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Par la question précédente, l'académie de Dijon avait acquis de la célébrité, moins pour la question en ellemême que parce qu'elle eut la hardiesse de couronner une opinion qui ne parut être qu'un paradoxe, et qu'heureusement pour l'impartialité du tribunal académique, l'auteur méritait le prix d'éloquence par le talent avec lequel il avait traité cette opinion nouvelle et hardie. Si l'on suppose qu'aucun des concurrents n'eût soutenu la négative, on conviendra sans peine que la question eût été, dès sa naissance, oubliée, et que dès-lors l'académie fût restée encore dans l'obscurité mais elle avait ouvert une lice dans laquelle d'illustres rivaux se mesurèrent, et même où l'on vit un roi se mêler du combat, qui, pendant quelque temps, occupa les trompettes de la renommée.

Il est probable que ce résultat inattendu influa sur la conduite de l'académie de Dijon. Elle sentit que la célébrité dont toute société littéraire est à bon droit jalouse, pourrait dépendre du choix des sujets qu'elle mettrait au concours. Si, comme il est présumable, ce fut par ce motif qu'elle proposa de rechercher l'origine de l'inégalité parmi les hommes, elle ne pouvait appeler l'attention du public sur un objet plus important. Mais en ayant le courage de le proposer, il fallait en avoir assez pour poser la couronne sur le front de celui qui la méritait. Ce fut l'abbé Talbert qui la reçut. Ce jugement parut d'autant plus suspect, que ni le tribunal, ni le vainqueur

n'osèrent livrer à l'impression le mémoire couronné, de manière qu'il fut également impossible d'en admirer les beautés ou d'en critiquer les défauts.

Si l'éloquence et le talent ne suffisent pas pour faire adjuger le prix à un discours académique, quand on suppose que la doctrine pourrait être dangereuse, alors il faudrait en faire mention, et dire qu'à cause de cette doctrine, l'ouvrage a été écarté du concours; mais la crainte du blâme paralysa l'académie, qui avait déjà essuyé des reproches à l'occasion du premier discours, et qui ne tarda pas à vouloir flétrir le laurier décerné par elle. Elle ne sentit pas qu'on ne peut concilier le repos et la célébrité, et qu'il faut sacrifier toujours l'un à l'autre.

Jean-Jacques ajouta des notes à ce discours. Grimm regarde la neuvième comme un chef-d'œuvre d'éloquence; mais rien n'est comparable au style de la dédicace, noble et touchant, simple et majestueux à la fois. Il crut honorer sa patrie en faisant l'éloge des lois qui la gouvernaient.

L'influence de Diderot, que Jean-Jacques avait choisi pour aristarque et qui corrigeait ses écrits, se fait sentir pour la dernière fois dans cet ouvrage.

Comme Rousseau fait, dans son Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, des recherches politiques et morales et l'histoire hypothétique des gouvernements, l'ouvrage aurait pu, sous ce rapport, faire partie de la section des écrits politiques; mais nous avons dû le considérer comme discours académique, puisque c'est pour répondre à l'appel fait par l'académie de Dijon qu'il fut composé.

M. P.

A LA RÉPUBLIQUE

DE GENEVE.

MAGNIFIQUES, TRÈS-HONORÉS, ET SOUVERAINS

SEIGNEURS,

Convaincu qu'il n'appartient qu'au citoyen vertueux de rendre à sa patrie des honneurs qu'elle puisse avouer, il y a trente ans que je travaille à mériter de vous offrir un hommage public; et cette heureuse occasion suppléant en partie à ce que mes efforts n'ont pu faire, j'ai cru qu'il me serait permis de consulter ici le zèle qui m'anime, plus que le droit qui devrait m'autoriser. Ayant eu le bonheur de naître parmi vous, comment pourraisje méditer sur l'égalité que la nature a mise entre les hommes, et sur l'inégalité qu'ils ont instituée, sans penser à la profonde sagesse avec laquelle l'une et l'autre, heureusement combinées dans cet état, concourent, de la manière la plus approchante de la loi naturelle et la plus favorable à la société, au maintien de l'ordre public et au bonheur des particuliers? En recherchant les meilleures maximes que le bon sens puisse dicter sur la constitution d'un gouvernement, j'ai été si frappé de les voir toutes en exécution dans le vôtre, que, même sans être né dans vos murs, j'aurais cru ne pouvoir me dispenser d'offrir ce tableau de la société humaine à celui de

tous les peuples qui me paraît en posséder les plus grands avantages, et en avoir le mieux prévenu les abus.

