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vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers 2.

Qui démêlera cet embrouillement3? La nature confond les pyrrhoniens, et la raison confond les dogmatiques. Que deviendrezvous done", ô homme! qui cherchez quelle est votre véritable condition par votre raison naturelle? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes, ni subsister dans aucune.

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« Cloaque d'incertitude et d'erreur. » Arnauld a eu peur de cette image énergique, et a substitué de sa main amas d'incertitude, leçon donnée par tous les anciens éditeurs.

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« Gloire et rebut de l'univers. » Pascal pousse son antithèse passionnée; mais, quand l'homme serait incapable de vrai, i ne serait pas encore le rebut de l'univers; car qui donc, dans l'univers, en serait plus capable? M. Faugère (Pensées choisies de Pascal, page 225) demande si Bossuet avait connu ce passa e quand il a dit : O Dien! qu'est-ce donc que l'homme? Est-ce un prodige? est-ce un composé >> monstrueux de choses incompatibles? Ou bien est-ce une énigme inexplicable? » (Sermon pour la profession de madame de La Vallière.) La réponse n'est pas douteuse, puisque ce sermon n'a été prononcé qu'en 1675, tandis que la première édition des Pensées est de 1670. D'ailleurs tout le développement au milieu duquel se trouve cette phrase paraît inspiré par Pascal. Voir plus loin la note sur les mots : Inconcevable à l'homme.

3 « Qui démêlera cet embrouillement. » Au lieu de ce qui suit dans le texte, voici ce que Pascal avait écrit d'abord, et qu'il a barré : « Qui démêlera cet embrouille>>ment? Certainement cela passe dogmatisme et pyrrhonisme, et toute la philosophie » humaine. L'homme passe l'homme. Qu'on accorde donc aux pyrrhoniens ce qu'ils >>ont tant crié que la vérité n'est pas de notre portée et de notre gibier, qu'elle ne » demeure pas en terre, qu'elle est domestique du ciel [être domestique, d'après » l'étymologie, c'est être de la maison]; qu'elle loge dans le sein de Dieu, et que >> l'on ne la peut connaître qu'à mesure qu'il lui plaît de la révéler. Apprenons donc » de la vérité incréée et incarnée notre véritable nature. » Ce qu'on lit dans le texte est bien supérieur par la précision et par la verve; Pascal n'a conservé que ces belles paroles: L'homme passe l'homme, qui ont été reportées plus loin. Du reste, ce sont les mêmes idées et la même marche, et on peut saisir là le travail que Pascal faisait subir à sa pensée en écrivant. On lit dans une lettre de Brienne qu'il avait refait la dix-huitième Provinciale jusqu'à treize fois. Sur ces mots, de notre gibier, voir Montaigne : De l'art de conferer, III, 8, p. 423 : « L'agitation et la >> chasse est proprement de notre gibier, nous ne sommes pas excusables de la con» duire mal et impertinemment. De faillir à la prinse, c'est aultre chose; car nous » sommes nayz à quester la verité, il appartient de la posseder à une plus grande >> puissance.

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« La nature confond les pyrrhoniens. » Il avait mis d'abord : « On ne peut être >> pyrrhonien sans étouffer la nature, on ne peut être dogmatiste sans renoncer à la raison. » Cela était moins vif, et même moins juste; car les dogmatiques ne renoncent pas précisément à la raison, mais ils l'ont contre eux, suivant Pascal. Il écrit ici les dogmatiques; plus haut, les dogmatistes.

5 « Que deviendrez-vous donc. » Que cette apostrophe est vive! comme il triomphe de cet embarras !

6 « Vous ne pouvez fuir une de ces sectes. » C'est-à-dire vous ne pouvez éviter de tomber dans une ou l'autre de ces sectes; cir, si vous n'êtes pas dogmatique, vous êtes pyrrhonien, et au rebours. Et vous ne pouvez pourtant non plus vous tenir ni à l'une ni à l'autre.

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Connaissez donc, superbe ', quel paradoxe 2 vous êtes à vousmême. Humiliez-vous 3, raison impuissante; taisez-vous, nature imbécile : apprenez que l'homme passe infiniment l'homme, et entendez de votre maître votre condition véritable que vous ignorez. Écoutez Dieu.

