fe voir & de fe connoître, fît de F'amour de la Patrie l'amour des Citoyens plutôt que celui de la terre.

J'aurois voulu naître dans un pays où lo Souverain & le peuple ne puffent avoir qu'un feul & même intérêt, afin que tous les mouvemens de la machine ne tendiffent jamais qu'au bonheur commun; ce qui ne pouvant fe faire à moins que le peuple & le Souverain ne foient une même perfonne, il s'enfuit que j'aurois voulu naître fous un gouvernement démocratique, fagement tempéré.

J'aurois voulu vivre & mourir libre, e'eft-à-dire, tellement foumis aux loix que ni moi ni perfonne n'en pût fecouer l'honora ble joug; ce joug falutaire & doux, que les têtes les plus fieres portent d'autant plus docilement qu'elles font faites pour n'en por

ter aucun autre.

J'aurois donc voulu que perfonne dans l'Etat n'eût pû fe dire au deffus de la loi, & que perfonne au dehors n'en pût imposer que l'Etat fût obligé de reconnoître car quelque puiffe être la conftitution d'un gou vernement, s'il s'y trouve un feul homme qui ne foit pas foumis à la loi, tous les autres font néceffairement à la difcrétion de celui-là; (*) &, s'il y a un chef national, & un autre chef étranger, quelque partage d'autorité qu'ils puiffent faire, il eft impof fible que l'un & l'autre foient bien obéis & que l'Etat foit bien gouverné.

Je n'aurois point voulu habiter une République de nouvelle inftitution, quelque bonnes loix qu'elle pût avoir: de peur que le gouvernement autrement conftitué peutêtre qu'il ne faudroit pour le moment, ne convenant pas aux nouveaux citoyens, ou les citoyens au nouveau gouvernement l'Etat ne fût fujet à être ébranlé & détruit prefque dès fa naiffance. Car il en est de la liberté comme de ces alimens folides & fucculens, ou de ces vins généreux, propres à nourrir & fortifier les tempéramens robuftes qui en ont l'habitude, mais qui accablent, ruïnent & enivrent les foibles & délicats qui n'y font points faits. Les Peuples une fois accoutumés à des Maîtres ne font

plus en état de s'en paffer. S'ils tentent de fecouer le joug, ils s'éloignent d'autant plus de la liberté que, prenant pour elle une li cence effrénée qui lai eft oppofée, leurs révolutions les livrent prefque toujours à des féducteurs qui ne font qu'aggraver leurs chafnes. Le Peuple Romain lui-même, ce mo dele de tous les Peuples libres, ne fut point: en état de fe gouverner en fortant de l'op preffion des Tarquins: avili par l'efclavage & les travaux ignominieux qu'ils lui a-voient impofés, ce n'étoit d'abord qu'une: stupide populace qu'il fallut ménager & gouverner avec la plus grande fageffe, afin que: s'accoutumant peu à peu à refpirer l'air falutaire de la liberté, ces ames énervées ou plutôt abruties fous la tyrannie, acquiffent par degrés cette févérité de meurs & cette Herté de courage qui en firent enfin le plus refpectable de tous les Peuples. J'aurois donc cherché pour ma patrie une heureufe & tranquille République dont l'ancienneté fe: perdît en quelque forte dans la nuit des tems; qui n'eût éprouvé que des atteintes propres à manifefter & affermir dans fes habitans le courage & l'amour de la Patrie, & où les Citoyens accoutumés de longue main à1 une fage indépendance, fuffent, non feule-ment libres, mais dignes de l'être..

J'aurois voulu me choifir une patrie,.détournée par une heureuse impuiffance du féroce amour des conquêtes, & garantie par une position encore plus heureufe de la crainte de devenir elle-même la conquête d'un autre Etat; une ville libre placée entre plufieurs Peuples dont aucun n'eût intérêt à l'envahir, & dont chacun eût intérêt d'empêcher les autres de l'envahir, eux - mêmes; une République, en un mot, qui ne tentât point l'ambition de fes voifins & qui pût raifonnablement conter fur leur fecours au be foin. Il s'enfuit que, dans une position fi heureuse, elle n'auroit eu rien à craindre que d'elle-même, & que fi fes citoyens s'étoient exercés aux armes, c'eût été plutôt pour entretenir chez eux cette ardeur guer riere & cette fierté de courage qui fied fi bien à la liberté & qui en nourrit le goût, que par la néceffité de pourvoir à leur propre défenfe.

J'aurois cherché un pays où le droit de légiflation fût commun à tous les citoyens: car qui peut mieux favoir qu'eux fous quelles conditions il leur convient de vivre enfemble dans une même fociété? Mais je n'aurois pas approuvé des Plébifcites femblables à ceux des Romains où les chefs de l'Etat & les plus intéressés à fa confervation étoient

exclus

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