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6.

Il y en a qui parlent bien1 et qui n'écrivent pas bien. C'est que le lieu, l'assistance les échauffent, et tirent de leur esprit plus qu'ils n'y trouvent sans cette chaleur.

7.

Ce que Montaigne a de bon2 ne peut être acquis que difficilement. Ce qu'il a de mauvais (j'entends hors les mœurs) eût pu être corrigé en un moment, si on l'eût averti qu'il faisait trop d'histoires, et qu'il parlait trop de soi".

5

8.

Il est fâcheux d'être dans l'exception de la règle. Il faut même être sévère, et contraire à l'exception. Mais néanmoins, comme il est certain qu'il y a des exceptions de la règle, il en faut juger sévèrement, mais justement.

6

9.

Qu'on ne dise pas que je n'ai rien dit de nouveau; la disposition des matières est nouvelle. Quand on joue à la paume, c'est une même balle dont on joue l'un et l'autre ; mais l'un la place mieux'.

1

« Il y en a qui parlent bien. » 145. P. R., XXXI.

2

« Ce que Montaigne a de bon. » 440. Manque dans P. R.

3 « J'entends hors les mœurs. » Cf. xxiv, 24.

il est

4 « Et qu'il parlait trop de soi. » En supposant que ce soit là un défaut, permis de croire que Montaigne ne s'en serait pas corrigé en un moment. Cf. vi, 33. Il n'aurait pas non plus renoncé volontiers à ses histoires, à voir la manière dont il en parle (1, 39, p. 433). Cf. le Discours sur la vie et les ouvrages de Montaigne, pages 89-90, dans l'édition de M. J. V. Le Clerc.

D

5 << Il est fâcheux. » 441. En titre : Miracles. P. R., XXXI. Cette pensée se rapporte à la suite des fragments sur les miracles qui forment l'article XXIII dans cette édition voir cet article. Pascal veut dire que, lorsque Port Royal se vante d'avoir été l'objet d'un miracle (celui de la sainte Épine), il se place dans l'exception, car un miracle en ce temps est l'exception et non la règle. Donc on doit contrôler sévèrement ce miracle; mais, une fois bien contrôlé, il faut avoir la justice de le reconnaître. P. R. a rendu ce fragment inintellig ble en le déplaçant.

« Qu'on ne dise pas. » 431. Manque dans P. R. Il semble que Pascal se défend ici par avance contre une critique chagrine et paradoxale, qui est allée jusqu'à accuser les Pensées de n'être qu'un plagiat perpétuel et une pure compilation. P. R. a supprimé ce fragment, qui laissait voir dans le chef des saints du jansénisme l'amour-propre d'auteur. Mais lui-même avoue ailleurs de bonne grâce qu'il veut avoir la gloire d'avoir bien écrit (11, 3).

7 « La place mieux. » Aucun écrivain ancien ou moderne, aucun au monde, n'a su placer la balle aussi bien que Pascal, « l'homme de ia terre, a dit Vauvenargues, » qui savait mettre la vérité dans un plus beau jour, et raisonner avec plus de force.>> (Réflexions critiques sur quelques poëtes, 9.)

J'aimerais autant qu'on me dit que je me suis servi des mots anciens. Et comme si1 les mêmes pensées ne formaient pas un autre corps de discours par une disposition différente2, aussi bien que les mêmes mots forment d'autres pensées par leur différente disposition.

10.

On se persuade mieux, pour l'ordinaire, par les raisons qu'on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues dans l'esprit des autres.

11.

L'esprit croit naturellement, et la volonté aime naturellement ; de sorte que, faute de vrais objets, il faut qu'ils s'attachent aux faux.

12.

Ces grands efforts d'esprit où l'âme touche quelquefois, sont choses où elle ne se tient pas. Elle y saute seulement, non comme sur le trône, pour toujours, mais pour un instant seulement.

13.

L'homme n'est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête.

« Et comme si. Cet et n'annonce pas un nouvel argument, mais une nouvelle manière de le présenter.

a

2 « Par une disposition différente. » Ajoutons qu'il s'en faut bien que ce soit là toute l'originalité de Pascal. Il est plein d'invention de détail, d'analyses et d'observations neuves, comme celle, par exemple, qui se trouve dans cette phrase, et celle qu'on va lire, et tant d'autres.

3 « On se persuade mieux. » 201. P. R., XXIX. M. Joubert a repris ainsi cette pensée « On peut convaincre les autres par ses propres raisons, mais on ne les >> persuade que par les leurs. D

L'esprit croit naturellement. » 423. P. R., XXXI. C'est-à-dire la nature de l'esprit est de croire, et celle de la volonté est d'aimer.

5 « Ces grands efforts d'esprit, etc. » 269. P. R., XXXI. Pascal avait dans l'esprit le chapitre 29 du second livre des Essais (de la Vertu): « Ie treuve par experience » qu'il y a bien à dire entre les boutees et saillies de l'ame, ou une résolue et con>> stante habitude, » etc. Cf. vi, 27.

