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DEUXIÈME PARTIE

LES MORALISTES

CHAPITRE PREMIER

L'HOSPITAL

Parmi les moralistes du seizième siècle, on ne saurait omettre l'Hospital; il n'a pas seulement, comme les autres, donné des conseils ou des leçons; il a trouvé l'occasion, il a eu le mérite de les appliquer dans un rang où chacun de ses actes était un service rendu au pays, un exemple laissé à la postérité. Sans doute il n'a pas fait de traité sur nos devoirs, mais son esprit était naturellement porté à chercher le bien, le juste en toutes choses, même dans la politique, et, d'un autre côté, il ne pouvait écrire à ses plus intimes amis dans cette langue latine, presque maternelle pour lui, sans sortir du détail et sans échapper à la banalité, saisissant presque toujours une idée morale pour la développer. C'est ainsi qu'on peut trouver chez lui une doctrine qui n'en a pas moins d'unité pour n'avoir pas été

dogmatiquement enseignée, pour s'être formée ou révélée successivement, presque au hasard, sous l'empire des circonstances ou de l'inspiration.

« La justice a deux genres celle qui regarde Dieu et son honneur a nom religion; celle qui regarde les hommes retient le nom de justice1. »

L'Hospital fait rentrer dans la morale nos devoirs envers Dieu. Le premier commandement, c'est d'aimer Dieu, de lui consacrer tout notre cœur et tout notre esprit. Ayons en lui une confiance entière; la science humaine n'est rien auprès de sa propre sagesse qu'il nous a révélée : rappelons-nous ses promesses, pour supporter les souffrances de ce monde, ses menaces, pour nous préparer à paraître devant lui, surtout quand nous touchons à la vieillesse ; demandons-lui sa grâce et tâchons de la suivre. Qu'on ne se croie pas quitte envers lui quand on murmure une prière; il ne faut pas le prier pour aller ensuite commettre un péché ou un crime. Il n'aime pas les voeux impies du méchant. L'Hospital se plaint que les poëtes de son temps chantent les fausses divinités; il demande qu'on célèbre le seul vrai Dieu comme il faut le célébrer.

Ces obligations de l'homme envers Dieu, c'est le christianisme qui les enseigne. L'Hospital ne les place dans la morale qu'après les avoir trouvées dans la religion. C'est en chrétien qu'il aspire au ciel, qu'il parle des promesses, de la prière et de

1 Harangue au parlement, 17 mai 1563. OEuvres complètes de l'Hospital. Paris, 1824, t. II. 2 Poésies, 1. V, ad Jac. Corbinellum, t. III. - 3 lb., ad Vaccam Italum. - 4 Lib. VI, ad Margaritam Sabaudiæ ducem.

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la grâce, qu'il réclame pour les lettres sacrées contre les lettres profanes', qu'il regrette d'avoir consacré un trop long temps à l'étude du style et de la grammaire; si la secte qui paraît avoir été plus sage que toutes les autres, celle du Portique, a dédaigné les mots pour s'attacher uniquement aux choses, que doivent faire les chrétiens?

La justice qui regarde les hommes, la morale proprement dite, est elle-même inséparable de la piété. Le premier commandement est d'aimer Dieu, le second est de nous aimer les uns les autres. Remplir ses devoirs envers autrui, c'est accomplir « le premier commandement de la loi de Dieu2. »

La source du bien, de la vertu, comme du bonheur, est la sagesse. Pour être sage, il faut se connaître soi-même. L'étude que nous faisons de notre propre nature nous sert doublement : elle nous apprend quels sont en nous les défauts à corriger, elle

