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cet

nant sur les principes qu'il établit, Auteur devrait dire que l'état de nature étant celui où le soin de notre conservation est le moins préjudiciable à celle d'autrui, cet état était par conséquent le plus propre à la paix, et le plus convenable au genre-humain. Il dit précisément le contraire, pour avoir fait entrer mal-àpropos dans le soin de la conservation de l'homme sauvage, le besoin de satisfaire une multitude de passions qui sont l'ou vrage de la société, et qui ont rendu les loix nécessaires. Le méchant, dit-il, est un enfant robuste. Il reste à savoir si l'homme sauvage est un enfant robuste. Quand on le lui accorderoit, qu'en concluroit il? Que si, quand il est robuste, cet homme étoit aussi dépendant des autres que quand il est foible, il n'y a sorte d'excès auxquels il se portât; qu'il ne battit sa mère lorsqu'elle tarderoit trop à lui donner la mamelle; qu'il n'étranglât un de ses jeunes frères, lorsqu'il en seroit incommodé; qu'il ne mordît la jambe à l'autre, lorsqu'il en seroit heurté ou trouK*

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blé mais ce sont deux suppositions con tradictoires dans l'état de nature qu'être robuste et dépendant. L'homme est foible quand il est indépendant, et il est émancipé avant que d'être robuste. Hobbes n'a pas vu que la même cause qui empêche les Sauvages d'user de leur raison, comme le prétendent nos jurisconsultes, les empêche en même tems d'abuser de leurs facultés, comme il le prétend lui-même; de sorte qu'on pourroit dire que les Sauvages ne sont pas méchans précisément parce qu'ils ne savent pas ce que c'est qu'être bons; car ce n'est ni le développement des lumières, ni le frein de la loi, mais le calme des passions et l'ignorance du vice qui les empêchent de malfaire: Tantò plus in illis proficit vitiorum ignoratio, quàm in his cognitio virtutis, Il y a d'ailleurs un autre principe que Hobbes n'a point apperçu, et qui, ayant été donné à l'homme pour adoucir, en certaines circonstances, la férocité de son amour-propre, ou le desir de se conserver avant la naissance de cet amour (15.*),

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tempère l'ardeur qu'il a pour son bienêtre par une répugnance innée à voir souffrir son semblable. Je ne crois pas avoir aucune contradiction à craindre, en accordant à l'homme la seule vertu naturelle qu'ait été forcé de reconnoître le détrac teur le plus outré des vertus humaines. Je parle de la pitié, disposition convenable à des êtres aussi foibles et sujets à autant de maux que nous le sommes; vertu d'autant plus universelle et d'autant plus utile à 'homme, qu'elle précède en lui l'usage de toute réflexion, et si naturelle que les bêtes mêmes en donnent quelquefois des signes sensibles. Sans parler de la tendresse des mères pour leurs petits, et des périls qu'elles bravent pour les en garantir, on observe tous les jours la répugnance qu'ont les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant. Un animal ne passe point sans inquiétude auprès d'un animal mort, de son espèce il y en a même qui leur donnent une sorte de sépulture; et les tristes mugissemens du bétail entrant dans

une boucherie, annoncent l'impression qu'il reçoit de l'horrible spectacle qui le frappe. On voit avec plaisir l'auteur de la fable des Abeilles, forcé de reconnoître l'homme pour un être compatissant et sensible, sortir, dans l'exemple qu'il en donne, de son style froid et subtil, pour nous offrir la pathétique image d'un homme enfermé, qui apper çoit au-dehors une bête féroce, arrachant un enfant du sein de sa mère, brisant sous sa dent meurtrière ses foibles membres, et déchirant de ses ongles les entrailles palpitantes de ses enfans. Quelle affreuse agitation n'éprouve point ce témoin d'un événement auquel il ne prend aucun intérêt personnel! Quelles angoisses ne souffrira-t-il pas à cette vue, de ne pou voir porter aucun secours à la mère évanouie, ni à l'enfant expirant!

Tel est le pur mouvement de la nature, antérieur à toute réflexion : telle est la force de la pitié naturelle, que les mœurs les plus dépravées ont encore peine à détruire, puisqu'on voit tous les jours

dans nos spectacles s'attendrir et pleurer aux malheurs d'un infortuné, tel qui, s'il étoit à la place du tyran, aggraveroit encore les tourmens de son ennemi; semblable au sanguinaire Syllä, si sensible aux maux qu'il n'avoit pas causés, ou à cet Alexandre de Phére qui n'osoit assister à la représentation d'auéune tragédie, de peur qu'on ne le vît gémir avec Andromaque et Priam, tandis qu'il écoutoit sans émotion les cris de tant de citoyens qu'on égorgeoit tous les jours par ses ordres.

Mollissima corda

Humano generi dare se natura fatetur,
Qua lacrymas dedit.

Mandeville a bien senti qu'avec toute leur morale les hommes n'eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l'appui de la raison; mais il n'a pas vu que de cette seule qualité découlent toutes les vertus sociales qu'il veut disputer aux hommes.

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