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tés ceux qui sont intéressés par les sentiments de la nature, il n'y a point de chrétien qui ne s'en doive réjouir 1.

Sur ce grand fondement, je vous commencerai ce que j'ai à dire par un discours bien consolatif à ceux qui ont assez de liberté d'esprit pour le concevoir au fort de la douleur. C'est que nous devons chercher la consolation à nos maux, non pas dans nousmêmes, non pas dans les hommes, non pas dans tout ce qui est créé; mais dans Dieu. Et la raison en est que toutes les créatures ne sont pas la première cause des accidents que nous appelons maux; mais que la providence de Dieu en étant l'unique et véritable cause, l'arbitre et la souveraine, il est indubitable qu'il faut recourir directement à la source et remonter jusqu'à l'origine, pour trouver un solide allégement. Que si nous suivons ce précepte, et que nous envisagions cet événement, non pas comme un effet du hasard, non pas comme une nécessité fatale de la nature, non pas comme le jouet des éléments et des parties qui composent l'homme (car Dieu n'a pas abandonné ses élus au caprice et au hasard), mais comme une suite indispensable, inévitable, juste, sainte, utile au bien de l'Église et à l'exaltation du nom et de la grandeur de Dieu, d'un arrêt de sa providence 2 conçu de toute éternité pour être exécuté dans la plénitude de son temps, en telle année, en tel jour, en telle heure, en tel lieu, en telle manière; et enfin que tout ce qui est arrivé a été de tout temps présu et préordonné en Dieu; si, dis-je, par un transport de grâce, nous considérons cet accident, non pas dans lui-même et hors de Dieu, mais hors de lui-même et dans l'intime de la volonté de Dieu, dans la justice de son arrêt, dans l'ordre de sa providence, qui en est la véritable cause, sans qui il ne fût pas arrivé, par qui seul il est arrivé, et de la manière dont il est arrivé; nous adorerons dans un humble silence la hauteur impénétrable de ses secrets, nous véné

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S'en doive réjouir. D'une mort aussi chrétienne que celle-là. 2 « De sa providence. Quelle ardeur et quelle profondeur de foi! Combien y a-t-il d'hommes aujourd'hui, se disant et se croyant chrétiens, qui soient prêts à considérer la mort d'une personne aimée comme une suite indispensable, inévitable, juste, sainte, utile au bien de l'Eglise et à l'exaltation du nom et de la grandeur de Dieu, d'un arrêt éternel de sa providence? Hommes de ce temps, élèves de Buffon et de tant d'autres, nous sommes tous, que nous le sachions ou non, naturalistes, sur la vie comme sur la mort.

3 « Dans l'intime. » Latinisme. Intime est le superlatif d'intérieur. C'est ce qu'il y a de plus intérieur, le fond même.

rerons la sainteté de ses arrêts, nous bénirons la conduite de sa providence; et unissant notre volonté à celle de Dieu même, nous voudrons avec lui, en lui, et pour lui, la chose qu'il a voulue en nous et pour nous de toute éternité.

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Considérons-la donc de la sorte, et pratiquons cet enseignement que j'ai appris d'un grand homme dans le temps de notre plus grande affliction, qu'il n'y a de consolation qu'en la vérité seulement. Il est sans doute que Socrate et Sénèque n'ont rien de persuasif en cette occasion. Ils ont été sous l'erreur qui a aveuglé tous les hommes dans le premier : ils ont tous pris la mort comme naturelle à l'homme 2; et tous les discours qu'ils ont fondés sur ce faux principe sont si futiles, qu'ils ne servent qu'à montrer par leur inutilité combien l'homme en général est faible, puisque les plus hautes productions des plus grands d'entre les hommes sont si basses et si puériles. Il n'en est pas de même de JÉSUS-CHRIST, il n'en est pas ainsi des livres canoniques3: la vérité y est découverte, et la consolation y est jointe aussi infailliblement qu'elle est infailliblement séparée de l'erreur.

Considérons donc la mort dans la vérité que le Saint-Esprit nous a apprise. Nous avons cet admirable avantage de connaître que véritablement et effectivement la mort est une peine du péché imposée à l'homme pour expier son crime, nécessaire à l'homme pour le purger du péché; que c'est la seule qui peut délivrer l'âme de la concupiscence des membres, sans laquelle les saints' ne viennent point dans ce monde. Nous savons que la vie, et la vie des chrétiens, est un sacrifice continuel qui ne peut être achevé que par la mort: nous savons que comme JÉSUS-CHRIST, étant au monde, s'est considéré et s'est offert à Dieu comme un holocauste et une

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« D'un grand homme. » Sans doute quelqu'un des grands personnages du jansénisme. On lit de même plus loin: « Mais j'ai appris d'un saint homme, dans »notre affliction. » M. Cousin pense que le saint homme était M. Singlin; mais qui était le grand homme?

2 « Comme naturelle à l'homme. » Tandis qu'elle n'est, suivant la foi, que la punition du péché originel. Gen., 11, 17; Rom., vi, 23, etc. Il faut expliquer ces choses-là à notre siècle.

