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ducation; mais il concentre tout son effort sur un point. Le jeune homme, né d'illustres aïeux et fait pour la cour, s'indigne à la pensée de passer ses nuits courbé sur les livres et d'ignorer seul, à son âge, les plaisirs de l'amour. Le maître, sans l'effaroucher par des remontrances sévères, cherche à lui prouver que son intérêt est d'être chaste, en montrant les inconvénients de l'amour, soit qu'il se porte sur une femme mariée, soit qu'il s'adresse à une courtisane. Il commence par le détourner de l'adultère : « Quoi donc, s'écrie le jeune homme, il ne me reste qu'à courir les filles sans conduite! >> Le maître se récrie : « Pourquoi malignement dénaturer mes paroles? ce ne sont pas les noms, c'est la chose qu'il faut fuir. » Il lui représente les joies permises du mariage, auxquelles l'invitent et la loi et la nature, et traite d'insensé celui qui les abandonne pour se livrer aux courtisanes. Le dernier conseil que donna la Boétie mourant à sa nièce fut d'être chaste: «Ne te laisse point emporter aux plaisirs ; fuis comme peste ces folles privautés que tu vois les femmes avoir quelquefois avec les hommes; car, encore que sur le commencement elles n'aient rien de mauvais, toutefois petit à petit elles corrompent l'esprit et le conduisent à l'oisiveté et de là dans le vilain bourbier du vice. Crois-moi : la plus sûre garde de la chasteté à une fille, c'est la sévérité1. >>

Ce conseil-là est, sans nul doute, inspiré par la religion; elle seule s'est préoccupée de la chasteté,

1 Montaigne, Lettre citée.

en a fait un devoir impérieux. Avant de recommander la sévérité à sa nièce, la Boétie lui avait recommandé la dévotion envers Dieu, comme la principale partie de notre devoir et « sans laquelle nulle autre action ne peut être ni bonne ni belle, et celle-là y étant bien à bon escient, elle traîne après soi, par nécessité, toutes autres actions de vertu. » C'est moins, on le voit, de la morale philosophique que de la morale religieuse.

La Boétie a fait un assez grand nombre de vers français. Ils ne fournissent rien pour le grave sujet qui nous occupe. Il n'y est question que de l'amour. Chose étonnante! les vers latins des hommes du seizième siècle nous font quelquefois beaucoup mieux connaître que leurs poésies françaises l'état vrai de leur âme et leurs pensées. Soit mépris pour la langue vulgaire, soit condescendance pour les personnes qui n'en connaissent pas d'autre, elle ne leur sert qu'à exprimer une passion, vraie ou feinte; car souvent l'amour n'y est qu'un thème. Les poésies de la Boétie, faciles, harmonieuses, sont remarquables par une décence à laquelle le seizième siècle ne nous a pas habitués. Il est aisé de voir qu'il ne se bornait pas seulement à conseiller la chasteté, qu'il l'observait lui-même; sa conduite devait être conforme à sa morale, si l'on en juge par son langage.

Il est des hommes dont le nom représente une idée. Il semble qu'elle ne puisse se détacher d'eux. La Boétie vit, grâce à Montaigne, mais il ne vit qu'avec Montaigne, à son côté, à sa suite. Il a été porté par lui vers l'immortalité, comme Dante s'attachant

à la robe flottante de Virgile. Il est devenu le type de l'amitié, mais peut-être de l'amitié au second rang, car la postérité, mettant entre Montaigne et lui une inégalité que le premier n'eût jamais soufferte, l'a un peu réduit au rôle de Pylade. Si on le détache un moment de l'auteur des Essais, il prend un aspect différent, il reste un type particulier et intéressant. Il représente la jeunesse avec le vif intérêt qu'elle porte aux choses de ce monde, son ardent désir de s'y mêler, pour y être meilleure et plus habile que les autres, son vif regret de partir sans avoir montré ce qu'elle y pouvait faire, et surtout son incorruptible honnêteté. Sans doute l'immixtion de la jeunesse dans le gouvernement n'est pas à désirer: elle y porterait plus d'ardeur généreuse que de modération et de prévoyance; elle compromettrait l'avenir, dont elle se croirait maîtresse, le bien, qu'elle voudrait accomplir sans précautions et sans retards; elle ferait dominer en tout l'absolu. Mais s'il n'est pas souhaitable qu'elle dirige la politique, il est bon qu'elle s'y intéresse, qu'elle s'en occupe, qu'elle cherche à la connaître et à la comprendre, dût-elle juger inconsidérément des résolutions dont elle ne devine pas toujours les motifs, malgré ses audacieuses conjectures; qu'elle en blâme les mauvaises pratiques, dût-elle se montrer trop sévère pour des défaillances auxquelles la bonne et la mauvaise fortune ne l'ont pas encore exposée. La politique doit attirer les jeunes gens; quand ils ont le chagrin de ne pas exercer actuellement une influence même légère, ils ont l'arrière

pensée, ils forment le rêve de jouer plus tard un rôle prépondérant, nullement désintéressés, malgré leur probité, puisqu'ils associent leur triomphe à celui de la justice et de la vérité, dont ils aiment à se croire les instruments indispensables. Ils changent en un domaine idéal où ils transportent leur aventureuse hardiesse, leur rigidité de principes et de théories, leur facile magnanimité, ce terrain qui est essentiellement celui de la réalité, où ils n'arriveront qu'avec peine et en petit nombre, éclairés et refroidis par l'âge, lents à prendre un parti, sachant que dans la plus petite question sont engagés des droits et des intérêts innombrables, dont aucun ne doit être sacrifié, assez instruits du passé pour être capables de prévoir l'avenir, résignés aux concessions, aux influences, préparés aux surprises des événements comme aux misères des hommes. Heureux, s'ils gardent encore quelque étincelle de la flamme dont ils brûlèrent jadis, s'ils deviennent indulgents pour les faiblesses de l'âge mûr qui pense au présent, sans devenir sévères pour les illusions généreuses de la jeunesse qui vit dans l'avenir, s'ils ne considèrent pas le bien et le mal comme deux moyens également nécessaires et permis de gouverner les hommes, s'ils parviennent aussi vertueux que sages au terme de cette carrière où ils sont entrés inexpérimentés et purs!

CHAPITRE III

MONTAIGNE

C'est toujours un travail délicat que de rechercher et de réunir les opinions d'un auteur sur tel ou tel sujet pour en faire une théorie. On risque fort d'altérer la pensée, ne fût-ce qu'en la déplaçant ou en la précisant. On lui donne une forme dogmatique, qui peut être contraire à l'intention, antipathique même à l'esprit de l'écrivain. On fait disparaître sous l'uniformité d'une affirmation constante les nuances, les incertitudes, les contradictions; la rigidité systématique remplace le libre mouvement de l'intelligence; en même temps le faux et l'emprunté remplacent le vrai et le naturel. Montaigne est parmi les écrivains qu'il est le plus difficile de réduire en système. Il craint d'affirmer, il se plaît à douter. Les doctrines philosophiques qu'il embrasse le plus volontiers sont celles qui tendent à rabaisser l'orgueil de l'homme, en mettant à néant ses prétentions à la science. Il ne songe pas à chercher et à faire connaître la vérité, à laquelle il ne croit pas. Il lui suffit de se peindre lui-même et lui seul; en

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