Si j'avais eu à choisir le lieu de ma naissance, j'aurais extent choisi une société d'une grandeur bornée par l'étendue des facultés humaines, c'est-à-dire par la possibilité d'être bien gouvernée, et où, chacun suffisant à son emploi, nul n'eût été contraint de commettre à d'autres les fonctions dont il était chargé; un état où, tous les particuliers se connaissant entre eux, les manœuvres obscures du vice, ni la modestie de la vertu n'eussent pu highe se derober aux regards et au jugement du public, et où cette douce habitude de se voir et de se connaître fit de l'amour de la patrie l'amour des citoyens plutôt que celui de la terre.

J'aurais voulu naître dans un pays où le souverain et le peuple ne pussent avoir qu'un seul et même intérêt, afin que tous les mouvements de la machine ne tendissent jamais qu'au bonheur commun; ce qui ne pouvant se faire à moins que le peuple et le souverain ne soient une même personne, il s'ensuit que j'aurais voulu naître sous un gouvernement démocratique, sagement tempéré.

J'aurais voulu vivre et mourir libre, c'est-à-dire tellement soumis aux lois, que ni moi ni personne n'en pût yone secouer l'honorable joug, ce joug salutaire et doux, que les têtes les plus fières portent d'autant plus docilement qu'elles sont faites pour n'en porter aucun autre.

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J'aurais donc voulu que personne dans l'état n'eût pu se dire au-dessus de la loi, et que personne au-dehors n'en pût imposer que l'état fût obligé de reconnaître; car, quelle que puisse être la constitution d'un gouver

pas

nement, s'il s'y trouve un seul homme qui ne soit soumis à la loi, tous les autres sont nécessairement à la discrétion de celui-làa; et s'il y a un chef national et un autre chef étranger, quelque partage d'autorité qu'ils puissent faire, il est impossible que l'un et l'autre soient bien obéis, et que l'état soit bien gouverné.

Je n'aurais point voulu habiter une république de nouvelle institution, quelque bonnes lois qu'elle pût avoir, de peur que le gouvernement, autrement constitué peutêtre qu'il ne faudrait pour le moment, ne convenant pas aux nouveaux citoyens, ou les citoyens au nouveau gou・overthro. vernement, l'état ne fût sujet à être ébranlé et détruit presque dès sa naissance; car il en est de la liberté comme de ces aliments solides et succulents, ou de ces vins généreux, propres à nourrir et fortifier les tempé raments robustes qui en ont l'habitude, mais qui accablent, ruinent et enivrent les faibles et délicats qui n'y sont point faits. Les peuples une fois accoutumés à des maîtres ne sont plus en état de s'en passer. S'ils tentent de secouer le joug, ils s'éloignent d'autant plus de la liberté, que, prenant pour elle une licence effrénée qui lui est opposée, leurs révolutions les livrent presque toujours à des séducteurs qui ne font qu'aggraver leurs chaînes. Le peuple romain lui-même, ce modèle de tous les peuples libres, ne fut point en état de se gouverner en sortant de l'oppression des Tarquins. Avili par l'esclavage et les travaux ignominieux qu'ils lui avaient imposés, ce n'était d'abord qu'une stupide populace qu'il fallut ménager et gouverner avec la plus grande sagesse, afin s'accoutumant peu-à-peu à respirer l'air salutaire de la liberté, ces ames énervées, ou plutôt abru

que,

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