Car enfin, si l'homme n'avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l'homme n'avait jamais été que corrompu, il n'aurait aucune idée ni de la vérité ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s'il n'y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur, et ne pouvons y arriver; nous sentons une image de la vérité, et ne possédons que le mensonge incapables d'ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus!

Chose étonnante cependant, que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit

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>> C'est un maître qui gourmande. Ce qu'il avait « Connaissez donc, superbe. Les éditeurs de P. R. mis d'abord, Apprenons donc, est froid en comparaison. ont transporté ceci, comme une pensée isolée, au titre 111 de leur édition. Bossut, Ile partie, v, 3.

2 A

3

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Quel paradoxe. » Paradore, de napà dóžav, contre la vraisemblance.

« Humiliez-vous. » L'epithète de superbe appelait cela.

« Taisez-vous, nature imbécile. » Cette âpre éloquence, ces emportements, c'est Pascal tout entier, aussi impitoyable contre la nature humaine qu'il l'a été contre les ennemis du jansénisme. C'est bien l'homme qui disait à Sacy, en lui parlant de Montaigne : « Je vous avoue, monsieur, que je ne puis voir sans joie dans >> cet auteur la superbe raison si invinciblement froissée par ses propres armes ;.... » et j'aurais aimé de tout mon cœur le ministre d'une si grande vengeance, etc. Voir l'Entretien entre Pascal et Sacy.

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« Entendez de votre maître. » Il parle de ce maitre avec l'orgueil d'un favori. Car enfin, si l'homme. » Mis par P. R. au titre III, mais comme une pensée à part. Bossut, 11, v, 3. Pour la suite du discours, il faut suppléer ici quelque chose. Il faut supposer que Pascal a déjà annoncé ce que Dieu dit, ce que la religion enseigne, c'est-a-dire le péché originel. On se rappelle qu'il manque à ce morceau

un commencement.

7 « Mais, malheureux que nous sommes. » Pascal, en argumentant, ne cesse jamais d'être ému.

* Et ne possédons que le mensonge. » Il le suppose, il ne le prouve pas; et par où le prouverait-il? Comment savoir qu'on est dans le faux si on ne connait le vrai? Il y a du plus et du moins dans le bonheur, et par le moins nous imaginons le plus. Il n'y en a pas dans la vérité. On a plus ou moins de connaissance, mais cette connaissance n'est pas plus ou moins vraie.

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Incapables d'ignorer absolument. » Cf. 1,

1.

« Chose étonnante cependant. » Mis par P. R. au titre III, mais détaché, même séparé par un alinéa de ce qui précède. Bossut, II, v, 4.

et

une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-mêmes! Car il est sans doute qu'il n'y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d'y participer. Cet écoulement ne nous paraît pas seulement impossible, il nous semble même très-injuste; car qu'y a-t-il de plus contraire aux règles de notre misérable justice1 que de damner éternellement un enfant incapable de volonté, pour un péché où il paraît avoir si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il fût en être? Certainement, rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine; et cependant, sans ce mystère, le plus incompréhensible de tous, nous sommes incompréhensibles à nous-mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme; de sorte que l'homme est plus inconcevable 2 sans ce mystère que ce mystère n'est inconcevable à l'homme 3.

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<< Notre misérable justice. » Il n'y a pas deux justices; rejetons bien loin de telles pensées et de telles expressions.

2 Plus inconcevable. » Pascal confond ici deux choses de nature bien différente, un fait et un raisonnement. L'homme est ce qu'il est; en supposant que son être soit inexplicable, qui donc nous oblige à l'expliquer? Un fait incompréhensible est toujours un fait. Mais une explication incompréhensible n'est plus une explication. C'est donc en vain que Pascal prétend raisonner sur un mystère; un mystère est matière à croire, et non à raisonner.

a

3 « Inconcevable à l'homme. » Pascal avait d'abord ajouté ce qui suit, qu'il a barré « D'où il paraît que Dieu, voulant nous rendre la difficulté de notre être » inintelligible à nous-mêmes, en a caché le nœud si haut, ou, pour mieux dire, si » bas, que nous étions bien incapables d'y arriver; de sorte que ce n'est pas par les > superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, » que nous pouvons véritablement nous connaître.

