Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

2.

Les hommes n'ayant pu' guérir la mort, la misère, l'ignorance, se sont avisés, pour se rendre heureux, de ne point y penser.

3.

La nature nous rendant toujours malheureux en tous états, nos désirs nous figurent un état heureux, parce qu'ils joignent à l'état où nous sommes les plaisirs de l'état où nous ne sommes pas ; et quand nous arriverions à ces plaisirs, nous ne serions pas heureux pour cela, parce que nous aurions d'autres désirs conformes à ce nouvel état.

3

Il faut particulariser cette proposition générale.....

4.

Qu'on s'imagine' un nombre d'hommes dans les chaines, et tous condamnés à la mort, dont les uns étant chaque jour égorgés à la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans celle de leurs semblables, et, se regardant les uns les autres avec douleur et sans espérance, attendent leur tour : c'est l'image' de la condition des hommes.

être actif, et que son activité a toujours besoin de s'exercer. Comme l'estomac à qui on ne fournit pas d'aliments à digérer éprouve un malaise, on ressent un malaise semblable quand on n'a rien à sentir ou à penser. Si on suppose un roi réduit à contempler sa gloire, je dirai d'abord que ce serait déjà là un divertissement, car sa gloire, sa royauté, sont bien des choses du dehors; seulement ces idées s'épuiseront, et il lui en faudra de nouvelles. Maintenant pourquoi dire que la pensée de la mort nous est essentielle, et que celle des jouissances de la vie n'est qu'un accident ou une distraction? L'une et l'autre sont également suivant la nature, penser à soi, c'est penser à l'être qui vit aussi bien qu'à celui qui doit mourir. Pour ce qui est de songer en général à ce que c'est que l'homme, et d'où il vient et où il va, ces méditations, ennuyeuses et pénibles à certaines âmes, procurent à d'autres plus fortes, et procuraient à Pascal lui-même, le divertissement le plus vif et le plus absorbant.

1 << Les hommes n'ayant pu.» 121. En titre, Divertissement. P. R., XXVI.

2 « La nature nous rendant. » 441. Manque dans P. R.

3 « Il faut particulariser. » Pascal ne l'a pas fait. Pour l'explication de cette pensée, voir vi, 16.

« Qu'on s'imagine. » Manque dans P. R. Ce fragment ne se trouve pas dans l'autographe, il a été conservé dans la Copie.

5 « Attendent leur tour. » Il faut admirer ici également le pathétique de l'image, l'harmonie des mots, la coupe de la phrase.

6 « C'est l'image. » L'application faite à la fin est bien plus saisissante que si

ARTICLE V.

1.

J'écrirai ici mes pensées sans ordre, et non pas peut-être dans une confusion sans dessein: c'est le véritable ordre, et qui marquera toujours mon objet par le désordre même.

Je ferais trop d'honneur à mon sujet si je le traitais avec ordre, puisque je veux montrer qu'il en est incapable 2.

[ocr errors]

elle était annoncée tout d'abord, comme, par exemple, s'il y avait : Pour avoir une image de la condition des hommes, qu'on se représente, etc. Ce tableau est bien lugubre, ce style est teint de la plus noire mélancolie. Mais que dire de Nicole, qui s'efforce de tracer une peinture encore plus affreuse, non plus de la condition des hommes suivant la seule nature, mais du gouvernement et de la justice de Dieu ? De la crainte de Dieu, chap. 5 : « Ainsi le monde entier est un lieu de supplices, » où l'on ne découvre par les yeux de la foi que des effets effroyables de la justice de » Dieu; et si nous voulons nous la représenter par quelque image qui en approche, >> figurons-nous un lieu vaste, plein de tous les instruments de la cruauté des hom>> mes, et rempli d'une part de bourreaux, et de l'autre d'un nombre infini de cri» minels abandonnés à leur rage. Représentons-nous que ces bourreaux se jettent » sur ces misérables, qu'ils les tourmentent tous, et qu'ils en font tous les jours périr » un grand nombre par les plus cruels supplices, qu'il y en a seulement quelques» uns dont ils ont ordre d'épargner la vie; mais que ceux-ci même, n'en étant » pas assurés, ont sujet de craindre pour eux-mêmes la mort qu'ils voient souffrir >> à tout moment à ceux qui les environnent, ne voyant rien en eux qui les en dis»tingue. Quelle serait la frayeur de ces misérables..., etc. Et néanmoins la foi »> nous expose bien un autre spectacle devant les yeux; car elle nous fait voir les » démons répandus par tout le monde, qui tourmentent et affligent tous les hommes >> en mille manières, et qui les précipitent presque tous, premièrement dans les > crimes, et ensuite dans l'enfer et dans la mort éternelle. » Voilà ce que le zèle janséniste inspirait à un homme qu'on a coutume d'appeler le doux Nicole; mais tout le développement de Nicole choque plus qu'il n'effraie. L'idée que Pascal exprime, quoique outrée par son humeur sombre, est après tout une idée naturelle, celle de la mort : tandis que Nicole veut pénétrer, au delà de la nature, un mystère de la foi; et qu'au lieu de le laisser dans le vague qui sied au mystère, il s'appesantit sur des détails que la raison ne conçoit pas, comme s'ils étaient parfaitement clairs et sensibles pour lui.

