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donc parler pour avoir des idées générales; car fitôt que l'imagination s'arrête, l'efprit ne marche plus qu'à l'aide du difcours. Si donc les premiers Inventeurs n'ont pu donner des noms qu'aux idées qu'ils avoient déjà, il s'enfuit que les premiers fubftantifs n'ont pu jamais être que des noms propres.

MAIS lorsque, par des moyens que je ne conçois pas, nos nouveaux Grammairiens commencérent à étendre leurs idées & à généraliser leurs mots, l'ignorance des Inventeurs dut affujetir cette methode à des bornes fort étroites; & comme ils avoient d'abord trop multiplié les noms des individus faute de connoître les genres & les efpéces, ils firent enfuite trop peu d'efpéces & de genres faute d'avoir confidéré les Etres par toutes leurs différences. Pour pouffer les divifions

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vifions affez loin, il eut fallu plus d'expérience & de lumiére qu'ils n'en pouvoient avoir, & plus de recherches & de travail qu'ils n'y en vouloient employer. Or fi, même aujourd'hui, l'on découvre chaque jour de nouvelles efpéces qui avoient échappé jufqu'ici à toutes nos obfervations, qu'on pense combien il dut s'en dérober à des hommes qui ne jugeoient des chofes que fur le premier afpect! Quant aux Claffes primitives & aux notions les plus générales, il eft fuperflu d'ajoûter qu'elles durent leur échapper encore: Comment, par exemple, auroient-ils imaginé ou entendu les mots de matiére, d'efprit de fubftance, de mode, de figure, de mouvement, puisque nos Philofophes qui s'en fervent depuis fi long tems ont bien de la peine à les entendre eux mêmes, & que les

idées qu'on attache à ces mots étant purement Métaphyfiques, ils n'en trouvoient aucun modéle dans la Nature?

Je m'arrête à ces premiers pas, & je fup. plie mes Juges de fufpendre ici leur Lecture; pour confiderer, fur l'invention des feuls fubftantifs Phyfiques, c'eft-à-dire, fur la partie de la Langue la plus facile à trouver, le chemin qui lui refte à faire, pour exprimer toutes les penfées des hommes, pour prendre une forme constante, pouvoir être parlée en public, & influer fur la Société : Je les fupplie de réflechir à ce qu'il a fallu de tems, & de connoiffances pour trouver les nombres, (* 11.) les mots abftraits, les Aoris-(*11.) tés, & tous les tems des Verbes, les particules, la Sintaxe, lier les Propofitions, les raifonnemens, & former toute la Logique

du Difcours. Quant à moi, effrayé des dif ficultés qui fe multiplient, & convaincu de l'impoffibilité presque démontrée que les Langues ayent pû naître, & s'établir par des moyens purement humains, je laiffe à qui voudra l'entreprendre la difcuffion de ce difficile Problême, lequel a été le plus néceffaire, de la Société déjà liée, à l'institution des Langues, ou des Langues déjà inventées, à l'établissement de la Société.

QUOIQU'IL en foit de ces origines, on voit du moins, au peu de foin qu'a pris la Nature de rapprocher les Hommes par des befoins mutuels, & de leur faciliter l'ufage de la parole, combien elle a peu préparé leur Sociabilité, & combien elle a peu mis du fien dans tout ce qu'ils ont fait, pour en établir les liens. En effet, il eft impoffible

d'imaginer pourquoi dans cet état primitif, un homme auroit plûtôt befoin d'un autre homme qu'un finge ou un Loup de fon femblable, ni, ce befoin fuppofé, quel motif pourroit engager l'autre à y pourvoir, ni même, en ce dernier cas, comment ils pourroient convenir entre eux des conditions, Je fçai qu'on nous répéte fans ceffe que rien n'eût été fi miférable que l'homme dans cet état; & s'il eft vrai, comme je crois l'avoir prouvé, qu'il n'eût pu, qu'après bien des Siécles, avoir le défir, & l'occafion d'en fortir, ce feroit un Procès à faire à la Nature, & non à celui qu'elle auroit ainfi constitué; Mais, fi j'entends bien ce terme de miferable, c'est un mot qui n'a aucun fens, ou qui ne fignifie qu'une privation douloureuse & la fouffrance du Corps ou de l'ame: Or je voudrois

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