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doute de ce grand garçon maigre, ébouriffé, questionneur, qu'ils ont si courtoisement accueilli; lui, du moins, il ne les a pas oubliés, et, au déclin de l'âge, leur nom vit encore dans sa mémoire. Parmi les capitaines attachés à l'état-major général, il en était un vers lequel je me sentais attiré de préférence. C'était un homme de trente-deux ans, d'éducation et de façons délicates, bien pris dans sa petite taille, volontiers silencieux, empressé à rendre service, portant haut la tête comme ceux dont toute pensée peut être devinée, excellent cavalier, amoureux du métier des armes et ayant grand air avec sa belle moustache blonde, son ferme regard et sa physionomie intelligente. Nous faisions fréquemment de longues courses à cheval aux environs d'Alger. C'était le capitaine de Cissey.

Vous rappelez-vous, mon général, le petit cheval isabelle que vous me prêtiez? Un jour il était tombé fourbu à la suite de fatigues excessives, avait été sauvé par le dévoûment de vos ordonnances qui se relayèrent pour le frictionner jusqu'à ce qu'il fut remis sur pied. Il a voulu me jeter bas près de la maison carrée, sous prétexte qu'un chameau lui faisait peur; mais il n'a pas réussi, et je ne lui en ai pas gardé rancune. C'était un brave animal, plein de cœur et que vous aimiez. Vous le montiez à l'Alma, lorsque, en qualité de chef d'état-major de Bosquet, vous dirigiez le mouvement tournant qui devait nous assurer la victoire; pendant toute cette campagne de Crimée, où vous fûtes valeureux parmi les plus valeureux, ce pauvre barbe un peu dépaysé, mais toujours vaillant, restait, comme vous, impassible, sous le feu des Russes. Vous avez dû le regretter lorsque vous étiez sous Metz, lorsque, debout jour et nuit, vous teniez les troupes allemandes en échec, lorsqu'à Rézonville, manœuvrant comme à la parade, vous renversiez tout obstacle et que vous ouvriez à l'armée française la route qu'elle aurait dû prendre et qui nous sauvait peut-être si l'on vous eût suivi, si l'on vous cût écouté. Ce furent là vos grands combats; l'Allemagne, en comptant ses pertes, apprit à vous craindre et parla de vous, je le sais, comme de son plus redoutable adversaire. Tant de gloire, tant de périls affrontés, tant de dévoûment au pays, tant de souci pour l'honneur de la France, tant d'éclatante loyauté n'ont pas désarmé la haine et l'envie. Votre plus rude bataille n'a été ni en Algérie, ni en Crimée, ni en Lorraine; il vous a fallu la livrer dans le prétoire des tribunaux et dans la salle des commissions, des inquisitions, parlementaires. Ceux qui ont tenté cette aventure et qui ont cru qu'ils pouvaient vous diminuer, auraient dû savoir que votre vie héroïque vous a fait invulnérable, même à la calomnie.

MAXIME DU CAMP.

LA

QUESTION MONÉTAIRE

Il faut le moins qu'on peut toucher aux vieilles choses. Une maison est commode, on y vit sans inquiétude; une réparation cependant paraît utile, les ouvriers la déclarent urgente. Leurs travaux chaque jour révèlent un inconvénient nouveau; la charpente est vermoulue, les murs lézardés, les fondations ruinées; on hésite, on prend conseil; les ingénieurs et les architectes ne sont d'accord que sur un point: il faut faire de grands travaux et les payer. Le mal était latent, le premier coup de pioche l'a révélé, et le propriétaire se demande avec regret s'il n'aurait pas pu ignorer tant d'embarras et les léguer à ses héritiers.

