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Je ne demande pas aussi d'être dans une plénitude de maux sans consolation; car c'est un état de judaïsme1. Mais je demande, Seigneur, de ressentir tout ensemble et les douleurs de la nature pour mes péchés, et les consolations de votre esprit par votre grâce; car c'est le véritable état du christianisme. Que je ne sente pas des douleurs sans consolation; mais que je sente des douleurs et de la consolation tout ensemble, pour arriver enfin à ne sentir plus que vos consolations sans aucune douleur. Car, Seigneur, vous avez laissé languir le monde dans les souffrances naturelles sans consolation 2, avant la venue de votre Fils unique : vous consolez maintenant et vous adoucissez les souffrances de vos Fidèles par la grâce de votre Fils unique; et vous comblez d'une béatitude toute pure vos saints dans la gloire de votre Fils unique. Ce sont les admirables degrés par lesquels vous conduisez vos ouvrages. Vous m'avez tiré du premier: faites-moi passer par le second, pour arriver au troisième. Seigneur, c'est la grâce que je vous demande.

XII. Ne permettez pas que je sois dans un tel éloignement de vous, que je puisse considérer votre âme triste jusqu'à la mort, et votre corps abattu par la mort pour mes propres péchés, sans me réjouir de souffrir et dans mon corps et dans mon âme. Car qu'y a-t-il de plus honteux, et néanmoins de plus ordinaire dans les chrétiens et dans moi-même, que tandis que vous suez le sang pour l'expiation de nos offenses, nous vivons dans les délices; et que des chrétiens qui font profession d'être à vous, que ceux qui par le baptême ont renoncé au monde pour vous suivre, que ceux qui ont juré solennellement à la face de l'Église de vivre et de mourir avec vous, que ceux qui font profession de croire que le monde vous a persécuté et crucifié, que ceux qui croient que vous vous êtes exposé à la colère de Dieu et à la cruauté des hommes pour les racheter de leurs crimes; que ceux, dis-je, qui croient toutes ces

tré plusieurs fois cette expression. Cf. p. 145, note 2. De même, un peu plus loin, dans la gloire de votre Fils unique.

1 « De judaïsme. » Il s'agit de ce judaïsme qui est resté en dehors du Messie. Pour les saints personnages du judaïsme, Pascal les considère comme étant déjà des chrétiens, puisqu'ils vivaient dans l'attente du Christ, et tenaient à lui par la foi, l'espérance et la charité.

2 « Sans consolation. » Pascal entend cela du monde en tant que le monde demeurait étranger à Jesus-Christ; il parle des Paiens, et des Juifs purement juifs, des Juifs charnels, comme il les appelle ailleurs.

vérités, qui considèrent votre corps comme l'hostie' qui s'est livrée pour leur salut, qui considèrent les plaisirs et les péchés 2 du monde comme l'unique sujet de vos souffrances, et le monde même comme votre bourreau, recherchent à flatter leurs corps par ces mêmes plaisirs, parmi ce même monde; et que ceux qui ne pourraient, sans frémir d'horreur, voir un homme caresser et chérir le meurtrier de son père qui se serait livré3 pour lui donner la vie, puissent vivre comme j'ai fait, avec une pleine joie, parmi le monde que je sais avoir été véritablement le meurtrier de celui que je reconnais pour mon Dieu et mon père, qui s'est livré pour mon propre salut, et qui a porté en sa personne la peine des mes iniquités? Il est juste, Seigneur, que vous ayez interrompu une joie aussi criminelle que celle dans laquelle je me reposais à l'ombre de la mort.

XIII. Otez donc de moi, Seigneur, la tristesse que l'amour de moi-même me pourrait donnér de mes propres souffrances et des choses du monde qui ne réussissent pas au gré des inclinations de mon cœur, et qui ne regardent pas votre gloire; mais mettez en moi une tristesse conforme à la vôtre. Que mes souffrances servent à apaiser votre colère. Faites-en une occasion de mon salut et de ma conversion. Que je ne souhaite désormais de santé et de vie qu'afin de l'employer et la finir pour vous, avec vous et en vous. Je ne vous demande ni santé, ni maladie, ni vie, ni mort; mais que vous disposiez de ma santé et de ma maladie, de ma vie et de ma mort, pour votre gloire, pour mon salut et pour l'utilité de l'Église et de vos saints dont j'espère par votre grâce faire une portion *. Vous seul savez ce qui m'est expédient: vous êtes le souverain maître, faites ce que vous voudrez. Donnez-moi, ôtez-moi ; mais conformez ma volonté à la vôtre; et que dans une soumission humble et parfaite et dans une sainte confiance, je me dispose à recevoir les ordres de votre providence éternelle, et que j'adore également tout ce qui me vient de vous.

