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sont aujourd'hui en France. La monnaie d'or, cependant, ne disparaîtrait pas; un autre principe, érigé en axiome: La mauvaise monnaie chasse la bonne, resterait sans application, car l'argent, dans l'hypothèse admise, étant accepté par tous, l'or pour s'enfuir n'aurait aucun refuge.

Les gouvernemens les plus habiles, en se refusant à un tel accord, ne ferment pas les yeux à leurs intérêts, ils les détournent seulement des convenances du voisin. L'acceptation simultanée de l'or et de l'argent, convertis sans limite en monnaie, procurerait l'accroissement continu de tous les prix; la démonétisation générale de l'argent non-seulement l'arrêterait pour un temps, mais le remplacerait par une forte baisse. C'est là le point essentiel de la question. La crainte de voir changer le rapport des valeurs, si tous étaient d'accord pour le maintenir, ne résiste pas à l'examen.

Lorsque la France ouvrait sans limite ses ateliers monétaires aux lingots d'or et d'argent transformés en monnaies également libératoires, le prix des lingots ne pouvait différer de celui des pièces : la transformation pouvait se faire immédiatement et sans frais, soit des lingots en monnaie, soit de la monnaie en lingots, et le rapport des prix ne pouvait s'abaisser ou s'élever, puisque les deux monnaies, également libératoires, également reçues pour le paiement des impôts et des droits de douane, également échangées à la banque contre des billets, également données par elle dans ses paiemens, n'avaient l'une sur l'autre aucun avantage. Le rapport fixé par la loi s'est en effet, pendant soixante-dix ans, maintenu à peu près constant.

La démonstration est bonne. La rigueur, cependant, il ne faut pas le cacher, n'en est pas égale à celle dont se vantent à bon droit les mathématiciens. Le maintien du rapport reposait sur la présence simultanée des deux monnaies toujours échangeables au cours légal; si l'une d'elles, la plus recherchée naturellement, disparaissait complètement du pays, les étrangers ne voudraient plus échanger contre elle les lingots avec lesquels se fabrique l'autre, et leur valeur alors pourrait baisser; si l'or devenait assez rare en France et était assez recherché pour que les orfèvres eussent avantage à convertir les pièces de monnaie en bracelets et en colliers, notre loi monétaire deviendrait impuissante à empêcher le kilogramme d'or de valoir 20 kilogrammes d'argent. Cette objection, théoriquement irréfutable, a été écartée comme reposant sur une hypothèse impossible. L'or, a-t-on dit, ne disparaît pas tout à coup; quand il devient rare, son prix s'élève, et la hausse, en accroissant l'offre, devient une cause de baisse. Cela est vrai, mais c'est confondre un raisonnement juste avec une preuve rigoureuse que vouloir sur cette

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observation faire reposer la certitude. La fuite de l'or fait naître une force qui le retient et tend à le ramener, mais la puissance de cette force n'est pas irrésistible.

Le bimétallisme de la France est un régulateur puissant du rapport entre les prix des deux métaux. Pendant soixante-dix ans, il a fait ses preuves, mais les circonstances peuvent le briser.

Supposons, pour le démontrer en toute rigueur, que l'Allemagne, en 1873, au lieu de faire fondre des thalers d'argent, ait adopté le bimétallisme, en substituant au rapport 15 1/2, entre la valeur de l'or et celle de l'argent, un rapport plus élevé, 16, par exemple.

S'il était vrai que la loi française puisse avec certitude imposer le rapport 45 1/2 sur le marché monétaire, la loi allemande, par la même raison, imposerait le rapport 16; ces deux rapports ne peuvent exister ensemble; la démonstration pourrait s'arrêter là. Qu'arriverait-il cependant si les deux nations, conservant les rapports différens 15 1/2 et 16, s'obstinaient l'une et l'autre à maintenir la frappe libre? L'or français, de lui-même, s'écoulerait vers l'Allemagne, et les thalers allemands viendraient à Paris se faire transformer en pièces de 5 francs. Un spéculateur, en effet, qui porterait à la Monnaie de Berlin 1,000 kilogrammes de pièces d'or françaises pour faire frapper un poids égal de marks pourrait échanger ces marks contre 16,000 kilogrammes de thalers d'argent qui, rapportés à Paris et transformés en pièces de 5 franes, assureraient pour l'opération 100,000 francs de bénéfices. Ce trafic rapide et facile pourrait être renouvelé et le serait sans aucun risque tant que la France aurait des louis d'or et l'Allemagne des thalers.

