Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Pag. 34.

(*7.) UN Auteur célébre calculant les biens & les maux de la vie humaine & comparant les deux fommes, a trouvé que la derniére furpaffoit l'autre de beaucoup, & qu'à tout prendre la vie étoit pour l'homme un affés mauvais préfent. Je ne fuis point furpris de fa conclufion; il a tiré tous fes raifonnemens de la conftitution de l'homme Civil: s'il fût remonté jufqu'à l'homme Naturel, on peut juger qu'il eût trouvé des refultats très différens, qu'il eût apperçu que l'homme n'a guéres de maux que ceux qu'il s'eft donnés lui-même, & que la Nature eût été juftifiée. Ce n'eft pas fans peine que nous fommes parvenus à nous rendre fi malheureux. Quand d'un côté l'on confidére les immenfes travaux des hommes, tant de Sciences approfondies, tant d'arts inventés; tant de forces employées; des abimes comblés, des montagnes rafées, des rochers brifés, des fleuves rendus navigables, des terres défrichées, des lacs creufés, des marais deffechés, des batimens énormes élevés fur la terre, la mer

[ocr errors]

cou

[ocr errors]

couverte de Vaiffeaux & de Matelots; & que de l'autre on recherche avec un peu de meditation les vrais avantages qui ont refulté de tout cela pour le bonheur de l'efpéce hu maine; on ne peut qu'être frappé de l'étonnante difproportion qui régne entre ces chofes, & déplorer l'aveuglement de l'homme qui, pour nourrir fon fol orgueil & je ne fais quelle vaine admiration de lui-même, le fait courrir avec ardeur après toutes les miféres dont il eft fufceptible, & que la bienfaisante Nature avoit pris foin d'écarter de lui.

Les hommes font méchans; une trifte & continuelle experience difpenfe de la preuve; cependant l'homme eft naturellement bon, je crois l'avoir demontré; qu'eft - ce donc qui peut l'avoir dépravé à ce point, finon les changemens furvenus dans fa conftitution, les progrès qu'il a faits, & les connoiffances qu'il a acquifes? Qu'on admire tant qu'on voudra la Société humaine, il n'en fera pas moins vrai qu'elle porte néceffairement les hommes à s'entre-hair à proportion que leurs intérêts fe croifent, à fe rendre mutuellement des fervices apparens & à fe faire en effet tous les 04

maux

[ocr errors]

maux imaginables. Que peut on penfer d'un commerce où la raifon de chaque particulier lui dicte des maximes directement contraires à celles que la raifon publique préche au corps de la Société, & où chacun trouve fon compte dans le malheur d'autrui? Il n'y a peut-être pas un homme aifé à qui des héritiers avides & fouvent fes propres enfans ne fouhaitent la mort en fecret; pas un Vaiffeau en Mer dont le naufrage ne fût une bonne nouvelle pour quelque Négociant; pas une maifon qu'un débiteur ne voulût voir bruler avec tous les papiers qu'elle contient; pas un Peuple qui ne fe réjouiffe des defaftres de fes voifins. C'eft ainfi que nous trouvons notre avantage dans le préjudice de nos femblables, & que la perte de l'un fait presque toujours la profpérité de l'autre mais ce qu'il y a de plus dangereux encore, c'eft que les calamités publiques font l'attente & l'efpoir d'une multitude de particuliers. Les uns veulent des maladies, d'autres la mortalité, d'autres la guerre, d'au tres la famine; j'ai vû des hommes affreux pleurer de douleur aux apparences d'une année fertile, & le grand & funefte incendie de

Lon

Londres qui coûta la vie ou les biens à tant de malheureux, fit peut-être la fortune à plus de dix mille perfonnes. Je fais que Montagne blâme l'Athenien Démades d'avoir fait punir un Ouvrier qui vendant fort cher des cercueils gagnoit beaucoup à la mort des Citoyens: Mais la raifon que Montagne allégue étant qu'il faudroit punir tout le monde, il est évident qu'elle confirme les miennes. Qu'on pénétre donc au travers de nos frivoles démonftrations de bienveillance ce qui fe paffe au fond des cœurs, & qu'on refléchiffe à ce que doit être un état de chofes où tous les hommes font forcés de fe careffer & de fe détruire mutuellement, & où ils naiffent ennemis par devoir & fourbes par intérêt. Si l'on me répond que la Société eft tellement conftituée que chaque homme gagne à fervir les autres; je répliquerai que cela feroit fort bien s'il ne gagnoit encore plus à leur nuire. Il n'y a point de profit fi légitime qui ne foit furpaffé par celui qu'on peut faire illégitimement, & le tort fait au prochain est toûjours plus lucratif que les fervices. Il ne s'agit donc plus que de trouver les moyens de s'af

[ocr errors][merged small]

furer l'impunité, & c'est à quoi les puiffans employent toutes leurs forces, & les foibles toutes leurs rufes.

L'HOMME Sauvage, quand il a diné, est en paix avec toute la Nature, & l'ami de tous fes femblables. S'agit il quelquesfois de difputer fon repas? Il n'en vient jamais aux coups fans avoir auparavant comparé la difficulté de vaincre avec celle de trouver ailleurs fa fubfiftance; & comme l'orgueil ne fe mêle pas du combat, il fe termine par quelques coups de poing; Le vainqueur mange, le vaincu va chercher fortune, & tout eft pa-. cifié mais chez l'homme en Société, ce font bien d'autres affaires; il s'agit premiérement de pourvoir au nécessaire, & puis au superflu; enfuite viennent les délices, & puis les immenfes richesses, & puis des sujets, & puis des Efclaves; il n'a pas un moment de relâche; ce qu'il y a de plus fingulier, c'est que moins les befoins font naturels & preffans plus les paffions augmentent, &, qui pis est, le pouvoir de les fatisfaire; de forte qu'après de longues profpérités, .après avoir englouti bien des tréfors & defolé bien des hommes,

mon

« ZurückWeiter »