1

« Il y a près de six cents ans que saint Paul est exilé et qu'Aristote règne sous le toit même et dans la demeure du Christ, avec d'autres singes couverts de vêtements étrangers. C'est l'école des Grecs, non pas l'Église de Jésus-Christ. Non, ce n'est pas là ce que faisaient nos premiers docteurs s'ils sont, par hasard, forcés de rappeler un précepte de Chrysippe ou de Platon, de citer les paroles harmonieuses d'un ancien poëte, ils s'excusent d'abord. » (Ad Jac. Corbinellum.) 2 Traité de la réformation de la justice, Ire partie, t. IV, p. 21. Ce traité, publié pour la première fois dans l'édition à laquelle nous renvoyons, celle de M. Dufey, ne mérite qu'une confiance très-restreinte. Si le fond en est authentique, il est certain que des additions considérables y ont été faites par de Refuge, et que M. Dufey ne les signale pas. L'Hospital n'a pu parler de la paulette et des états de Blois. Voy., sur ce point, M. Vitet, Études sur les beaux-arts, essais d'archéologie, et fragments littéraires, t. I, p. 412.-M. Taillandier (Nouvelles recherches historiques sur la vie et les ouvrages du chancelier de l'Hospital, p. 285) n'admet pas l'authenticité de ce traité.

nous habitue à discerner le bien du mal et l'apparence de la réalité; elle nous montre à la fois le but à poursuivre, le même pour tous, et les moyens pour l'atteindre, propres à chacun. Si elle est recommandée à tout le monde pour son utilité, elle est imposée comme un devoir rigoureux à ceux qui recherchent les fonctions publiques : « Que chacun examine d'abord en secret ses propres forces; qu'il n'aille pas, s'il est incapable, recevoir un honneur des mains qui le lui offrent ou s'en saisir de lui-même1. » On peut étendre à toutes les vertus ce que l'Hospital dit de la douceur : la nature les donne ou l'effort les produit. C'est après s'être consulté soimême que l'on comprend combien il est nécessaire et honorable de céder à la raison; quand une fois on a obtenu le succès, « il n'en coûte plus rien pour réprimer la colère... elle subit d'elle-même le joug accoutumé, et la nature asservie se courbe devant la raison, sa maîtresse. » L'homme doit tendre à établir l'ordre en lui-même, les passions le troublent en se révoltant contre la raison, « qui néanmoins est leur reine, dame et princesse souveraine, à laquelle naturellement appartient l'autorité, le pouvoir et l'office de commander et d'être obéie3. » L'ordre consiste à la faire régner, en habituant l'âme à se ranger volontairement sous les lois divines et humaines; seul, il donne le bonheur.

Cet ordre, obtenu par le triomphe laborieux de la raison sur la nature, suppose en l'âme la réunion

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de toutes les vertus. C'est une harmonic qui n'existerait plus, si une seule faisait défaut, et les autres disparaîtraient : « Tout ainsi que l'homme ne peut être juste que par même moyen il ne soit tempérant, prudent et magnanime tout ensemble, aussi l'homme injuste, violent, injurieux et outrageux, doit avoir tous les vices pour ses hôtes et assesseurs perpétuels'. » Le principe de tout bien existe chez le premier, manque au second, la subordination de la nature à la raison.

Aucune vue d'intérêt privé ne doit se mêler à ce travail de l'âme sur elle-même. En plus d'une circonstance, l'Hospital recommande de tout sacrifier au devoir. Mais ce n'est point diminuer le mérite de la vertu, ni porter atteinte au désintéressement qui en est la condition nécessaire, que de lui rappeler les prix réservés pour elle dans un autre monde par la promesse du Sauveur, ou cette autre récompense qui ne saurait lui manquer dans celuici, la satisfaction de la conscience.

La vertu demande beaucoup de fermeté, mais elle est opposée à toute exagération. Un homme qui a rempli les premières fonctions du royaume ne cherche pas à faire des solitaires : « Diogène et le philosophe de Cyrène me paraissent avoir tous deux péché par deux excès différents : l'un, adorateur d'une fausse liberté, haïssant à tort les convenances de la vie cultivée; l'autre, recherchant la table et le festin des rois et se plaisant au luxe des habits et

Traité, etc., Ile partie.

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