3 « Des livres canoniques. » On va voir qu'il ne s'en tient pas aux livres canoniques, c'est-à-dire aux livres saints reçus dans le canon de l'Église. Il y prend son point de départ, mais il se livre à des développements d'une dévotion subtile et raffinée, qui viennent d'ailleurs.

4 Sans laquelle. Sans laquelle concupiscence.

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« Les saints. » Même les saints, les saints eux-mêmes.

véritable victime; que sa naissance 1, sa vie, sa mort, sa résurrection, son ascension, et sa présence dans l'Eucharistie, et sa séance éternelle à la droite, ne sont qu'un seul et unique sacrifice; nous savons que ce qui est arrivé en JÉSUS-CHRIST, doit arriver en tous ses membres 2.

Considérons donc la vie comme un sacrifice; et que les accidents de la vie ne fassent d'impression dans l'esprit des chrétiens qu'à proportion qu'ils interrompent ou qu'ils accomplissent ce sacrifice. N'appelons mal que ce qui rend la victime de Dieu victime du diable, mais appelons bien ce qui rend la victime du diable en Adam victime de Dieu; et sur cette règle examinons la nature de la mort.

Pour cette considération, il faut recourir à la personne de JésusCHRIST; car tout ce qui est dans les hommes est abominable, et comme Dieu ne considère les hommes que par le médiateur JésusCHRIST, les hommes aussi ne devraient regarder ni les autres ni eux-mêmes que médiatement par JÉSUS-CHRIST. Car si nous ne passons par le milieu, nous ne trouverons en nous que de véritables malheurs ou des plaisirs abominables; mais si nous considérons toutes choses en JÉSUS-CHRIST, nous trouverons toute consolation, toute satisfaction, toute édification.

Considérons donc la mort en JÉSUS-CHRIST, et non pas sans JÉSUS-CHRIST. Sans JÉSUS-CHRIST elle est horrible, elle est détestable, et l'horreur de la nature. En Jésus-CHRIST elle est tout autre; elle est aimable, sainte, et la joie du fidèle. Tout est doux en JÉSUS-CHRIST, jusqu'à la mort : et c'est pourquoi il a souffert et est mort pour sanctifier la mort et les souffrances; et que, comme Dieu 3 et comme homme, il a été tout ce qu'il y a de grand et tout ce qu'il y a d'abject, afin de sanctifier en soi toutes choses, excepté le péché, et pour être modèle de toutes les conditions *.

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Pour considérer ce que c'est que la mort, et la mort en JésusCHRIST, il faut voir quel rang elle tient dans son sacrifice continuel et sans interruption, et pour cela remarquer que dans les sacrifices

1 « Que sa naissance. C'est-à-dire, comme sa naissance, etc.

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«En tous ses membres. » Pascal va développer plus loin ce qu'il résume ici. « Et que comme Dieu.» Comme s'il y avait précédemment: Et c'est pour cela qu'il a souffert.

4 « De toutes les conditions.» Cf. xxv, 44.

la principale partie est la mort de l'hostie1. L'oblation et la sanctification qui précèdent sont des dispositions; mais l'accomplissement est la mort, dans laquelle, par l'anéantissement de la vie, la créature rend à Dieu tout l'hommage dont elle est capable, en s'anéantissant devant les yeux de sa majesté, et en adorant sa souveraine existence, qui seule existe réellement. Il est vrai qu'il y a une autre partie, après la mort de l'hostie, sans laquelle sa mort est inutile; c'est l'acceptation que Dieu fait du sacrifice. C'est ce qui est dit dans l'Écriture: Et odoratus est Dominus suavitatem 2 : « Et Dieu a odoré » et reçu l'odeur du sacrifice. » C'est véritablement celle-là qui couronne l'oblation; mais elle est plutôt une action de Dieu vers la créature, que de la créature envers Dieu, et n'empêche pas que la dernière action de la créature ne soit la mort.

Toutes ces choses ont été accomplies en JÉSUS-CHRIST. En entrant au monde, il s'est offert : Obtulit semetipsum per Spiritum sanctum3. Ingrediens mundum, dixit : Hostiam noluisti.... Tunc dixi: Ecce venio. In capite, etc. « Il s'est offert par le Saint-Esprit. En entrant >> au monde, JÉSUS-CHRIST a dit : Seigneur, les sacrifices ne te sont >> point agréables; mais tu m'as donné un corps. Lors j'ai dit : » Voici que je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté, et ta loi est » dans le milieu de mon cœur. » Voilà son oblation. Sa sanctification a été immédiate de son oblation. Ce sacrifice a duré toute sa vie, et a été accompli par sa mort. « Il a fallu qu'il ait passé par

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« De l'hostie. » De la victime. C'est le mot latin.

<< Suavitatem. Le texte est : Odoratusque est Dominus odorem suavitatis, Gen., VIII, 21.