» Ces fondements, solidement établis sur l'autorité inviolable de la religion, nous >> font connaitre qu'il y a deux vérités de foi également constantes : l'une, que > l'homme, dans l'état de la création ou dans celui de la grâce, est élevé au-dessus » de toute la nature, rendu comme semblable à Dieu, et participant de sa divinité; » l'autre, qu'en l'état de la corruption et du péché, il est déchu de cet état et rendu » semblable aux bétes. Ces deux propositions sont également fermes et certaines. >> L'Ecriture nous les déclare manifestement lorsqu'elle dit en quelques lieux [c'est» à-dire en certains lieux, en certains endroits]: Deliciæ meæ esse cum filiis homi» num. Effundam spiritum meum super omnem carnem. Dii estis, etc. [Mes délices » sont d'être avec les fils des hommes. Je répandrai mon esprit sur toute chair. Vous » êtes des Dieux]; et qu'elle dit en d'autres : Omnis caro fœnum. Homo assimilatus » est jumentis insipientibus, et similis factus est illis. Dixi in corde meo de filiis ho» minum... Eccles., 111. [Toute chair n'est qu'une herbe fanée. L'homme s'est rappro» ché de la bête qui ne pense point, et s'est fait semblable à elle. J'ai considéré en > moi-même les fils des hommes, et j'ai demandé que Dieu les éprouve, et fasse voir qu'ils sont semblables aux bêtes] par où il paraît clairement que l'homme, par » la grâce, est rendu comme semblable à Dieu et participant de sa divinité, et que, » sans la grâce, il est comme semblable aux bêtes brutes. » Pascal a mis un renvoi à la dernière citation, parce qu'il la laissait incomplete; elle est prisé de l'Ecclé→

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Tous les hommes recherchent d'être heureux; cela est sans exception, Quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que les uns vont à la guerre et que les autres n'y vont pas, est ce même désir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues 2. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les

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siaste, 11, 48. Les autres se trouvent aux endroits suivants : Deliciæ meæ. Prov., VII, 34. C'est encore la sagesse de Dieu qui parle. Effundam spiritum. Joel, 11, 28. Le texte entier est : Effundam spiritum super omnem carnem, et prophetabunt filii vestri et filiæ vestræ, etc. Ce verset ne signifie pas en général que Dieu a mis son esprit dans l'homme, mais qu'à un certain jour il répandra sur tous les enfants d'Israel l'esprit de prophétie. Dii estis. Ps. LXXXI, 6. Ces paroles ne s'adressent pas dans le Psaume aux hommes en général, mais aux puissants, aux dieux du monde. Omnis caro. Is., XL, 6. Homo assimilatus est. Ps. XLVIII, 24. H y a dans le texte comparatus est. Pourquoi Pascal a-t-il retranché tout ce passage? Est-ce pour ne pas s'embarrasser de la discussion de textes sur lesquels il a senti qu'on pouvait contester? Remarquons cette expression: les superbes agitations de notre raison; Pascal ne peut s'empêcher de parler avec orgueil de cette raison même qu'il condamne et qu'il étouffe. Nous avons cité plus haut cette phrase de Bossuet, dans le sermon pour la profession de madame de la Vallière (fin du premier point): "O Dieu qu'est-ce donc que l'homme? Est-ce un prodige? est-ce un composé >> monstrueux de choses incompatibles? Ou bien est-ce une énigme inexplicable? » Bossuet continue ainsi : « Non, messieurs, nous avons expliqué l'énigme. Ce qu'il » y a de si grand dans l'homme est un reste de sa première institution; ce qu'il y a de si bas, et qui paraît si mal assorti avec ses premiers principes, c'est le mal» heureux effet de sa chute. Il ressemble à un édifice ruiné, qui, dans ses masures renversées, conserve encore quelque chose de la beauté et de la grandeur de son premier plan. Fondé dans son origine sur la connaissance de Dieu et sur son » amour, par sa volonté dépravée il est tombé en ruine; le comble s'est abattu sur les murailles, et les murailles sur le fondement. Mais qu'on remue ces ruines, on >> trouvera dans les restes de ce bâtiment renversé, et les traces des fondations, et l'idée du premier dessein, et la marque de l'architecte. L'impression de Dieu >> reste encore en l'homme, si forte qu'il ne peut la perdre, et tout ensemble si faible qu'il ne peut la suivre, si bien qu'elle semble n'être restée que pour le convaincre » de sa faute et lui faire sentir sa perte. » Demandera-t-on encore si Bossuet, en cet endroit, se souvenait des Pensées? N'est-ce pas là tout l'esprit du livre? N'entendions-nous pas tout à l'heure dans cette exclamation, « qu'est-ce donc que l'homme? » le cri de Pascal éperdu? Ne reconnaissons-nous pas, dans les mots que nous avons soulignés, le double tranchant de sa dialectique, la perpétuelle antithèse qu'il n'épuise jamais? Il n'y a que le trouble de Pascal qui ne pénètre pas jusqu'à Bossuet, retranché dans son calme inaltérable.