L'échange des métaux sur les marchés étrangers deviendrait, pendant ce temps, difficile. Si le possesseur d'un kilogramme d'or à Londres voulait l'échanger contre de l'argent, il en exigerait 16 kilogrammes, car en cas de refus, il pourrait l'envoyer à Berlin, l'y faire transformer en marks, immédiatement échangeables contre 16 kilogrammes d'argent monnayé en thalers. L'acheteur, d'un autre côté, ne pourrait accorder plus de 15 kilogrammes 1/2 d'argent qui, envoyés par lui à Paris et transformés en monnaie française, y vaudraient 1 kilogramme d'or. Ne pouvant s'entendre, ils enverraient l'un son or à Berlin, l'autre son argent à Paris, hâtant tous deux le jour où les deux nations, n'étant plus bimétallistes que de nom et cessant de régler le marché monétaire, laisseraient le rapport des prix de l'or et de l'argent aussi variable que ceux du cuivre et de l'étain.

Si toutes les grandes nations adoptaient le bimétallisme, en fixant entre les prix des deux métaux le même rapport 15 1/2, la même crainte pourrait naître dans le cas où l'Angleterre, la France, l'Allemagne, les États-Unis, la Belgique, la Hollande, la Suède, l'Italie,

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l'Autriche et la Russie auraient en même temps perdu leur monnaie d'or; à cette hypothèse, qu'il faut accepter comme possible si l'on veut raisonner avec la rigueur des géomètres, il en faudrait joindre une autre et dire en quel pays se trouverait alors cet or enlevé à toutes les grandes nations. Dans une démonstration rigoureuse, rien de ce qui est possible à la rigueur ne doit être écarté, et l'hypothèse de la fuite en Turquie, par exemple, de l'or du monde entier, a droit à l'examen; il faut oser le dire et ne pas insister.

Les grandes nations sont malheureusement fort éloignées d'un commun accord. L'Angleterre, satisfaite de sa monnaie d'or, ne s'en veut nullement départir. L'Allemagne a rejeté l'argent et ne penche pas à le reprendre. La Hollande, la Suède, le Danemark et le Portugal fortifient la cause de l'or en s'y associant.

L'acceptation générale du bimétallisme n'est pas à espérer.

Le monométallisme est la solution orthodoxe; les ignorans seuls, dit-on, peuvent la repousser, et plus d'un économiste estimé de tous se déclare honteux, pour la défendre, d'avoir à démontrer l'évidence. On trouverait bon, cependant, en conservant l'or pour l'Europe, que l'Inde et la Chine donnassent asile au métal blanc, dont l'emploi, comme monnaie d'appoint auxiliaire de l'or, n'utiliserait qu'une bien faible partie. La théorie, il est juste d'en faire la remarque, ne se contredit pas pour cela; elle interdit l'usage simultané des deux métaux, mais permet de choisir.

L'Angleterre, en 1816, pour adopter la monnaie d'or, n'a pas rencontré d'embarras sérieux. Il ne faut pas alléguer cet exemple: L'or, en effet, succédait au papier-monnaie. L'entreprise pour nous serait plus audacieuse; la France, pour abolir la monnaie d'argent, devrait transformer en lingots pour plus de deux milliards de pièces de 5 francs. Si l'Italie, l'Espagne, la Belgique et la Suisse prenaient la même résolution, si l'Allemagne et la Hollande, bravant les difficultés qui les retardent, achevaient de la mettre à exécution, qui achèterait à prix d'or une telle masse de métal devenu sans emploi? La baisse deviendrait une chute, et l'abandon d'un système illogique, mais tolérable, le remède à des malaises plus redoutés que ressentis, coûterait un milliard à la France. Si le bimétallisme universel est rendu impossible par le refus d'un accord commun, la préférence de tous pour l'or oppose au monométallisme un obstacle à peu près invincible.

Une autre objection est de grande importance. L'or représente aujourd'hui, dans le monde entier, une valeur à peu près égale à celle de l'argent; s'il devenait la seule monnaie des grandes nations, sa rareté, dont on se plaint déjà, s'accroîtrait, pour un long temps au moins, en procurant la baisse de tous les prix, plus dommageable encore que la hausse, car c'est aux producteurs qu'elle porte

préjudice, en favorisant tous ceux dont le revenu est fixe, et parmi eux presque tous les oisifs.

On a contesté que la démonétisation de l'argent diminuât d'une manière notable la masse du numéraire. Si la France, a-t-on dit, fait disparaître la monnaie d'argent, elle la remplacera par de l'or; quiconque portera au trésor 100 francs en argent recevra en échange 100 francs en or. Cela est vrai; mais les pièces d'or ne seront pas gardées par celui qui les reçoit; elles circuleront, pourront rentrer au trésor sous forme d'impôt ou, par l'intermédiaire de la Banque, servir à payer de nouvelles pièces d'argent et remplir dix fois, cent fois peut-être le même office pendant la durée de l'opération. On insiste les pièces d'argent, transformées en lingots, seront exportées, vendues contre de l'or, et la diminution du numéraire proviendra seulement de la baisse de leur prix. C'est une illusion les lingots exportés dans l'Inde, par exemple, y seront échangés contre des traites sur l'Europe et payés en or déjà monnayé, dont ils n'augmenteront en rien la masse.