3 « Per Spiritum sanctum. » Hébr., IX, 44. Pascal cite ici et plus loin l'épître aux Hébreux, que l'on compte, quel qu'en soit l'auteur, parmi celles de saint Paul. La théologie de cette épitre, savante et curieuse, offre un caractère particulier.

4 « Ingrediens mundum. » Ibid., x, 5. Le texte entier est : Ingrediens mundum dicit: Hostiam et oblationem noluisti; corpus autem aptasti mihi. Holocautomata pro peccato non tibi placuerunt; tunc dixi: Ecce venio: in capite libri scriptum est de me, ut faciam, Deus, voluntatem tuam. C'est-à-dire : « En entrant au monde, il dit : Tu » n'as pas voulu de victime et d'offrande; mais tu m'as donné un corps. Tu n'as pas >> voulu des holocaustes pour expiation du péché; alors j'ai dit: Me voici il est » écrit de moi, au chapitre du livre, que je dois accomplir, ô Dieu, ta volonté. » Les paroles mêmes de l'épitre sont prises du psaume XXXIX, tel que l'auteur de l'épître aux Hébreux le lisait dans le texte des Septante. Les commentateurs n'ont pu déterminer le sens de ces trois mots : in capite libri.

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« Immédiate. » C'est-à-dire inséparable, ne faisant qu'un avec son oblation. Il faut qu'une victime soit consacrée, mais Jésus n'a qu'à s'offrir; il n'a pas besoin d'autre consécration; car il est prêtre aussi bien que victime.

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>> les souffrances, pour entrer en sa gloire 1. Et, quoiqu'il fût fils » de Dieu, il a fallu qu'il ait appris l'obéissance. Mais au jour de » sa chair, ayant crié avec grands cris à celui qui le pouvait sauver » de mort, il a été exaucé pour sa révérence : » Et Dieu l'a ressuscité, et envoyé sa gloire', figurée autrefois par le feu du ciel qui tombait sur les victimes, pour brûler et consumer son corps, et le faire vivre spirituel de la vie de la gloire. C'est ce que Jésus-Christ a obtenu, et qui a été accompli par sa résurrection.

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Ainsi ce sacrifice étant parfait par la mort de JÉSUS-CHRIST, et consommé même en son corps par sa résurrection, où l'image de la chair du péché a été absorbée par la gloire, JÉSUS-CHRIST avait tout achevé de sa part; il ne restait que le sacrifice fût accepté de Dieu, que, comme la fumée s'élevait et portait l'odeur au trône de Dieu, aussi JÉSUS-CHRIST fût, en cet état d'immolation parfaite, offert, porté et reçu au trône de Dieu même : et c'est ce qui a été accompli en l'ascension, en laquelle il est monté, et par sa propre force, et, par la force de son Saint-Esprit qui l'environnait de toutes parts, il a été enlevé; comme la fumée des victimes, figures de JÉSUS-CHRIST, était portée en haut par l'air qui la soutenait, figure du Saint-Esprit : et les Actes des apôtres nous marquent expressément qu'il fut reçu au ciel', pour nous assurer que ce saint sacrifice accompli en terre a été reçu et acceptable à Dieu, reçu dans le sein de Dieu, où il brûle de la gloire dans les siècles des siècles 3.

1 << En sa gloire. » Luc, XXIV, 26.

2 « Et quoiqu'il fût. » Hébr., v, 8 et 7.

3 « Sa gloire. La gloire de Dieu, c'est la splendeur dont il rayonne et qui est

comme le milieu où vivent ceux qu'il réunit à lui. Cf. p. 445, note 2.

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« Sur les victimes. » Au sacrifice fait par Élie (III, Rois, XVIII, 38).

Des prophètes menteurs la troupe confondue

Et la flamme du ciel sur l'autel descendue.

« Il ne restait que le sacrifice. » Phrase irrégulière; il faudrait : Il restait, que le sacrifice; ou bien : Il ne restait rien autre chose sinon que le sacrifice, etc.

<< Il est monté, et par. » Il faut construire comme s'il y avait : Et il est monté, par sa propre force, et, par la force de son Saint-Esprit, il a été enlevé. C'est un commentaire des deux expressions employées à ce sujet par l'Écriture, ascendit, assumptus est.

7 « Reçu au ciel. » Act., 1, 44.

« Des siècles. » Pascal n'a pas trouvé dans l'Écriture tous les détails subtils à travers lesquels il poursuit l'allégorie qu'il tient, jusqu'à ce qu'il l'ait épuisée. Cette anatomie de tout ce qui constitue un sacrifice n'est pas dans saint Paul. Il est bien dit en divers endroits, et surtout dans l'Epitre aux Hébreux, que les sacrifices de l'ancienne loi étaient des figures du vrai sacrifice que Jésus-Christ, sacrificateur perpétuel, a accompli par sa mort, et après lequel il s'est assis à la droite de Dieu; mais il n'est pas dit que la gloire de Dieu consuma le corps mortel de Jésus-Christ

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