Pareille chose arrive, ou peu s'en faut, avec le système monétaire des nations modernes. Tout allait bien; ceux qui trouvaient l'argent rare n'en accusaient pas l'abondance de l'or, le prix du change avait sa place dans le budget des voyageurs, les négocians en tenaient compte dans des calculs familiers au moindre commis, les conventions se faisaient en conséquence, et personne ne se plaignait. Une réforme tout à coup est demandée; urgente, suivant les uns, elle est, suivant les autres, inutile et périlleuse. L'abondance de l'or californien et australien, succédant au développement des exploitations de l'Oural, a d'abord donné l'alarme; une première commission proposa sagement d'attendre, une seconde lui succéda, puis une troisième, et dans tous les pays de l'Europe on a, sans rien résoudre, continué depuis vingt ans à enquérir et à débattre. Une opinion souvent approuvée par une majorité qui ne s'accroît pas, mais énergiquement repoussée par des adversaires convaincus, est la nécessité d'un étalon unique. Quelques nations ont la seule

monnaie d'or, comme l'Angleterre; d'autres, la monnaie d'argent, comme l'Inde; d'autres enfin, la France est du nombre, transformaient naguère encore les lingots, de quelque part qu'on les apportât, en pièces d'or ou en pièces d'argent de valeur fixée par la loi. Ce double étalon, cet emploi simultané de deux monnaies également libératoires, comme il vaut autant dire, car on n'a pas réussi, malgré de grands efforts, à établir une distinction intelligible entre les deux idées, est contraire aux principes de l'économie politique.

« L'économie politique, écrivait en 1867 un publiciste dont l'autorité était grande, démontre avec une rigueur égale à celle dont se vantent à bon droit les mathématiciens, qu'il ne peut y avoir dans la monnaie d'un état qu'un seul étalon. »>

Si la proposition, énoncée déjà en 1808 par lord Liverpool et depuis près de deux siècles par William Petty, Locke et Harris, avait la certitude que, forcé par la démonstration, on ne peut refuser aux vérités géométriques, on serait aujourd'hui d'accord; car, si c'est une entreprise difficile d'amener les autres à nos sentimens et à nos goûts, c'en est une très aisée, en restant dans le cercle étroit d'une question nettement posée, de mettre les preuves dans leur jour pour en dégager l'évidence.

L'usage simultané des deux métaux, l'or et l'argent, comme monnaie légale et libératoire, présente des inconvéniens et des dangers attestés par la dédaigneuse assurance de ses savans adversaires. Il a aussi ses avantages; la conviction persistante et la verve de ses défenseurs permet difficilement de le nier. Le plus grand de tous frappe les yeux : les deux métaux acceptés pour monnaie dans le monde entier étaient hier encore chez de grandes nations sur un pied de complète égalité. La France, depuis trois quarts de siècle, s'en servait sans dommage et sans gêne, et tout changement brusque est un mal.

Ces inconvéniens et ces avantages, énumérés avec complaisance, défendus avec chaleur, exagérés avec passion, dans toutes les langues, ne sont pas de nature homogène : comment les comparer avec précision? Ist-il sage de racheter par des difficultés immédiates et de ruineuses dépenses des dangers incertains entrevus dans l'avenir? Vaut-il mieux, si le maintien des prix est impossible, se résigner au renchérissement des denrées dont tant de gens souffrent et se plaignent, ou procurer avec une baisse générale l'appauvrissement de tous les producteurs?

Les économistes hésitent rarement, mais ils se partagent. Ils ont tout discuté, porté la lumière sur tous les points, aucun n'est inaccessible, un esprit attentif peut en s'y appliquant pénétrer sans étude préalable tous les détails de la question, traduire les raison

nemens dans la langue commune, et, comme conclusion, rester dans le doute.

Une démonstration est rigoureuse ou imparfaite, une preuve décisive ou douteuse, une assertion vraie ou fausse, vague ou précise, c'est ainsi qu'on doit les classer, et la saine critique peut marquer le point faible d'une argumentation ou d'une théorie, sans mépriser chez celui-ci l'ignorance de la logique des géomètres, accuser cet autre de mal comprendre les déductions historiques, ou reprocher plus vaguement, mais avec plus d'orgueil encore, à ses adversaires de méconnaître la méthode scientifique. Aucune méthode ne garantit de l'erreur un esprit superficiel ou prévenu, aucune n'y condamne un esprit droit et attentif.

Dans les raisonnemens plus encore que dans les échanges, la fausse monnaie se glisse parmi la bonne, aucune marque n'en met à l'abri.

I.

Disons d'abord quelle est la question.

La monnaie d'or, depuis l'antiquité, est en usage chez tous les peuples, aussi bien que la monnaie d'argent; et l'on a accepté, sans difficulté et sans lutte, toutes les vicissitudes du rapport de valeur, variable d'un siècle à l'autre, entre les pièces de métal différent.