6 « L'homme n'est ni ange. » 427. Manque dans P. R. P. R. a craint de scandaliser en défendant de faire l'ange; car n'est-ce pas ce que font les saints? Montaigne, III, 43, page 228: « Ils veulent se mettre hors d'eulx et eschapper à l'homme, » c'est folie: au lieu de se transformer en anges, ils se tranforment en bestes; au lieu » de se haulser, ils s'abattent. » Et III, 2, page 180: « Ma conscience se contente » de soy, non comme de la conscience d'un ange ou d'un cheval, mais comme de » la conscience d'un homme. »>

14.

En sachant la passion1 dominante de chacun, on est sûr de lui plaire; et néanmoins chacun a ses fantaisies, contraires à son propre bien, dans l'idée même qu'il a du bien; et c'est une bizarrerie qui met hors de gamme 2.

15.

Les bêtes ne s'admirent point'. Un cheval n'admire point son compagnon. Ce n'est pas qu'il n'y ait entre eux de l'émulation à la course, mais c'est sans conséquence; car, étant à l'étable, le plus pesant et plus mal taillé ne cède pas son avoine à l'autre, comme les hommes veulent qu'on leur fasse. Leur vertu se satisfait d'ellemême.

16.

Comme on se gâte l'esprit, on se gâte aussi le sentiment. On se forme l'esprit et le sentiment par les conversations'. On se gâte l'esprit et le sentiment par les conversations. Ainsi les bonnes ou les mauvaises le forment ou le gâtent. Il importe donc de tout' de bien savoir choisir, pour se le former et ne point le gâter; et on ne peut faire ce choix, si on ne l'a déjà formé et point gâté. Ainsi cela fait un cercle, d'où sont bienheureux ceux qui sortent.

17.

Lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes, comme, par

2

1 «En sachant la passion. » 381. P. R., XXXI.

Hors de gamme. Cette expression ne s'emploie plus ni au propre ni au figuré.

3

« Les bêtes ne s'admirent point. » 429: en titre, Gloire. Manque dans P. R. « Veulent qu'on leur fasse.» Les moralistes, en faisant la satire de l'homme, ont souvent employé ce tour, qui consiste à lui opposer les bêtes comme plus sages. Voir la satire de l'Homme dans Boileau, et l'article Égalité du Dictionnaire philosophique, première section, où Voltaire tourne en vers la même idée à peu près qui est dans ce fragment de Pascal.

5 « Comme on se gâte l'esprit. » 51. P. R., XXXI.

6 « Par les conversations. » Montaigne, III, 8 (De l'art de conferer), page 412: « Mais comme nostre esprit se fortifie par la communication des esprits vigoreux et » reglez, il ne se peult dire combien il perd et s'abastardit par le continuel com» merce et frequentation que nous avons avecques les esprits bas et maladifs ; il » n'est contagion qui s'espande comme celle-là »>

1 « Il importe donc de tout. » On dit encore de tout point, on ne dit plus de tout, 8 « Lorsqu'on ne sait pas. » 443. P. R., XXXI.

exemple, la lune, à qui on attribue le changement des saisons', le progrès des maladies, etc. Car la maladie principale de l'homme est la curiosité inquiète des choses qu'il ne peut savoir; et il ne lui est pas si mauvais d'être dans l'erreur2, que dans cette curiosité inutile.

La manière d'écrire3 d'Épictète, de Montaigne et de Salomon de Tultie, est la plus d'usage, qui s'insinue le mieux, qui demeure plus dans la mémoire, et qui se fait le plus citer, parce qu'elle est toute composée de pensées nées sur les entretiens ordinaires de la vie; comme quand on parlera de la commune erreur qui est parmi le monde, que la lune est cause de tout, on ne manquera jamais de dire que Salomon de Tultie dit que, lorsqu'on ne sait pas la vérité d'une chose, il est bon qu'il y ait une erreur commune, etc., qui est la pensée ci-dessus.

18.

Si le foudre tombait sur les lieux bas, etc.', les poëtes, et ceux qui ne savent raisonner que sur les choses de cette nature, manqueraient de preuves'.

1 « Le changement des saisons. » Saisons est pris ici dans le sens du latin tempestates; Pascal veut dire les changements de temps, comme à mis P. R.

2

« D'être dans l'erreur. » N'est-ce pas là une faiblesse que le philosophe doit combattre, au lieu de l'autoriser?

