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Lasse enfin des horreurs dont j'étois poursuivie,
J'allois prier Baal de veiller sur ma vie,

Et chercher du repos au pied de ses autels :
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des mortels!
Dans le temple des Juifs un instinct m'a poussée,
Et d'apaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée;

J'ai cru que

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des présens calmeroient son courroux, Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendroit plus doux, Pontife de Baal, excusez ma foiblesse.

J'entre le peuple fuit, le sacrifice cesse.

:

Le grand-prêtre vers moi s'avance avec fureur :
Pendant qu'il me parloit, ô surprise! ô terreur !
J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
Tel qu'un songe effrayant l'a peint à ma pensée.
Je l'ai vu son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux, et tous ses traits enfin ;
C'est lui-même. Il marchoit à côté du grand-prêtre;
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparoître.

Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,
Et sur quoi j'ai voulu tous deux vous consulter.

(RACINE. Athalie, act. II, sc. V.)

ARTICLE IV.

Mort d'Hippolyte.

A peine nous sortions des portes de Trézène;
Il étoit sur son char: ses gardes affligés
Imitoient son silence, autour de lui rangés.
Il suivoit tout pensif le chemin de Mycènes :
Sa main sur ses chevaux laissoit flotter les rênes,

Ses superbes coursiers, qu'on voyoit autrefois
Pleins d'une ardeur si noble obéir à sa voix,
L'œil morne maintenant et la tête baissée,
Sembloient se conformer à sa triste pensée.
Un effroyable cri, sorti du fond des flots,
Des airs, en ce moment, a troublé le repos ;
Et du sein de la terre une voix formidable
Répond, en gémissant, à ce cri redoutable.
Jusqu'au fond de nos cœurs notre sang s'est glacé,
Des coursiers attentifs le crin s'est hérissé.
Cependant, sur le dos de la plaine liquide,
S'élève à gros bouillons une montagne humide,
L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux,
Parmi des flots d'écume, un monstre furieux.
Son front large est armé de cornes menaçantes;
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes. ;
Indomptable taureau, dragon impétueux,
Sa croupe se recourbe en replis tortueux ;
Ses longs mugissemens font trembler le rivage,
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage.
La terre s'en émeut, l'air en est infecté,
Le flot qui l'apporta, recule épouvanté.

Tout fuit; et, sans s'armer d'un courage inutile,
Dans le temple voisin chacun cherche un asile,
Hippolyte lui seul, digne fils d'un héros,

Arrête ses coursiers, saisit ses javelots,

Pousse au monstre, et, d'un dard lancé d'une main sûre, Il lui fait dans le flanc une large blessure.

De

rage et de douleur le monstre bondissant

Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,

Se roule, et leur présente une gueule enflammée,
Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.
La frayeur les emporte, et, sourds à cette fois,
Ils ne connoissent plus ni le frein ni la voix.
En efforts impuissans leur maître se consume.
Ils rougissent le mors d'une sanglante écume.
On dit qu'on a vu même, en ce désordre affreux,
Un dieu, qui d'aiguillons pressoit leurs flancs poudreux.
A travers les rochers la peur les précipite.
L'essieu crie et se rompt. L'intrépide Hippolyte
Voit voler en éclats tout son char fracassé.
Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.
Excusez ma douleur. Cette image cruelle
Sera pour moi de pleurs une source éternelle.
J'ai vu, Seigneur, j'ai vu votre malheureux fils
Traîné par les chevaux que sa main a nourris.
Il veut les rappeler, et sa voix les effraic.

Ils courent. Tout son corps n'est bientôt qu'une plaie
De nos cris douloureux la plaine retentit.
Leur fougue impétueuse enfin se ralentit.

Ils s'arrêtent, non loin de ces tombeaux antiques,
Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.
Je cours, en soupirant, et sa garde me suit.
De son généreux sang la trace nous conduit.
Les rochers en sont teints : les ronces dégouttantes.
Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.

J'arrive, je l'appelle; et me tendant la main,
Il ouvre un œil mourant, qu'il referme soudain :
« Le ciel, dit-il, m'arrache une innocente vie.
» Prends soin, après ma mort, de la triste Aricie.

» Cher ami, si mon père un jour désabusé

» Plains le malheur d'un fils faussement accusé

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» Pour apaiser mon sang et mon ombre plaintive, >> Dis-lui qu'avec douceur il traite sa captive,

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Qu'il lui rende ».... A ce mot, ce héros expiré
N'a laissé dans mes bras qu'un corps défiguré ;
Triste objet où des dieux triomphe la colère,
Et que méconnoîtroit l'œil même de son père ! (1)

(RACINE. Phèdre. )

ARTICLE V.

La peste d'Égine.

UN mal contagieux d'abord frappe à la fois
La brebis au bercail, et le loup dans les bois;
Le chien meurt près de l'homme, et l'oiseau sous la nue.
Le triste laboureur, courbé sur sa charrue,
Voit le bœuf sans vigueur tomber dans le sillon.
L'agneau bêle, maigrit, sèche et perd sa toison.
Regrettant les combats, la palme et la carrière,
Le coursier généreux, couché sur la litière,
S'indigne de mourir d'une mort sans honneur.
Le sanglier féroce a perdu sa fureur;

L'ours affreux, des troupeaux ne trouble plus l'empire.
Le cerf ne bondit plus : tout languit, tout expire.
Dans les champs, dans les bois, sur les chemins, partout,
On ne voit que la mort, l'horreur et le dégoût.

(1) On a dit que ce magnifique récit étoit déplacé dans la situation où se trouvent et celui qui le fait, et celui qui l'écoute ; cela peut être vrai mais de combien de beautés, et de beautés de tout

:

serions privés, si l'auteur eût pensé comme ses critiques!

genre, nous

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Que dis-je? les vautours, les chiens, les loups avides-
N'oseut même approcher de ces restes livides;
Et ce venin de mort, par les vents emporté,
Répand dans l'air infect un air plus infecté.
De la contagion l'homme a senti l'atteinte,
Et des vastes cités elle habite l'enceinte.
Le visage est d'abord rouge de feux ardens,
Symptômes du venin qui s'allume au dedans.

La langue se dessèche, et la bouche avec peine
Aspire en haletant une fiévreuse haleine.

Le lit irrite encor ce feu contagieux.

O que le moindre voile est un poids odieux!
Nu, couché sur la dure on s'étend sur la terre,,

Et

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sans se rafraîchir, on échauffe la pierre.

Rien n'arrête le cours de ce fléau fatal:

Le médecin lui-même est victime du mal.

L'ami, pour prix des soins de l'ami qui lui reste,
Lui laisse du tombeau l'héritage funeste.

Plus d'espoir de salut ; tous, dans leur dernier sort,
Pour remède à leurs maux n'attendent que la mort.
Nul ne veut s'abstenir, nul ne veut se contraindre ;
Comme ils n'espèrent plus, ils ne peuvent plus craindre.
Ils vont nus sans pudeur, près des sources conduits,
Se plonger dans un fleuve, ou sur le bord des puits
Pencher avidement leur tête appesantie.

Là, leur soif à la fin s'éteint avec leur vie ;
Et l'onde, où, las de boire, ils tombent expirans,
De flots chargés de morts abreuvent les mourans.
Le repos de leur lit est pour eux un supplice :
Comme si de leurs maux leur maison fût complice,.
Ils quittent furieux leur couche de douleurs,
Se roulent sur la terre, et vont mourir ailleurs.

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