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Ces cordes qui attachent donc le respect à tel et tel en particulier, sont des cordes d'imagination.

63.

2

Nous sommes si malheureux que nous ne pouvons prendre plaisir à une chose qu'à condition de nous fâcher si elle réussit mal; ce que mille choses peuvent faire, et font à toute heure. Qui aurait trouvé le secret de se réjouir du bien sans se fâcher du mal contraire, aurait trouvé le point. C'est le mouvement perpétuel '.

ARTICLE VII.

1.

A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes.

2.

Diverses sortes de sens droit'; les uns dans un certain ordre de choses, et non dans les autres ordres, où ils extravaguent. Les uns tirent bien les conséquences de peu de principes, et c'est une droiture de sens. Les autres tirent bien les conséquences des choses où il y a beaucoup de principes. Par exemple, les uns comprennent bien les effets de l'eau, en quoi il y a peu de principes; mais les conséquences en sont si fines, qu'il n'y a qu'une extrême droiture d'esprit qui y puisse aller; et ceux-là ne seraient peut-être pas pour cela grands géomètres, parce que la géométrie comprend un grand nombre de principes', et qu'une nature d'esprit peut être telle qu'elle

1 • Qui attachent donc. » Ce donc serait mieux placé à la fin de la phrase: sont donc des cordes. On lit encore dans le manuscrit, page 165: « Comme les duchés » et royautés et magistratures sont réels et nécessaires, à cause de ce que la force » règle tout, il y en a partout et toujours. Mais parce que ce n'est que fantaisie qui » fait qu'un tel ou telle le soit [soit duc, roi, etc.], cela n'est pas constant, cela >> est sujet à varier, etc. >>

2 « Nous sommes si malheureux. » 67. P. R, xxIx.

3

« C'est le mouvement perpétuel. » Je pense que Pascal veut dire que cela est aussi impossible à trouver que le mouvement perpétuel.

A mesure qu'on a plus d'esprit. » 213. P. R., XXXI.

« Diverses sortes de sens droit. » 243. P. R., XXXI. — « Les uns dans un certain ordre. » C'est-à-dire les uns ont le sens droit dans un certain ordre, etc. 6 « En quoi il y a peu de principes. » Il s'agit de principes de déduction, axiomes, définitions, théorèmes.

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« Un grand nombre de principes. » Non pas principes primitifs, ils seraient en fort petit nombre, mais définitions ou propositions qui, bien que reposant elles

puisse bien pénétrer peu de principes jusqu'au fond, et qu'elle ne puisse pénétrer le moins du monde les choses où il y a beaucoup de principes.

Il y a donc deux sortes d'esprits : l'une, de pénétrer vivement et profondément les conséquences des principes, et c'est là l'esprit de justesse1; l'autre, de comprendre un grand nombre de principes sans les confondre, et c'est là l'esprit de géométrie. L'un est force et droiture d'esprit, l'autre est amplitude d'esprit 2. Or l'un peut être sans l'autre, l'esprit pouvant être fort et étroit, et pouvant être aussi ample et faible.

DIFFÉRENCE Entre l'esprit de géométrie et L'Esprit de finesse.

En l'un3, les principes sont palpables, mais éloignés de l'usage commun; de sorte qu'on a peine à tourner la tête de ce côté-là, manque d'habitude: mais pour peu qu'on s'y tourne, on voit les principes à plein; et il faudrait avoir tout à fait l'esprit faux pour mal raisonner sur des principes si gros qu'il est presque impossible qu'ils échappent.

Mais dans l'esprit de finesse, les principes sont dans l'usage commun et devant les yeux de tout le monde. On n'a que faire de tourner la tête ni de se faire violence. Il n'est question que d'avoir bonne vue, mais il faut l'avoir bonne; car les principes sont si déliés et en si grand nombre', qu'il est presque impossible qu'il n'en échappe. Or, l'omission d'un principe mène à l'erreur : ainsi, il faut avoir la vue bien nette pour voir tous les principes, et ensuite l'esprit juste pour ne pas raisonner faussement sur des principes connus.

mêmes sur d'autres, n'en sont pas moins des principes dont on a besoin pour ce qu'on veut démontrer. Pour résoudre un tel problème en géométrie, il faut savoir la géométrie tout entière. Pour comprendre les effets de l'eau, il suffit de savoir observer, mais cette observation est bien difficile.

1

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L'esprit de justesse. » Pascal ne croyait donc pas qu'il a'y eût de justesse que dans la méthode géométrique. Il pensait que tel esprit très-lucide et très-rigoureux en géométrie pouvait extravaguer ailleurs.

2

« L'autre est amplitude d'esprit. » L'autre se rapporte à l'esprit géométriquo. 3 « En l'un. » En l'esprit de géométrie 405. P. R., xxx1.

