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SUR LA RÉPONSE A M. BORDES.

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Dans les éditions faites depuis trente ans on lit ainsi le titre : Dernière réponse à M. Bordes; mais le mot dernière est omis dans l'édition de Neufchâtel, faite en 1775 (conséquemment du vivant de l'auteur), et dans celles de Genève et de Paris, 1790, in-4°. Grimm, dans sa Correspondance littéraire (1754), s'exprime ainsi : « Rousseau «<fit une réponse au roi Stanislas, et une autre, qu'il ap<< pela sa dernière, à M. Bordes. Ces deux morceaux « contiennent des choses admirables et même sublimes; «<et ce dernier est, à mon gré, égal et même supérieur « à son Discours. » Ainsi, d'après ce témoignage, JeanJacques aurait annoncé que cette réponse devait être la dernière qu'il ferait à ses critiques. C'était la seule adressée à M. Bordes, qui fit en réplique un second discours sur lequel Rousseau garda le silence; mais il se vit obligé de reprendre encore une fois la plume, par égard pour l'académie de Dijon, que M. Lecat mit en jeu en prenant le titre de membre de cette académie.

Le mot dernière doit donc être omis, puisqu'il n'est plus motivé du moment où Jean-Jacques répondit encore. Ce mot ne s'adresse point à M. Bordes, à qui Rousseau ne fit qu'une seule réplique. Ce fut pour lui la lui la première et la dernière.

Dans l'édition imprimée en 1820, et publiée par M. Lequien, on lit sur le titre qui nous occupe la note

«

suivante : « Il ne faut pas entendre par ce titre Dernière

pour

réponse à M. Bordes, mais dernière réponse sur le sujet << dont il est question, laquelle est adressée à M. Bordes. » Comme Rousseau n'avait point encore écrit à M. Bordes, l'avertissement était inutile; mais il nous semble que le soigneux éditeur aurait dû nous instruire du motif lequel il laissait ce mot dernière, du moment où cette prétendue dernière est suivie d'une autre réponse. Nous croyons donc que cette épithète doit être supprimée du titre, autant parce qu'elle le fut dans une édition faite pendant la vie de Rousseau, que par les raisons que nous avons exposées.

M. P.

Ne, dum tacemus, non verecundiæ sed

diffidentiæ causâ tacere videamur.

CYPRIAN. contra Demet.

C'est avec une extrême répugnance que j'amuse de mes disputes des lecteurs oisifs qui se soucient très-peu de la vérité; mais la manière dont on vient de l'attaquer me force à prendre sa défense encore une fois, afin que mon silence ne soit pas pris par la multitude pour un aveu, ni pour un dédain par les philosophes.

Il faut me répéter, je le sens bien; et le public ne me le pardonnera pas. Mais les sages diront : Cet homme n'a pas besoin de chercher sans cesse de nouvelles raisons; c'est une preuve de la solidité des siennes ",

a Il y a des vérités très-certaines, qui au premier coup d'œil paraissent des absurdités, et qui passeront toujours pour telles auprès de la plupart des gens. Allez dire à un homme du peuple que le soleil est plus près de nous en hiver qu'en été, ou qu'il est couché avant que nous cessions de le voir, il se moquera de vous. Il en est ainsi du sentiment que je soutiens. Les hommes les plus superficiels ont toujours été les plus prompts à prendre parti contre moi: les vrais philosophes se hâtent moins; et si j'ai la gloire d'avoir fait quelques prosélytes, ce n'est que parmi ces derniers. Avant que de m'expliquer, j'ai long-temps et profondément médité mon sujet, et j'ai tâché de le considérer par toutes ses faces; je doute qu'aucun de mes adversaires en puisse dire autant; au moins n'aperçois-je point dans leurs écrits de ces vérités lumineuses qui ne frappent pas moins par leur évidence que par leur nouveauté, et qui sont toujours le fruit et la preuve d'une suffisante méditation. J'ose dire qu'ils ne m'ont jamais fait une objection raisonnable que je n'eusse prévue, et à laquelle je n'aie répondu d'avance; voilà pourquoi je suis réduit à redire toujours les mêmes choses.

