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il est très-apparent qu'elles y causeroient encore moins de ravages qu'elles ne font dans la société, sur-tout dans les pays où les mœurs étant encore comptées pour quelque chose, la jalousie des amans et la vengeance des époux causent chaque jour des duels, des meurtres, et pis encore, où le devoir d'une éternelle fidélité ne sert qu'à faire des adultères, et où les loix mêmes de la continence et de l'honneur étendent nécessairement la débauche et multiplient les avor

temens.

Concluons qu'errant dans les forêts, sans industrie, sans parole, sans domicile, sans guerre et sans liaison, sans nul besoin de ses semblables, comme sans nul desir de leur nuire, peut-être même sans jamais en reconnoître aucun individuellement, l'homme sauvage, su jet à peu de passions, et se suffisant à lui-même, n'avoit que les sentimens et les lumières propres à cet état; qu'il ne sentoit que ses vrais besoins, ne re gardoit que ce qu'il croyoit avoir intérêt

de voir, et que son intelligence ne faisoit pas plus de progrès que sa vanité. Si par hasard il faisoit quelque découverte, il pouvoit d'autant moins la communiquer qu'il ne reconnoissoit pas même ses enfans. L'art périssoit avec l'inventeur. Il n'y avoit ni éducation, ni progrès; les générations se multiplioient inutilement: et chacun partant toujours du même point, les siècles s'écouloient dans toute la grossièreté des premiers âges; l'espèce étoit déjà vieille, l'homme restoit toujours enfant.

et

Si je me suis étendu si long-tems sur la supposition de cette condition primitive, c'est qu'ayant des anciennes erreurs et des préjugés invétérés à détruire, j'ai cru devoir creuser jusqu'à la racine, et montrer dans le tableau du véritable état de nature combien l'inégalité, même naturelle, est loin d'avoir dans cet état, autant de réalité et d'influence que le prétendent nos écrivains.

En effet, il est aisé de voir qu'entre

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les différences qui distinguent les hommes, plusieurs passent pour naturelles, qui sont uniquement l'ouvrage de l'habitude et des divers genres de vie que les hommes adoptent dans la société. Ainsi, un tempérament robuste ou délicat, la force ou la foiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dure ou efféminée dont on a été élevé, que de la constitution primitive des corps. 11 en est de même des forces de l'esprit, et non-seulement l'éducation met de la différence entre les esprits cultivés et ceux qui ne le sont pas, mais elle augmente celle qui se trouve entre les premiers à proportion de la culture; car qu'un géant et un nain marchent sur la même route, chaque pas qu'ils feront l'un et l'autre donnera un nouvel avantage au géant. Or, si l'on compare la diversité prodigieuse d'éducations et de genres de vie qui règne dans les différens ordres de l'état civil, avec la simplicité et l'uniformité de la vie animale et sau

vage, où tous se nourrissent des mêmes alimens, vivent de la même manière, et font exactement les mêmes choses, on comprendra combien la différence d'homme à homme doit être moindre dans l'état de nature que dans celui de société, et combien l'inégalité naturelle doit augmenter dans l'espèce humaine par l'inégalité d'institution.

Mais, quand la nature affecteroit dans la distribution de ses dons autant de préférences qu'on le prétend, quel avantage les plus favorisés en tireroient-ils au préjudice des autres, dans un état de choses qui n'admettroit presqu'aucune sorte de relation entre eux? Là où il n'y a point d'amour, de quoi servira la beauté ? Que sert l'esprit à des gens qui ne parlent point, et la ruse à ceux qui n'ont point d'affaires? J'entends toujours répéter que les plus forts opprimeront les plus foibles; mais qu'on m'explique ce qu'on veut dire par ce mot d'oppression? Les uns domineront avec violence, les autres gémiront asservis à tous leurs

caprices! Voilà précisément ce que j'observe parmi nous; mais je ne vois pas comment cela pourroit se dire des hommes sauvages, à qui l'on auroit même bien de la peine à faire entendre ce que c'est que servitude et domination. Un homme pourra bien s'emparer des fruits qu'un autre a cueillis, du gibier qu'il a tué, de l'antre qui lui servoit d'asyle; mais comment viendra-t-il jamais à bout de s'en faire obéir, et quelles pourront être les chaînes de la dépendance parmi des hommes qui ne possèdent rien? Si l'on me chasse d'un arbre, j'en suis quitte pour aller à un autre; si l'on me tourmente dans un lieu, qui m'empêchera de passer ailleurs? Se trouve-t-il un homme d'une force assez supérieure à la mienne, et de plus, assez dépravé, assez paresseux et assez féroce, pour me contraindre à pourvoir à sa subsistance pendant qu'il demeure oisif? I faut qu'il se résolve à ne pas me perdre de vue un seul instant, à me tenir lié avec un très-grand soin durant son sommeil,

de

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