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ON entrevoit un peu mieux ici comment l'ufage de la parole s'établit ou fe perfectionne infenfiblement dans le fein de chaque famille, & l'on peut conjecturer encore comment diverses causes particuliéres purent étendre le langage, & en accélerer le progrès en le rendant plus néceffaire. De grandes inondations ou des tremblemens de terre environnérent d'eaux ou de précipices des Cantons habités; Des revolutions du Globe détachérent & coupérent en Iles des portions du Continent. On conçoit qu'entre des hommes ainfi rapprochés, & forcés de vivre enfemble, il dut fe former un Idiome commun plûtôt qu'entre ceux qui erroient librement dans les forêts de la Terre ferme. Ainfi il est très poffible qu'après leurs premiers effais de Navigation, des Infulaires ayent porté parmi

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parmi nous l'ufage de la parole; & il eft au moins très vraisemblable que la Société & les langues ont pris naiffance dans les Iles, & s'y font perfectionnées avant que d'être connues dans le Continent.

TOUT commence à changer de face. Les hommes errans jufqu'ici dans les Bois, ayant pris une affiéte plus fixe, fe rapprochent lentement, fe réuniffent en diverfes troupes, & forment enfin dans chaque contrée une Nation particuliére, unie de mœurs & de caractéres, non par des Réglemens & des Loix, mais par le même genre de vie & d'alimens, & par l'influence commune du Climat. Un voifinage permanent ne peut manquer d'engendrer enfin quelque liaifon entre diverses familles. De jeunes gens de differens féxes habitent des Cabanes voifines, le commerce

paffager

paffager que demande la Nature en améne bientôt un autre non moins doux & plus permanent par la fréquentation mutuelle. On s'accoûtume à confidérer differens objets, &

à faire des comparaifons; on acquiert infenfiblement des idées de mérite & de beauté qui produifent des fentimens de préférence. A force de fe voir, on ne peut plus fe paffer de fe voir encore. Un fentiment tendre & doux s'infinue dans l'ame, & par la moindre oppofition devient une fureur impétueufe: la jaloufie s'éveille avec l'amour; la Difcorde triomphe, & la plus douce des paffions reçoit des facrifices de fang humain.

A MESURE que les idées & les fentimens fe fuccédent, que l'efprit & le cœur s'éxercent, le Genre- humain continue à s'apprivoifer, les liaifons s'étendent & les liens fe reffer

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refferrent. On s'accoûtuma à s'affembler devant les Cabanes ou autour d'un grand Arbre: le chant & la danfe, vrais enfans de l'amour & du loifir, devinrent l'amusement ou plûtôt l'occupation des hommes & des femmes oififs & attroupés. Chacun commença à regarder les autres & à vouloir être regardé foi-même, & l'eftime publique eut un prix. Celui qui chantoit ou danfoit le mieux; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus confideré, & ce fut là le premier pas vers l'inégalité, & vers le vice en même tems: de ces prémiéres préférences nâquirent d'un côté la vanité & le mépris, de l'autre la honte & l'envie; & lá fermentation causée par ces nouveaux levains produifit enfin des compofés funeftes au bonheur & à l'innocen

ce.

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SITÔT que les hommes eurent commencé à s'apprecier mutuellement & que l'idée de la confidération fut formée dans leur efprit, chacun prétendit y avoir droit, & il ne fut pius poffible d'en manquer impunément pour perfonne. De là fortirent les premiers devoirs de la civilité, même parmi les Sauvages, & delà tout tort volontaire devint un outrage, parce qu'avec le mal qui réfultoit de l'injure, l'offenfé y voyoit le mépris de fa perfonne fouvent plus infuportable que le mal même. C'est ainfi que chacun puniffant le mépris qu'on lui avoit témoigné d'une maniére proportionnée au cas qu'il faifoit de lui-même, les vengeances devinrent terribles, & les hommes fanguinaires & cruèls. Voilà précisement le degré où étoient parvenus la plupart des Peuples Sauvages qui

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nous

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