« Et en si grand nombre. » Il semble bien que l'esprit de finesse est le même qui est appelé esprit de justesse dans le fragment qui précède; cependant il était dit dans ce fragment que cet esprit s'exerce sur peu de principes, et nous lisons maintenant que ces principes sont en très-grand nombre. Je pense que la contradiction n'est qu'apparente. Il s'agissait tout à l'heure de principes logiques abstraits et généraux, il s'agit maintenant de principes moins reculés, qui ne sont autre chose que des faits d'observation, soit physique, soit morale.

Tous les géomètres seraient donc fins s'ils avaient la vue bonne', car ils ne raisonnent pas faux sur les principes qu'ils connaissent; et les esprits fins seraient géomètres s'ils pouvaient plier leur vue vers les principes inaccoutumés de géométrie.

Ce qui fait donc que de certains esprits fins ne sont pas géomètres, c'est qu'ils ne peuvent du tout se tourner vers les principes de géométrie; mais ce qui fait que des géomètres ne sont pas fins, c'est qu'ils ne voient pas ce qui est devant eux; et qu'étant accoutumés aux principes nets et grossiers 2 de géométrie, et à ne raisonner qu'après avoir bien vu et manié leurs principes, ils se perdent dans les choses de finesse, où les principes ne se laissent pas ainsi manier. On les voit à peine3, on les sent plutôt qu'on ne les voit; on a des peines infinies à les faire sentir à ceux qui ne les sentent pas d'eux-mêmes ce sont choses tellement délicates et si nombreuses, qu'il faut un sens bien délicat et bien net pour les sentir, et juger droit et juste selon ce sentiment, sans pouvoir le plus souvent les démontrer par ordre comme en géométrie, parce qu'on n'en possède pas ainsi les principes, et que ce serait une chose infinie de l'entreprendre. Il faut tout d'un coup voir la chose d'un seul regard, et non pas par progrès de raisonnement, au moins jusque un certain degré. Et ainsi il est rare que les géomètres soient fins, et que les fins soient géomètres, à cause que les géomètres veulent traiter géométriquement ces choses fines, et se rendent ridicules, voulant commencer par les définitions et ensuite par les principes, ce qui n'est pas la manière d'agir en cette sorte de raisonnement. Ce n'est pas que l'esprit ne le fasse; mais il le fait tacitement, naturellement et sans art, car l'expression en passe tous les hommes, et le sentiment n'en appartient qu'à peu d'hommes.

1 «S'ils avaient la vue bonne. » Quelle admirable netteté dans cette analyse! 2 « Et grossiers. » Pour parler ainsi de ces abstractions, si cachées à plusieurs, mais en effet si grosses d'évidence quand on les a comprises, il fallait un géomètre bien détaché de son art, et qui s'y sentit supérieur. Les principes de géométrie sont comme les ressorts et les roues d'une machine; ceux de l'esprit de finesse sont comme les forces insaisissables dont le jeu compose la mécanique merveilleuse d'un corps vivant.

3 « On les voit à peine. » Les choses de finesse.

« D'un seul regard. » Le philosophe est celui qui voit ainsi; le philosophe est donc autre chose que le géomètre.

5 << En passe tous les hommes. » C'est pourquoi on n'a jamais pu trouver cette langue philosophique que tant d'analystes ont cherchée, et qui devait exprimer si nettement les choses morales, qu'il ne pourrait plus y avoir matière à désaccord entre les hommes, puisque la philosophie serait une algèbre infaillible. Ceux qui ont cru à une telle algèbre n'avaient pas médité ces réflexions de Pascal.

Et les esprits fins, au contraire, ayant ainsi accoutumé à juger d'une seule vue, sont si étonnés quand on leur présente des propositions où ils ne comprennent rien, et où pour entrer il faut passer par des définitions et des principes si stériles, qu'ils n'ont point accoutumé de voir ainsi en détail, qu'ils s'en rebutent et s'en dégoûtent. Mais les esprits faux ne sont jamais ni fins ni géomètres. Les géomètres qui ne sont que géomètres ont donc l'esprit droit, mais pourvu qu'on leur explique bien toutes choses par définitions et principes; autrement ils sont faux et insupportables, car ils ne sont droits que sur les principes bien éclaircis. Et les fins qui ne sont que fins' ne peuvent avoir la patience de descendre jusque dans les premiers principes des choses spéculatives et d'imagination', qu'ils n'ont jamais vues dans le monde, et tout à fait hors d'usage.

3.