Comme ceux qui m'attaquent ne manquent jamais de s'écarter de la question et de supprimer les distinctions essentielles que j'y ai mises, il faut toujours commencer par les y ramener. Voici donc un sommaire des propositions que j'ai soutenues et que je soutiendrai aussi long-temps que je ne consulterai d'autre intérêt que celui de la vérité.

Les sciences sont le chef-d'œuvre du génie et de la raison. L'esprit d'imitation a produit les beaux-arts, et l'expérience les a perfectionnés. Nous sommes redevables aux arts mécaniques d'un grand nombre d'inventions utiles qui ont ajouté aux charmes et aux commodités de la vie. Voilà des vérités dont je conviens de très-bon cœur assurément. Mais considérons maintenant toutes ces connaissances rapport aux mœurs a.

par

a Les connaissances rendent les hommes doux, dit ce philosophe illustre dont l'ouvrage, toujours profond et quelquefois sublime, respire partout l'amour de l'humanité. Il a écrit en ce peu de mots, et, ce qui est rare, sans déclamation, ce qu'on a jamais écrit de plus solide à l'avantage des lettres. Il est vrai, les connaissances rendent les hommes doux; mais la douceur, qui est la plus aimable des vertus, est aussi quelquefois une faiblesse de l'ame. La vertu n'est pas toujours douce; elle sait s'armer à propos de sévérité contre le vice, elle s'enflamme d'indignation contre le crime.

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Ce fut une réponse très-sage que celle d'un roi de Lacédémone à ceux qui louaient en sa présence l'extrême bonté de son collègue Charillus. Et comment serait-il bon, leur dit-il, s'il ne sait pas être « terrible aux méchants? » Quod malos boni oderint, bonos oportet esse. Brutus n'était point un homme doux; qui aurait le front de dire qu'il n'était point vertueux? Au contraire, il y a des ames lâches et pusillanimes qui n'ont ni feu ni chaleur, et qui ne sont douces que par indifférence pour le bien et pour le mal. Telle est la douceur qu'inspire aux peuples le goût des lettres.

Si des intelligences célestes cultivaient les sciences, il n'en résulterait que du bien j'en dis autant des grands hommes qui sont faits pour guider les autres. Socrate savant et vertueux fut l'honneur de l'humanité: mais les vices des hommes vulgaires empoisonnent les plus sublimes connaissances et les rendent pernicieuses aux nations; les méchants en tirent beaucoup de choses nuisibles; les bons en tirent peu d'avantage. Si nul autre que Socrate ne se fût piqué de philosophie à Athènes, le sang d'un juste n'eût point crié vengeance contre la patrie des sciences et des arts.

C'est une question à examiner, s'il serait avantageux aux hommes d'avoir de la science, en supposant que ce qu'ils appellent de ce nom le méritât en effet: mais c'est une folie de prétendre que les chimères de la philosophie, les erreurs et les mensonges des philosophes, puissent jamais être bons à rien. Serons-nous toujours dupes des mots? et ne comprendrons-nous jamais qu'études, connaissances, savoir, et philosophie, ne sont que de vains simulacres élevés par l'orgueil humain, et très-indignes des noms pompeux qu'il leur donne?

A mesure que le goût de ces niaiseries s'étend chez une nation, elle perd celui des solides vertus;

a Il en a coûté la vie à Socrate pour avoir dit précisément les mêmes choses que moi. Dans le procès qui lui fut intenté, l'un de ses accusateurs plaidait pour les artistes, l'autre pour les orateurs, le troisième pour les poètes, tous pour la prétendue cause des dieux. Les poètes, les artistes, les fanatiques, les rhéteurs, triomphèrent, et Socrate périt. J'ai bien peur d'avoir fait trop d'honneur à mon siècle en avançant que Socrate n'y eût point bu la ciguë. On remarquera que je disais cela dès l'an 1750.

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