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tement exprès et unanime du genre-humain pour vous approprier sur la subsistance commune tout ce qui alloit audelà de la vôtre ? Destitué de raisons valables pour se justifier, et de forces suffisantes pour se défendre, écrasant facilement un particulier, mais écrasé luimême par des troupes de bandits; seul contre tous, et ne pouvant, à cause des jalousies mutuelles, s'unir avec ses égaux contre des ennemis unis par l'esprit commun du pillage, le riche pressé par la nécessité, conçut enfin le projet le plus réfléchi qui soit jamais entré dans l'esprit humain ; ce fut d'employer en sa faveur les forces mêmes de ceux qui l'attaquoient, de faire ses défenseurs de ses adversaires, de leur inspirer d'autres maximes, et de leur donner d'autres ins titutions qui lui fussent aussi favorables que le droit naturel lui étoit contraire.

Dans cette vue, après avoir exposé à ses voisins l'horreur d'une situation qui les armoit tous les uns contre les autres, qui leur rendoit leurs possessions

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aussi onéreuses que leurs besoins, et où nul ne trouvoit sa sûreté ni dans la pauvreté, ni dans la richesse, il inventa aisément des raisons spécieuses pour les amener à son but. « Unissons-nous, leur » dit-il, pour garantir de l'oppression "les foibles, contenir les ambitieux, » et assurer à chacun la possession de » ce qui lui appartient; instituons des » réglemens de justice et de paix aux» quels tous soient obligés de se conformer, qui ne fassent acception de » personne, et qui réparent en quelque "sorte les caprices de la fortune, en » soumettant également le puissant et le » foible à des devoirs mutuels. En un » mot, au lieu de tourner nos forces

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contre nous-mêmes, rassemblons les » en un pouvoir suprême qui nous gou» verne selon de sages loix, qui protége » et défende tous les membres de l'as»sociation, repousse les ennemis com» muns, et nous maintienne dans une «concorde éternelle ».

Il en fallut beaucoup moins que l'équi

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valent de ce discours pour entraîner des hommes grossiers, faciles à séduire, qui d'ailleurs avoient trop d'affaires à démêler entre eux pour pouvoir se passer d'arbitres, et trop d'avarice et d'ambi tion pour pouvoir long-tems se passer de maîtres. Tous coururent au devant de leurs fers, croyant assurer leur liberté; car avec assez de raison pour sentir les avantages ́ d'un établissement politique, ils n'avoient pas assez d'expérience pour en prévoir les dangers; les plus capables de pressentir les abus, étoient précisément ceux qui comptoient d'en profiter, et les sages mêmes virent qu'il falloit se résoudre à sacrifier une partie de leur liberté à la conservation de l'autre comme un blessé se fait couper le bras pour sauver le reste du corps.

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Telle fut ou dut être l'origine de la société et des loix, qui donnèrent de nouvelles entraves au foible et de nouvelles forces au riche (18.*), détruisirent sans retour la liberté naturelle,

fixèrent pour jamais la loi de la propriété et de l'inégalité; d'une adroite usurpation firent un droit irrévocable, et pour le profit de quelques ambitieux assujettirent désormais tout le genre-humain au travail, à la servitude et à la misère. On voit aisément comment l'établissement d'une seule société rendit indispensable celui de toutes les autres, et comment, pour faire tête à des forces unies, il fallut s'unir à son tour. Les sociétés se multipliant ou s'étendant rapidement, couvrirent bientôt toute la surface de la terre, et il ne fut plus possible de trouver un seul coin dans l'univers ou l'on pût s'affranchir du joug, et soustraire sa tête au glaive souvent mal conduit que chaque homme vit perpétuellement suspendu sur la sienne. Le droit civil étant ainsi devenu la règle commune des citoyens, la loi de nature n'eut plus lieu qu'entre les diverses sociétés, où, sous le nom de droit des gens, elle fut tempérée par quelques conventions tacites pour rendre

le commerce possible et suppléer à la commisération naturelle, qui, per dant de société à société presque toute la force qu'elle avoit d'homme à homme, ne réside plus que dans quelques grandes ames cosmopolites, qui franchissent les barrières imaginaires qui séparent les peuples, et qui, à l'exemple de l'Etre souverain qui les a créés, embrassent tout le genre humain dans leur bienveillance.

Les Corps politiques restant ainsi entre eux dans l'état de nature, se ressenti rent bientôt des inconveniens qui avoient forcé les particuliers d'en sortir, et cet état devint encore plus funeste entre ces grands Corps qu'il ne l'avoit été auparavant entre les individus dont ils étoient composés. De-là sortirent les guerres nationales, les batailles, les meurtres, les représailles, qui font frémir la nature et choquent la raison, et tous ces préjugés horribles qui placent au rang des vertus l'honneur de répandre le sang humain. Les plus honnêtes gens appri

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