1 « Comme l'hostie. » Voir page 409, note 1.

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2 « Les plaisirs et les péchés. » Plaisir et péché, est-ce donc une même chose? Oui, tout plaisir est péché, dès qu'il est recherché pour lui-même, dès qu'il est une satisfaction à la concupiscence, et un divertissement qui nous détourne de Dieu. 3 « Qui se serait livré. » Qui se rapporte à son père.

4 << Faire une portion. » Car quiconque n'est pas un réprouvé sera un jour un

saint.

XIV. Faites, mon Dieu, que dans une uniformité d'esprit toujours égale je reçoive toutes sortes d'événements, puisque nous ne savons ce que nous devons demander, et que je n'en puis souhaiter l'un plutôt que l'autre sans présomption, et sans me rendre juge et responsable des suites que votre sagesse a voulu justement me cacher1. Seigneur, je sais que je ne sais qu'une chose; c'est qu'il est bon de vous suivre, et qu'il est mauvais de vous offenser. Après cela, je ne sais lequel est le meilleur ou le pire en toutes choses; je ne sais lequel m'est profitable de la santé ou de la maladie, des biens ou de la pauvreté, ni de toutes les choses du monde. C'est un discernement qui passe la force des hommes et des anges2, et qui est caché dans les secrets de votre providence que j'adore, et que je ne veux pas approfondir.

XV. Faites donc, Seigneur, que tel que je sois je me conforme à votre volonté; et qu'étant malade comme je suis, je vous glorifie dans mes souffrances. Sans elles je ne puis arriver à la gloire; et vous-même, mon Sauveur, n'y avez voulu parvenir que par elles3. C'est par les marques de vos souffrances que vous avez été reconnu de vos disciples'; et c'est par les souffances que vous reconnaissez aussi ceux qui sont vos disciples. Reconnaissez-moi donc pour votre disciple dans les maux que j'endure et dans mon corps et dans mon esprit, pour les offenses que j'ai commises. Et parce que rien n'est agréable à Dieu s'il ne lui est offert par vous, unissez ma volonté à la vôtre, et mes douleurs à celles que vous avez souffertes. Faites que les miennes deviennent les vôtres. Unissez-moi à vous; remplissez-moi de vous et de votre Esprit saint. Entrez dans mon cœur et dans mon âme, pour y porter mes souffrances, et pour continuer d'endurer en moi ce qui vous reste à souffrir de votre passion, que vous achevez dans vos membres jusqu'à la consommation parfaite de votre corps, afin qu'étant plein de vous, ce ne

1 « Me cacher. » Voir les mêmes idées à la fin de la lettre sur la mort de son père, et au paragr. xxv, 445.

2 « Et des anges. » Ainsi Socrate à ses juges à la fin de l'Apologie de Platon : « Il est temps de nous retirer, moi pour mourir, et vous pour vivre. Lequel vaut

>> le mieux de votre lot ou du mien? personne ne le sait, excepté Dieu.»

3 « Que par elles. » Voir le passage de saint Luc cité page 410, note 1.

4 « De vos disciples. » Jean, xx, 25-27.

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5 Y porter mes souffrances. » C'est-à-dire pour les supporter avec moi, pour en porter le fardeau.

« De votre corps. » Ces membres, ce sont les Fidèles prédestinés; ce corps, c'est

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soit plus moi qui vive et qui souffre, mais que ce soit vous qui viviez et qui souffriez en moi, ô mon Sauveur! et qu'ainsi ayant quelque petite part à vos souffrances, vous me remplissiez entièrement de la gloire qu'elles vous ont acquise, dans laquelle vous vivez avec le Père et le Saint-Esprit, par tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

la totalité des Fidèles ou l'Église terrestre, qui ne sera consommée qu'à la fin du

monde.