1 « J'écrirai ici. » 137. En titre, Pyrrhonisme. Manque dans P. R. (Cf. la note sur vi, 52.)

2

« Qu'il en est incapable.» Quel est ce sujet incapable d'ordre? L'esprit humain, sans doute, qui ne peut arriver par ordre de démonstration à aucune vérité.

2.

Gradation. Le peuple honore1 les personnes de grande naissance. Les demi-habiles les méprisent, disant que la naissance n'est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple, mais par la pensée de derrière. Les dévots qui ont plus de zèle que de science les méprisent, malgré cette considération qui les fait honorer par les habiles, parce qu'ils en jugent par une nouvelle lumière que la piété leur donne. Mais les chrétiens parfaits les honorent par une autre lumière supérieure. Ainsi se vont les opinions succèdant du pour au contre, selon qu'on a de lumière.

Renversement continuel' du pour au contre.

Nous avons donc montré que l'homme est vain', par l'estime qu'il fait des choses qui ne sont point essentielles'. Et toutes ces opinions sont détruites. Nous avons montré ensuite que toutes ces opinions sont très-saines, et qu'ainsi, toutes ces vanités étant trèsbien fondées, le peuple n'est pas si vain qu'on dit. Et ainsi nous avons détruit l'opinion qui détruisait celle du peuple.

Mais il faut détruire maintenant cette dernière proposition, et montrer qu'il demeure toujours vrai que le peuple est vain, quoique ses opinions soient saines; parce qu'il n'en sent pas la vérité où

1 « Gradation. Le peuple honore. » 231. P. R., XXIX. En titre dans le manuscrit, Raison des effets. Ce titre, qui revient souvent, signifie que beaucoup de choses déraisonnables suivant la philosophie vulgaire ont pourtant leur raison, que découvre une philosophie plus haute. Cf. v, 9. La Bruyère (Des Grands, à la fin du chapitre): « Qui dit le peuple dit plus d'une chose... Il y a le peuple qui est opposé aux » grands, c'est la populace et la multitude. Il y a le peuple qui est opposé aux »sages, aux habiles et aux vertueux ce sont les grands comme les petits. » C'est ce dernier peuple, ou le vulgaire, dont parle Pascal. Cf. v, 44, etc.

2 « La pensée de derrière. » Voir XXIV, 90.

3 « Les dévots. » P. R., certains zélés. Ils ont craint d'employer ce mot de dévots, comme faisaient les gens du monde, avec une intention satirique. La Bruyère l'emploie sans cesse, et ne manque jamais d'écrire en marge faux dévots.

« Par une autre lumière supérieure. » Qui montre que tel est l'ordre de Dieu. Pascal, en soumettant son esprit au respect des distinctions établies, se flattait de ne se soumettre qu'en vertu d'une lumière supérieure. En lisant ses Entretiens sur la condition des grands, on sent que ce respect devait lui coûter.

5 « Renversement continuel.» 234. En titre, Raison des effets. Inédit jusqu'à notre

temps.

6 « Que l'homme est vain. » (Cf. 1, 5; III, 5; iv, 4.)

7 « Qui ne sont point essentielles. » Comme une grande naissance.

elle est, et que, la mettant où elle n'est pas, ses opinions sont toujours très-fausses et très-mal saines1.

Il est donc vrai de dire que tout le monde est dans l'illusion : car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tête, car il pense que la vérité est où elle n'est pas. La vérité est bien dans leurs opinions, mais non pas au point où ils se figurent. Par exemple, il est vrai qu'il faut honorer les gentilshommes, mais non pas parce que la naissance est un avantage effectif, etc.

3.

Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sûres, si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu'ils méritent. Le mal à craindre d'un sot, qui succède par droit de naissance, n'est ni si grand, ni si sûr“.

4.