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a Tous les hommes recherchent. » 377. En titre : Seconde partie. Que ï'homme sans la foi ne peut connaitre le vrai bien ni la justice. Pour l'explication des mots : Seconde partie, voir XXII, 4. Les éditeurs de P. R ont mis ce morceau au titre XXI, en le rattachant au morceau sur le pyrrhonisme à l'aide de cette transition assez lourde: « Voilà ce qu'est l'homme à l'égard de la vérité. Considérons-le maintenant » à l'égard de la félicité, » etc.

« De différentes vues. » Pascal avait ajouté ces mots, qu'il a barrés : « Je » n'écris ces lignes et on ne les lit que parce qu'on y trouve plus de satisfaction. » Ce retour sur lui-même lui a-t-il semble petit près de ces hautes généralités?

actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui vont se pendre 1. Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi 2, n'est arrivé à ce point où tous visent continuellement. Tous se plaignent princes, sujets; nobles, roturiers; vieux, jeunes; forts, faibles'; savants, ignorants; sains, malades; de tous pays, de tous les temps, de tous âges et de toutes conditions. Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme, devrait bien nous convaincre de notre impuissance d'arriver au bien par nos efforts; mais l'exemple ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque délicate différence; et c'est de là que nous attendons que notre attente ne sera pas déçue en cette occasion comme en l'autre. Et ainsi, le présent ne nous satisfaisant jamais, l'espérance nous pipe ', et de malheur en malheur, nous mène jusqu'à la mort, qui en est un comble éternel '.

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Qu'est-ce donc que nous crie1o cette avidité et cette impuissance", sinon qu'il y a eu autrefois dans l'homme un véritable bonheur,

1 « Qui vont se pendre. » P. R. affaiblit la brusquerie originale de cette expression en écrivant : qui se tuent et qui se pendent, ce qui est d'ailleurs mal écrit.

2 << Sans la foi. » Mais on n'arrive pas non plus, avec la foi, à être heureux en ce monde, et ce n'est pas là ce que la foi promet aux hommes. Le bonheur où elle les appelle n'est pas sur la terre.

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Forts, faibles. » Voltaire a dit de même :

Et le riche et le pauvre, et le faible et le fort
Vont tous également des douleurs à la mort.

Mais ces vers lents et tristes n'expriment qu'une plainte; la phrase de Pascal a la vivacité pressante de l'argumentation. Pour faire ressortir l'impossibilité d'être heureux dans cette vie, elle en condamne successivement toutes les conditions, sans exception aucune.

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« D'arriver au bien. » C'est-à-dire au bonheur; bien n'a pas ici un sens moral.

5 « Nous attendons que notre attente. » Négligence. P. R.: notre espérance.

6 En cette occasion comme en l'autre. » C'est-à-dire en telle occasion comme en telle autre..

7 a

L'espérance nous pipe. » Le manuscrit porte l'expérience, ce qui peut s'entendre aussi; cependant nous croyons que c'est une faute; la correction est de Nicole. 8 << Jusqu'à la mort. » Cf. iv, 4, à la fin.

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« Qui en est un comble éternel. » Un comble éternel de malheur; car elle amène après elle une éternité malheureuse. Jamais ce mot de comble n'a reçu une telle épithète, et cette épithète si originale et si saisissante est simplement le mot propre dans la pensée de Pascal.

10 « Qu'est-ce donc que nous crie?» P. R. place ceci au titre II, entre deux alinéas qu'on a lus plus haut. Bossut II, v, 3. L'expression est pleine de sentiment pour Qu'est-ce que veut dire? qu'est-ce que signifie?

« Cette avidité et cette impuissance. » La première prouve, suivant Pascal, que le bonheur n'est pas chose purement imaginaire.

On ne peut désirer ce qui n'existe pas.

La seconde, que nous ne pouvons plus y atteindre. Sur cette pensée, cf. XII, 3.

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