La difficulté des relations commerciales avec les peuples d'Orient, dont l'Angleterre se plaint aujourd'hui, s'aggraverait, dit-on, par l'adoption exclusive de la monnaie d'or en Europe. On a, je crois, exagéré le mal; il est réel pourtant et vaut qu'on s'y arrête.

L'Angleterre et l'Inde, si étroitement unies l'une à l'autre, font usage de monnaies différentes. Tant que le rapport des valeurs reste fixe, elles n'en éprouvent aucune gêne; mais la baisse de l'argent a changé la situation, et on la présente comme désastreuse. Le gouvernement de l'Inde doit chaque année verser à Londres 375 millions de francs en monnaie d'or; les impôts et les tributs lui sont payés en argent, et les variations du change déroutent toutes ses prévisions. Le ministre des finances de l'empire indien peut le matin, par un calcul exact, prévoir sur son budget un excédent de 10 millions et se trouver le soir en déficit. Les fonctionnaires sont payés en monnaie d'argent, ils n'en éprouvent aucune gêne, car les prix ont peu varié; mais leurs appointemens très élevés permettent de larges économies; s'ils les envoient en Angleterre, ils subissent une perte et se plaignent très haut.

La différence des monnaies alarme incessamment le commerce. « Qu'arriverait-il, dit M. Cernuschi, si une loi défendait aux Anglais d'apprendre la langue indienne et aux Indiens d'apprendre la langue anglaise? A moins d'avoir des interprètes, ils ne pourraient plus se parler. Eh bien! la loi monétaire produit des effets qui ne sont pas moins étranges, tyranniques, pernicieux: Anglais et Indiens ne peuvent se payer. »

L'éminent polémiste dépasse ici la mesure; il existe des changeurs à Calcutta; l'or anglais, à défaut de cours légal, a chaque jour dans

l'Inde un cours commercial; le négociant anglais, qui, en échange de ses guinées, demande dans l'Inde du riz ou du coton, ne trouve la hausse du change ni tyrannique ni pernicieuse, il y gagne 15 pour

100!

Le fabricant anglais, que l'on paie en roupies d'argent, est forcé, il est vrai, de vendre ses produits plus cher pour obtenir le même nombre de guinées, mais il peut convertir les roupies en marchandises indiennes et gagner d'un côté ce qu'il perd de l'autre. Le prix des marchandises et celui du change, il n'en faut pas douter, se régleront d'eux-mêmes pour rendre possibles les transactions utiles à tous et indispensables à un grand nombre. Il n'est pas supposable que l'échange des produits, avantageux à tous, soit arrêté d'une manière durable par un système monétaire quel qu'il soit, s'il est invariable et sincère; l'équilibre troublé se rétablira de luimême sans qu'on ait recours à des lois nouvelles. Cet heureux changement, peut-on dire, ne s'est pas produit: il faut l'attendre. Les mouvemens économiques ont été comparés, avec raison, à ceux d'une masse visqueuse; soumise aux mêmes lois qu'un liquide parfait, elle demande, pour atteindre sa position d'équilibre, un temps beaucoup plus long, quelquefois de légères secousses; quand on la voit, pour un temps, prendre une forme qui dément les principes, elle cède pour la quitter aux plus légères influences.

Les relations actives entre deux peuples dont la monnaie est différente tendent précisément à maintenir constant le prix du change, dont la variation les trouble; le tout, peu à peu, s'harmonise de luimême, et les embarras du gouvernement indien, comme ceux du commerce, prendront fin avec l'incertitude et la crise.

Si l'Amérique et l'Europe, cédant à une préférence générale qu'on ne peut méconnaître, réussissaient, comme l'Angleterre, à adopter la seule monnaie d'or, elles s'en trouveraient bien dans l'avenir; mais les frais seraient excessifs, et la baisse certaine des prix accroîtrait, par la rencontre de tant de peuples dans cette voie étroite, les difficultés devant lesquelles l'Allemagne hésite.

Le monométall sme n'est pas à espérer. La répugnance des plus grandes nations rend le bimétallisme universel impossible; il faut renoncer à s'entendre; chacun, à regret, doit adopter pour son compte le moins mauvais parti que lui laissent les résolutions prises par les voisins. C'est dans cette voie que la France, d'accord avec l'Italie, la Belgique et la Suisse, a rencontré le moins défendable de tous les systèmes, le bimétallisme boiteux. La monnaie d'argent, à moins de convention contraire, est acceptée pour tous les paiemens aussi bien que la monnaie d'or, et l'état cependant, en suspendant la frappe des lingots, diminue sa valeur intrinsèque.

Est-il prudent et digne d'attendre que, la logique l'emportant

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