drois bien qu'on m'expliquât quel peut-être le genre de mifére d'un être libre, dont le cœur eft en paix, & le corps en fanté. Je demande laquelle, de la vie Civile ou naturelle, eft la plus fujette à devenir infupporta ble à ceux qui en jouiffent? Nous ne voyons presque autour de nous que des Gens qui fe plaignent de leur exftience; plufieurs mêmes qui s'en privent autant qu'il eft en eux, & la réunion des Loix divine & humaine fuffit à peine pour arrêter ce defordre; Je demande fi jamais on a ouï dire qu'un Sauvage en liberté ait feulement fongé à fe plaindre de la vie & à fe donner la mort? Qu'on juge donc avec moins d'orgueil de quel côté eft la véritable mifére. Rien au contraire n'eût été fi miférable que l'homme Sauvage, ébloui par des lumieres, tourmenté par des Paffions, & & raifonnant fur un état différent du fien. Ce fut par une Providence très fage, que les facultés qu'il avoit en puiffance ne devoient fe développer qu'avec les occafions de les exercer, afin qu'elles ne lui fuffent ni fu perflues & à charge avant le tems, ni tardives, & inutiles au befoin. Il avoit dans le feul instinct tout ce qu'il lui falloit pour vi vre dans l'état de Nature, il n'a dans une raifon cultivée que ce qu'il lui faut pour vi vre en fociété. IL paroît d'abord que les hommes dans cet état n'ayant entre eux aucune forte de relation morale, ni de devoirs connus, ne pouvoient être ni bons ni méchans, & n'avoient ni vices ni vertus, à moins que, prenant ces mots dans un fens phyfique, on n'appelle vices dans l'individu, les qualités qui peu vent nuire à fa propre confervation & vertus celles qui peuvent y contribuer; auquel cas, il faudroit appeller le plus vertueux, celui qui réfifteroit le moins aux fimples impulfions de la Nature: Mais fans nous écarter du fens ordinaire, il est à propos de fufpendre le jugement, que nous pourrions porter fur une telle fituation, & de nous defier de nos Préjugés, jusqu'à ce que, la Balance à la main, on ait examiné s'il y a plus de vertus que de vices parmi les hommes civilifés, ou fi leurs vertus font plus avantageufes que leurs vices ne font funeftes, ou fi le progrès de leurs connoiffances est un dédommagement fuffifant des maux qu'ils fe font mutuellement, à mesure qu'ils s'inftruisent du bien qu'ils devroient se faire, ou s'ils ne feroient pas, à tout prendre, dans 7 dans une fituation plus heureufe de n'avoir ni mal à craindre ni bien à efperer de perfonne, que de s'être foumis à une dépendance univerfelle, & de s'obliger à tout recevoir de ceux qui ne s'obligent à leur rien donner.. N'ALLONS pas furtout conclure avec Hobbes que pour n'avoir aucune idée de la bonté, l'homme foit naturellement méchant, qu'il foit vicieux parce qu'il ne connoît pas la vertu, qu'il refufe toujours à fes femblables des fervices qu'il ne croit pas leur devoir, ni qu'en vertu du droit qu'il s'attribue avec raison aux chofes dont il a befoin, il s'imagine follement être le feul propriétaire de tout l'Univers. Hobbes a très bien vû le défaut de toutes les définitions modernes du droit Naturel: mais les conféquences qu'il tire de la fienne, montrent qu'il la prend dans un fens, qui n'eft pas moins faux. En raifonnant fur les principes qu'il établit, cet Auteur devoit dire que l'état de Nature étant celui où le foin de nôtre confervation est le moins préjudiciable à celle d'autrui, cet état étoit par conféquent le plus propre à la Paix, & le plus convenable au Genre-humain. Il dit précisément le contraire, pour avoir fait entrer mal à propos dans le foin de la confervation de l'homme Sauvage, le befoin de fatisfaire une multitude de paffions qui font l'ouvrage de la Société, & qui ont rendu les Loix néceffaires. Le mechant, dit-il, eft un Enfant robuste; Il reste à favoir fi l'Homme Sauvage est un Enfant robuste; Quand on le lui accorderoit, qu'en conclueroit-il? Que fi, quand il eft robufte, cet homme |