Les exemples qu'on prend pour prouver d'autres choses, si on voulait prouver les exemples, on prendrait les autres choses pour en être les exemples; car, comme on croit toujours que la difficulté est à ce qu'on veut prouver, on trouve les exemples plus clairs et aidant à le montrer. Ainsi, quand on veut montrer une chose générale, il faut en donner la règle particulière d'un cas mais si on veut montrer un cas particulier, il faudra commencer par la règle générale. Car on trouve toujours obscure la chose qu'on veut prouver, et claire celle qu'on emploie à la preuve : car, quand on propose une chose à prouver, d'abord on se remplit de cette imagination qu'elle est donc obscure, et, au contraire, que celle qui doit la prouver est claire, et ainsi on l'entend' aisément.

1 « Accoutumé à. » La Fontaine a dit : « Ce cerf n'avait pas accoutumé de lire. » Plus loin, Pascal lui-même : « Qu'ils n'ont point accoutumé de voir. »

2 « Car ils ne sont droits. » Pascal lui-même n'a-t-il pas péché plus d'une fois en donnant trop à l'esprit de géométrie et aux principes, et pas assez à l'esprit de finesse et au sens des choses?

3

« Que fins. >> Pascal pense ici à Méré. Voir ci-après, page 452, note 1.

4 << Et d'imagination. » C'est-à-dire d'abstraction, par opposition à la réalité. · Sur ces deux esprits, cf. 34, et l'opuscule intitulé De l'esprit géométrique. 5 « Les exemples qu'on prend. » 134. P. R., xxxI.

« Il faut en donner. » C'est-à-dire il faut donner la règle particulière d'un cas de cette chose générale.

7 « Et ainsi on l'entend. » Celle qui doit la prouver.

4.

Tout notre raisonnement' se réduit à céder au sentiment 2. Mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment', de sorte qu'on ne peut distinguer entre ces contraires. L'un dit que mon sentiment est fantaisie, l'autre que sa fantaisie est sentiment. Il faudrait avoir une règle. La raison s'offre, mais elle est ployable à tous sens; et ainsi il n'y en a point.

5.

Ceux qui jugent d'un ouvrage par règle' sont, à l'égard des autres, comme ceux qui ont une montre à l'égard des autres. L'un dit: Il y a deux heures; l'autre dit: Il n'y a que trois quarts d'heure. Je regarde ma montre; je dis à l'un : Vous vous ennuyez; et à l'autre : Le temps ne vous dure guère; car il y a une heure et demie, et je me moque de ceux qui disent que le temps me dure à moi, et que j'en juge par fantaisie : ils ne savent pas que je juge par ma montre'.

1 a Tout notre raisonnement. » 130. P. R., XXXI.

2 « Au sentiment. » Pascal entend par là une sorte de sens et d'évidence intérieure par où nous saisissons la vérité sans l'intermédiaire d'une démonstration, non-seulement en fait de morale, où c'est ce qu'on nomme la conscience, mais en toutes choses. Il appelle sentiment la conception à priori des premiers principes, ou, comme on dit aujourd'hui, des idées pures; il va jusqu'à dire que nous les connaissons par le cœur: « Le cœur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et » que les nombres sont infinis, et la raison démontre ensuite, » etc. (VII, 1, p. 128). Pour la fantaisie, c'est la sensibilité variable de chacun.

3 « Semblable et contraire au sentiment. » P. R. ajoute: « Semblable parce qu'elle »> ne raisonne point, contraire parce qu'elle est fausse. » C'est une glose introduite dans le texte; mais la fantaisie n'est pas contraire au sentiment seulement parce qu'elle est fausse; elle l'est d'abord en ce qu'elle est relative et changeante, tandis que le sentiment ou l'intuition pure est quelque chose d'universel et d'absolu.

4 « La raison s'offre. » Comme tous ces tours sont animés et dramatiques! Il est clair que la raison n'est pas ici ce qu'on nomme dans nos écoles la raison pure (cette raison pure n'est autre chose que le sentiment dont parle Pascal), mais simplement la faculté par laquelle on réfléchit et on raisonne.

5 « Mais elle est ployable. » Montaigne, Apol., page 255: « C'est un instrument de >> plomb et de cire, alongeable, ployable et accommodable à tous biais et à toutes » mesures. >> -« Il n'y en a point. » Il n'y a point de règle.

Ceux qui jugent d'un ouvrage. » 137. P. R., xxxI.

7 « Par règle. » Il y a dans le manuscrit sans règle; mais cela est contre le sens de la phrase.

« Je juge par ma montre. » Cette pensée forme comme une petite scène. Pascal avait donc une montre en critique; il aurait dù nous dire comment il la réglait. Voltaire dit : « C'est le goût qui tient lieu de montre, et celui qui ne juge que par » règle en juge mal. » Mais la montre de Pascal n'est sans doute que le principe même du goût, la raison; c'est la même que celle d'Horace: Scribendi recte, sapere est el principium et fons. Sa règle est de parler juste: cf. 22.

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