L'or vaut à poids égal quinze fois et demie autant que l'argent ; tel est depuis un siècle le rapport adopté par notre législation monétaire. Quiconque possédait un lingot d'or ou un lingot d'argent au titre légal pouvait, il y a quelques années encore, les faire transformer à la Monnaie en pièces de 20 francs ou en pièces d'argent de 5 francs; on reconnaissait en même temps à chacun le droit de mettre au creuset les pièces qui lui appartiennent, et il serait superflu de le rappeler, si cet exercice si simple du droit de propriété n'avait été puni sous l'ancien régime par le carcan et les galères, dans certains cas même par la mort.

Chacun peut aujourd'hui transformer en lingots son argent et son or, mais en aucun pays d'Europe on ne frappe de monnaie d'argent pour les particuliers. Le monnayage de l'or, au contraire, reste libre. A Paris, à Londres, à Berlin, à Utrecht, à Stockholm, comme à Washington, on transforme presque gratuitement en francs, en guinées, en marks, en florins ou en dollars, les lingots d'or qu'on y présente.

Le prix des lingots d'argent a baissé: c'est la cause, disent quelques-uns, le résultat, affirment les autres, des décisions nouvellement prises. Le doute ne semble pas permis. Si la Monnaie de

Paris avait continué, comme elle le faisait depuis le commencement du siècle, à transformer sans frais 1 kilogramme d'argent en quarante pièces de 5 francs, il n'y a pas apparence qu'on consentît en aucun point du globe à vendre des lingots à un prix beaucoup moindre. Les frais de transport seuls feraient la différence.

Trente et un kilogrammes d'argent, qui s'échangeaient naguère contre 2,000 grammes d'or, n'en valent plus que 1,700; demain peut-être, disent les gens les mieux informés de l'avenir, ils n'en vaudront que 1,500!

A cela où est le grand mal? Lorsque le vin est à bon marché, les acheteurs en profitent, et aucune commission pour favoriser les vendeurs ne cherche à relever les prix. Pourquoi cette sollicitude pour les vendeurs d'argent? C'est que l'argent monnayé n'est pas une marchandise comme d'autres; tout le monde en est vendeur.

Quiconque fait un achat vend son argent au marchand, qui le paie de sa marchandise; la baisse de l'argent inquiète ou intéresse tout le monde. L'employé qui gagne 3,000 francs, le rentier qui possède 3,000 francs de rente, le propriétaire qui a affermé sa terre 3,000 francs, n'ont rien à réclamer quand on leur a donné 15 kilogrammes d'argent transformés en monnaie; il leur importe fort que le kilogramme d'argent conserve sa valeur.

La loi a fixé le titre et le poids de la pièce de 5 francs, le titre et le poids de la pièce de 20 francs; si des contradictions en résultent, il faut les concilier. Le jour où quatre pièces de 5 francs irréprochables vaudront moins ou vaudront plus qu'une pièce de 20 francs, il sera démontré que nos législateurs ont eu sans le savoir un poids et un poids, et tenu, sans le vouloir, une balance inégale. Les discussions et les rapports qui ont préparé la loi monétaire de l'an x leur avaient signalé le danger, ils ont passé outre leur décision est notre règle; si elle a été imprudente, l'état est responsable; il le sait et ne veut plus se compromettre en prêtant par son empreinte à 25 grammes d'argent la valeur de 5 francs, devenue, en dépit de la définition légale, conventionnelle et fictive. On frappe encore des pièces de 20 francs, mais le jour où 6 grammes 65 centigrammes d'or vaudront à Paris plus que quatre pièces de 5 francs, le balancier de la Monnaie s'arrêtera de lui-même; personne sans doute n'ira lui demander de déguiser par une marque trop faible la valeur réelle de son or; les pièces déjà frappées seront exportées ou fondues, et nous serons réduits à la monnaie d'argent.

Nos pièces de 5 francs, protégées par une longue habitude, n'ont rien perdu jusqu'ici en France de leur valeur par rapport à l'or; mais dans l'Inde ou en Chine, en Angleterre même, quarante pièces

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