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A-t-il préféré, au contraire, la science à la vertu? Pourquoi donc nous prêcher avec tant d'éloquence celle-ci au préjudice de celle-là? Qu'il commence par concilier des contradictions si singulières, avant que de combattre les notions communes; avant que d'attaquer les autres, qu'il s'accorde avec lui

même.

N'aurait-il prétendu qu'exercer son esprit et faire briller son imagination? Ne lui envions pas le frivole avantage d'y avoir réussi. Mais que conclure en ce cas de son discours? Ce que l'on conclut après la lecture d'un roman ingénieux; en vain un auteur prête à des fables les couleurs de la vérité, on voit fort bien qu'il ne croit pas ce qu'il feint de vouloir persuader.

Pour moi, qui ne me flatte, ni d'avoir assez de capacité pour en appréhender quelque chose au préjudice de mes mœurs, ni d'avoir assez de vertu pour pouvoir en faire beaucoup d'honneur à mon ignorance, en m'élevant contre une opinion si peu soutenable, je n'ai d'autre intérêt que de soutenir

celui de la vérité.

L'auteur trouvera en moi un adversaire impartial. Je cherche même à me faire un mérite auprès de lui en l'attaquant; tous mes efforts, dans ce combat, n'ayant d'autre but que de réconcilier son esprit avec son cœur, et de procurer la satisfaction de voir réunies dans son ame les sciences que j'admire avec les vertus qu'il aime.

PREMIÈRE PARTIE.

Les sciences servent à faire connaître le vrai, le bon, l'utile en tout genre: connaissance précieuse qui, en éclairant les esprits, doit naturellement contribuer à épurer les mœurs.

La vérité de cette proposition n'a besoin que d'être présentée pour être crue : aussi ne m'arrêterai-je pas à la prouver; je m'attache seulement à réfuter les sophismes ingénieux de celui qui ose la combattre.

Dès l'entrée de son discours, l'auteur offre à nos yeux le plus beau spectacle; il nous représente l'homme aux prises, pour ainsi dire, avec luimême, sortant en quelque manière du néant de son ignorance; dissipant par les efforts de sa raison les ténèbres dans lesquelles la nature l'avait enveloppé; s'élevant par l'esprit jusque dans les plus hautes sphères des régions célestes; asservissant à son calcul les mouvements des astres, et mesurant de son compas la vaste étendue de l'univers; rentrant ensuite dans le fond de son cœur, et se rendant compte à lui-même de la nature de son ame, de son excellence, de sa haute destination.

Qu'un pareil aveu, arraché à la vérité, est honorable aux sciences! qu'il en montre bien la nécessité et les avantages! qu'il en a dû coûter à l'auteur d'être forcé à le faire, et encore plus à le rétracter!

La nature, dit-il, est assez belle par elle-même, elle ne peut que perdre à être ornée. Heureux les

hommes, ajoute-t-il, qui savent profiter de ses dons sans les connaître! C'est à la simplicité de leur esprit qu'ils doivent l'innocence de leurs mœurs. La belle morale que nous débite ici le censeur des sciences et l'apologiste des mœurs! Qui se serait attendu que de pareilles réflexions dussent être la suite des principes qu'il vient d'établir?

La nature d'elle-même est belle, sans doute; mais n'est-ce pas à en découvrir les beautés, à en pénétrer les secrets, à en dévoiler les opérations, que les savants emploient leurs recherches? Pourquoi un si vaste champ est-il offert à nos regards? L'esprit fait pour le parcourir, et qui acquiert dans cet exercice, si digne de son activité, plus de force et d'étendue, doit-il se réduire à quelques perceptions passagères, ou à une stupide admiration? Les moeurs seront-elles moins pures, parce que la raison sera plus éclairée ? et à mesure que le flambeau qui nous est donné pour nous conduire augmentera de lumières, notre route deviendra-t-elle moins aisée à trouver et plus difficile à tenir? A quoi aboutiraient tous les dons que le créateur a faits à l'homme, si, borné aux fonctions organiques de ses sens, il ne pouvait seulement examiner ce qu'il voit, réfléchir sur ce qu'il entend, discerner par l'odorat les rapports qu'ont avec lui les objets, suppléer par le tact au défaut de la vue, et juger par le goût de ce qui lui est avantageux ou nuisible? Sans la raison qui nous éclaire et nous dirige, confondus avec les bêtes, gouvernés par l'instinct, ne deviendrionsnous pas bientôt aussi semblables à elles par nos

actions

que nous le sommes déjà par nos besoins? Ce n'est que par le secours de la réflexion et de l'étude, que nous pouvons parvenir à régler l'usage des choses sensibles qui sont à notre portée, à corriger les erreurs de nos sens, à soumettre le corps à l'empire de l'esprit, à conduire l'ame, cette substance spirituelle et immortelle, à la connaissance de ses devoirs et de sa fin.

Comme c'est principalement par leurs effets sur les mœurs que l'auteur s'attache à décrier les sciences, pour les venger d'une si fausse imputation, je n'aurais qu'à rapporter ici les avantages que leur doit la société mais qui pourrait détailler les biens sans nombre qu'elles y apportent, et les agréments infinis qu'elles y répandent? Plus elles sont cultivées dans un état, plus l'état est florissant, tout y languirait sans elles.

Que ne leur doit pas l'artisan pour tout ce qui contribue à la beauté, à la solidité, à la proportion, à la perfection de ses ouvrages? le laboureur, pour les différentes façons de forcer la terre à payer à ses travaux les tributs qu'il en attend? le médecin, pour découvrir la nature des maladies et la propriété des remèdes? le jurisconsulte, pour discerner l'esprit des lois, et la diversité des devoirs? le juge, pour démêler les artifices de la cupidité d'avec la simplicité de l'innocence, et décider avec équité des biens et de la vie des hommes? Tout citoyen, quelque profession, de quelque condition qu'il soit, a des devoirs à remplir; et comment les remplir sans les connaître? Sans la connaissance de l'his

de

toire, de la politique, de la religion, comment ceux qui sont préposés au gouvernement des états, sauraient-ils y maintenir l'ordre, la subordination, la sy sûreté, l'abondance?

La curiosité, naturelle à l'homme, lui inspire l'envie d'apprendre; ses besoins lui en font sentir la nécessité, ses emplois lui en imposent l'obligation; ses progrès lui en font goûter le plaisir. Ses premières découvertes augmentent l'avidité qu'il a de savoir; plus il connaît, plus il sent qu'il a de connaissances à acquérir, et plus il a de connaissances acquises, plus il a de facilité à bien faire.

Le citoyen de Genève ne l'aurait-il pas éprouvé? Gardons-nous d'en croire sa modestie. Il prétend qu'on serait plus vertueux si l'on était moins savant. Ce sont les sciences, dit-il, qui nous font connaître le mal. Que de crimes, s'écrie-t-il, nous ignorerions sans elles! Mais l'ignorance du vice est-elle donc une vertu? Est-ce faire le bien que d'ignorer le mal? Et st, s'en abstenir parce qu'on ne le connaît pas, c'est là ce qu'il appelle être vertueux, qu'il convienne du moins que ce n'est pas l'être avec beaucoup de mérite : c'est s'exposer à ne pas l'être long-temps: c'est ne l'être que jusqu'à ce que quelque objet vienne solliciter les penchants naturels, ou que quelque occasion vienne réveiller des passions endormies. Il me semble voir un faux brave, qui ne fait montre de sa valeur que quand il ne se présente point d'ennemis : un ennemi vient-il à påraître, faut-il se mettre en défense, le courage manque, et la vertu s'évanouit. Si les sciences nous

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