« Dans laquelle. » On sait que ce qui suit est la formule par laquelle se terminent d'ordinaire et les prières de l'Église, et les prédications chrétiennes. On a dù admirer dans ce morceau, si éloigné d'ailleurs de nos sentiments et de nos idées, le même caractère que l'éloquence de Pascal présente partout, l'alliance d'une imagination passionnée avec une précision et une rigueur géométriques. Il semble, dit M. Nisard (Histoire de la littérature française, tome II), qu'on devrait trouver dans >> une prière quelque abandon, quelque enthousiasme, une confiance qui ne pèse plus » ses motifs... Celle de Pascal n'a point ce caractère. C'est une argumentation pas>>sionnée, dans laquelle un homme mortel raisonne avec Dieu... Ce n'est ni par >> l'enthousiasme du psalmiste, ni par l'imagination échauffée des ascètes que cette prière s'élève; c'est par des raisons qui se déduisent les unes des autres, et se >> succèdent comme les degrés d'une échelle mystique. On sent qu'aucun échelon ne ⚫ manquera sous les pieds de Pascal. »

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Nous avions trouvé dans la Lettre sur la mort d'Etienne Pascal ce même raisonnement exact et serré, mais s'exerçant sur des allégories subtiles et parfois bizarres. Cette lettre n'est que rarement touchante, malgré le respect qu'inspire les sentiments naturels et les sentiments religieux qui l'ont dictée. Ici Pascal est vraiment éloquent, et, sans nous persuader toujours, il nous émeut. Nous contemplons avec une admiration douloureuse ces efforts énergiques, non pour étouffer les plaintes de la nature qui souffre, mais pour la fortifier; non pour trouver le repos dans un endurcissement orgueilleux, ou la joie dans les illusions d'une imagination trompée, mais pour faire descendre du sein d'un Dieu, idéal de sainteté et d'amour, la patience qui supporte le mal et la vertu qui s'y épure.

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Le respect que l'on porte à l'antiquité est aujourd'hui à tel point, dans les matières où il doit avoir moins de force, que l'on se fait des oracles de toutes ses pensées, et des mystères 2 même de ses obscurités; que l'on ne peut plus avancer de nouveautés sans péril, et que le texte d'un auteur suffit pour détruire les plus fortes raisons...

Ce n'est pas que mon intention soit de corriger un vice par un autre, et de ne faire nulle estime des anciens, parce que l'on en fait trop. Je ne prétends pas bannir leur autorité pour relever le raisonnement tout seul, quoique l'on veuille établir leur autorité seule au préjudice du raisonnement.

Pour faire cette importante distinction' avec attention, il faut considérer que les unes dépendent seulement de la mémoire, et sont purement historiques, n'ayant pour objet que de savoir ce que les

1 << Fragment. » Ce morceau forme le premier article de l'édition de Bossut, qui l'a publié le premier et l'a intitulé : De l'autorité en matière de philosophie. M. Cousin, dans son livre Des Pensées de Pascal, fait remarquer combien ce morceau est pénétré de l'esprit de Descartes, et avec quelle force il établit les droits de la raison en matière de philosophie naturelle. Il reconnaît là une inspiration d'une autre nature et d'une autre date que celle des Pensées; il ajoute : « Je soupçonne que ce >> morceau est de l'époque où Pascal était tout occupé de sciences, à peu près du » temps de la lettre à M. Le Pailleur, sur le vide, ou de celle à M. Ribeyre, let>> tres qui sont de l'année 1617 et de l'année 1654. Ce sont les mêmes principes » et le même ton à la fois grave et animé. Aussi ce petit traité n'est-il pas dans >> notre manuscrit [c'est-à-dire dans le manuscrit autographe]. » M. Faugère a retrouvé ce morceau dans les manuscrits du P. Guerrier, avec ce titre : Préface sur le traité du vide, qui justifie les conjectures de M. Cousin. En effet, dans la lettre à M. Ribeyre, on lit : « Vous les verrez bientôt [les conséquences] dans un traité » que j'achève, et que j'ai déjà communiqué à plusieurs de nos amis, où l'on con>> naîtra quelle est la véritable cause de tous les effets que l'on a attribués à l'hor>> reur du vide. » Pascal n'a point achevé ce traité, qu'il promettait déjà dans le Récit de l'expérience du Puy-de-Dôme (1648); il s'est borné à écrire les deux petits traités sur l'Équilibre des liqueurs et sur la Pesanteur de l'air, réunis en un corps d'ouvrage par des conclusions; ils n'ont paru qu'après sa mort. On a trouvé aussi et publié en même temps deux fragments du grand traité qu'il avait projeté, avec cet intitulé Part. I, liv. In, chap. 4er, sect. 2 et 3, et des Tables des variations du poids de l'air. Voir la note 44 sur la Vie de Pascal.-M. Faugère a donné le véritable texte de ce fragment, qui avait été un peu altéré par Bossut.

2 « Et des mystères. » Ce mot est ici dans toute sa force; il ne signifie pas seulement des obscurités, mais des obscurités sacrées et vénérables.

3 « Distinction. » La distinction entre les deux sortes de connaissances que l'homme peut poursuivre.

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