3 La manière d'écrire. » 444. Manque dans P. R.

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4 « Et de Salomon de Tultie. »> « Nos recherches, dit M. Faugère, et celles de >> plusieurs érudits n'ayant pu nous procurer aucune notion sur Salomon de Tullie, >> nous supposons que madame Perier, de la main de laquelle ce passage se trouve écrit » dans le manuscrit, aura altéré le nom de l'écrivain cité par Pascal.... » Ce nom est tracé très-distinctement, et à deux fois; mais en supposant que madame Perier se soit trompée, quel autre nom faudra-t il mettre à la place? On n'en trouve aucun dans l'histoire littéraire qui convienne ici. Comment Pascal, qui semble avoir si peu lu, lisait-il un écrivain que personne ne connaît, et qu'il nomme à côté d'Epictete et de Montaigne? On serait tenté de croire que Salomon de Tultie n'est qu'un pseudonyme, un ami de Pascal, par exemple, qui lui avait soumis quelque recueil de pensées, où Pascal avait remarqué celle qu'il cite. Ou qui sait si ce n'est pas luimême que Pascal désigne ainsi?

5 a Toute composée de pensées. » Cette manière est bien celle de Pascal.

"

6 « Si le foudre tombait, etc. » 273. Manque dans P. R. Foudre s'employait alors et au masculin et au féminin.

Ces foudres impuissants qu'en leurs mains vous peignez.
(CORNEILLE, Polyeucte.)

7 « Sur les lieux bas, etc. » Cet etc. indique d'autres suppositions semblables qu'on pourrait faire.

8 «

Manqueraient de preuves. » Pourquoi? Au lieu de dire que les grands sont plus exposés aux catastrophes comme les sommets à la foudre, ils diraient, par exemple, que le sage, ayant l'âme élevée, est inaccessible au malheur, qu'au contraire les âmes basses et vulgaires en sont nécessairement atteintes, comme la foudre

19.

Le cœur a son ordre1; l'esprit a le sien, qui est par principes et démonstrations; le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu'on doit être aimé, en exposant d'ordre les causes de l'amour cela serait ridicule 2.

:

Jésus-Christ, saint Paul ont l'ordre de la charité', non de l'esprit; car ils voulaient échauffer, non instruire. Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui a rapport à la fin, pour la montrer toujours.

20.

Masquer la nature et la déguiser. Plus de roi, de pape, d'évèques'; mais auguste monarque, etc.; point de Paris; capitale du royaume. Il y a des lieux où il faut appeler Paris Paris, et d'autres où il le faut appeler capitale du royaume.

ne frappe que les lieux bas, etc. Descartes écrivait au P. Mersenne, en janvier 1647: « Vous me mandiez dans votre précédente que les prédicateurs sont contraires à >> ma philosophie, à cause qu'elle leur fait perdre leurs belles comparaisons touchant » la lumière; mais s'ils y veulent penser, ils en pourront tirer de plus belles de » mes principes, » etc.

1 « Le cœur a son ordre. » 13. P. R., XXXI. En titre dans le manuscrit : L'ordre. Contre l'objection que l'Écriture n'a pas d'ordre.

2

« Cela serait ridicule. » Montaigne, III, 5, page 364: Amor ordinem nescit. C'est un passage de saint Jérôme (lettre à Chromatius, Jovinus et Eusèbe, à la fin): Præproperus sermo, confusa turbatur oratio; am. ord. n.

3 « De la charité. » Cf. XVI, 43.

α « A la digression sur chaque point. » C'est-à-dire à s'étendre sur chaque chose qui peut exciter le sentiment que l'on a pour fin de produire, sans s'attacher à suivre le fil du raisonnement.

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6

7

8

Masquer la nature. » 213. P. R., xxxi.

« De pape, d'évêques. » P. R. a supprimé ces mots, et ensuite l'etc.

« Des lieux. » C'est-à-dire des endroits dans le discours.

« Capitale du royaume. » On trouve dans la correspondance du chevalier de Méré une lettre de Miton a Méré (lettre 175), où les mêmes principes de goût sont développés fort longuement: « Je viens d'examiner un auteur qui loue Charles-Quint » de ce qu'en cette grande bataille, où il s'agissait d'assujettir l'Allemagne, malgré » les douleurs de la goutte, dont il était ce jour-là si cruellement tourmenté, il se > fit lier sur son cheval, sans sortir de la bataille qu'il ne l'eût gagnée. Et l'auteur, >> pensant relever cette action, appelle toujours Charles-Quint ce grand empereur. » Mais il me semble qu'il eût été beaucoup mieux de le nommer simplement Charles, » parce que grand empereur le cache sous ce nom [c'est à peu près l'expression de » Pascal, masquer la nature], et amuse ainsi l'imagination, au lieu que Charles le » montre à découvert, et fait voir plus clairement que c'est lui. Et de plus, quand on dit que Charles méprise la douleur et la mort pour l'ambition, on dit de lui de >> plus grandes choses que si on disait, ce grand empereur: car il est bien plus » grand à Charles, qui est simplement un homme, de mépriser la mort et la douleur, » qu'il ne l'est à un grand empereur, dont le métier est de mépriser tout pour la » gloire. Sur quoi il me vient dans l'esprit que, si le même auteur eût voulu parler

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