Pourquoi suit-on la pluralité? est-ce à cause qu'ils ont plus de raison? non, mais plus de force. Pourquoi suit-on les anciennes lois et anciennes opinions? est-ce qu'elles sont les plus saines? non, mais elles sont uniques, et nous ôtent la racine de la diversité'.

5.

L'empire fondé sur l'opinion et l'imagination règne quelque

1 « Très-mal saines. » On dirait maintenant très-peu saines.

2 « Il est donc vrai. » 234. En titre, Raison des effets. P. R., xxxI.

3

« Le plus grand des maux. » 243. En titre, Opinions du peuple saines. Manque dans P. R.

4 Ni si grand, ni si sûr. » Pascal tranche bien vite une telle question. Mais que cette défense de l'hérédité royale est irrévérencieuse! et que P. R. a fait prudemment de la supprimer! L'esprit qui sur le trône de Louis XIV osait par supposition placer un sot, et qui ne se prononçait pour ce sot que de peur d'une guerre civile, était par avance républicain. Cf. 7 et 9.

5

« Pourquoi suit-on la pluralité? » 429. Manque dans P. R. Nous disons aujourd'hui, la majorité. Ils, c'est la pluralité, ceux qui la composent.

· « Plus de raison. » C'est parce que, la majorité et la minorité se composant d'hommes qui ont en moyenne autant de raison les uns que les autres, il y a probabilité, si toutes les opinions sont libres de se produire, que la plus généralement adoptée sera la plus raisonnable. Ce n'est qu'une probabilité, mais on s'en contente faute de mieux.

? « La racine de la diversité. » Il parle de la diversité ou de la contrariété comme d'un vice, qui se trouve ainsi extirpé, déraciné.

8
• « L'empire fondé sur Fopinion. » 427. Manque dans P. R.

temps, et cet empire est doux et volontaire : celui de la force règne toujours. Ainsi l'opinion est comme la reine du monde1, mais la force en est le tyran.

6.

Que l'on a bien fait de distinguer les hommes par l'extérieur, plutôt que par les qualités intérieures! Qui passera de nous deux ? qui cédera la place à l'autre? Le moins habile? mais je suis aussi habile que lui; il faudra se battre sur cela. Il a quatre laquais, et je n'en ai qu'un cela est visible; il n'y a qu'à compter; c'est à moi à céder3, et je suis un sot si je conteste. Nous voilà en paix par ce moyen; ce qui est le plus grand des biens.

7.

La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d'officiers, et de toutes les choses qui plient la machine" vers le respect et la terreur, fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans leurs sujets le respect et la terreur, parce qu'on ne sépare pas dans la pensée leur personne d'avec leur suite, qu'on y voit d'ordinaire jointe. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet a son origine dans cette coutume, croit qu'il vient d'une force naturelle; et de là viennent ces mots : Le caractère de la Divinité est empreint sur son visage, etc.

1 « La reine du monde. » Cf. 111, 3, p. 36. Rapprocher de cette pensée celle qui forme le paragraphe 94 de l'article xxiv.

2 « Que l'on a bien fait. » P. R., XXIX. Cette pensée n'est pas dans le manuscrit; on y trouve seulement cette ligne isolée : Il a quatre laquais. On est bien tenté cependant d'attribuer à Pascal ce développement, dont la forme est vive, familière, dramatique. Peut-être les éditeurs l'ont-ils reproduit de souvenir, d'après une conversation de Pascal.

3

a C'est à moi à céder. » Mais pourquoi faut-il qu'il y en ait un qui cède? ne peuvent-ils aller de pair? Et là même où il faut une préférence, pourquoi se battre? pourquoi ne pas s'en rapporter au libre choix des juges naturels? Se battait-on, du temps de Pascal, pour décider qui entrerait à l'Académie? ou réglait-on cela d'après le nombre des laquais?

α

4 « La coutume de voir les rois. » 84. Cette pensée, qui s'attaque encore au prestige et à la religion de la royauté, a été supprimée dans P. R. Cf. 1, 3, p. 35. 5 « La machine.» Pascal appelle ainsi cette partie de l'homme par laquelle il est machine, comme l'animal, et n'obéit pas à la réflexion, mais à l'instinct. (Cf. x, 4.) a Et de là viennent ces mots. » Comme il déshabille l'idole! Louis XIV commençait à peine de régner quand Pascal s'exprimait ainsi, et Pascal écrivait au fond de sa retraite. Quand parut l'édition de P. R., le roi avait passé trente ans, il était dans toute la splendeur de son règne; les poëtes, les écrivains, les orateurs mêmes de la chaire l'encensaient, et de telles paroles, tombant dans le public, auraient paru un blasphème.

« ZurückWeiter »