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uniquement de celui des femmes, à cause de la honte et du ridicule qui attendent les maris trompés. C'est afin de déterminer ceux-ci à l'indulgence qu'il démontre combien il est difficile au sexe féminin de résister à l'amour. Doivent-ils être si fort courroucés contre l'infidélité? Les vices de leurs femmes les touchent plus que leurs propres vices : « C'est l'effet de la plus vaine maladie qui soit en l'âme.

Quis vetat apposito lumen de lumine sumi 1? »

Les plus grands hommes ont été trompés sans en faire de bruit. Tout le monde est exposé à de pareils accidents. Il n'est pas d'homme qui n'ait fait commettre un adultère à une femme mariée; il faut se consoler par le souvenir de ce qu'on a fait souffrir aux autres et par l'exemple général; il faut surtout se taire. Bien plus, il y dans les deux sexes << mille corruptions plus dommageables et dénaturées que n'est la lascivité. » Ce qu'il y a de pire chez une femme, c'est la jalousie.

Nous trouvons ici la morale de Molière :

Ce sont coups de hasard dont on n'est point garant,
Et bien sot, ce me semble, est le soin qu'on en prend 2.

Le discours de Chrysalde est du Montaigne mis en vers; les idées que nous venons de résumer y sont développées :

C'est un étrange fait.

Qu'en cela vous mettiez le souverain bonheur

1 Liv. III, ch. v. 2 L'École des femmes, acte I, scène 1. 3 Ibid., acte IV, scène vIII.

Et ne conceviez pas au monde d'autre honneur!.....
Tout le mal, quoique le monde glose,

N'est que dans la façon de recevoir la chose;
Et, pour se bien conduire en ces difficultés,

Il y faut, comme en tout, fuir les extrémités. ....
Dans le monde je vois cent choses plus à craindre.....

Ce mal,

On peut le souhaiter pour de certaines causes,

...

Il a ses plaisirs comme certaines choses.....

C'est cette résignation conjugale que Bossuet condamne avec ses fortes expressions : « On réprouvera le discours où ce vigoureux censeur des grands canons, ce grand réformateur des mines et des expressions de nos précieuses étale cependant au plus grand jour les avantages d'une infâme tolérance dans les maris1. » La fin de la phrase: « Et sollicite les femmes à de honteuses vengeances contre leurs jaloux,» retombe aussi, quoique moins directement, sur Montaigne, qui, sans conseiller aux femmes de se venger de la surveillance exercée sur elle, représente combien elle les excite à s'affranchir de leurs devoirs.

Les plus sincères admirateurs de Montaigne, ceux qui défendent le plus vivement la pureté de sa doctrine, reconnaissent qu'il a quelques opinions fausses, dangereuses en morale, « que de jeunes lecteurs abuseraient peut-être de quelques-unes de ses pensées» et remettent la lecture des Essais « à cet âge qui n'est plus la jeunesse et qui n'est pas encore l'âge mûr2. » C'est bien là condamner un moraliste.

1 Maximes et réflexions sur la comédie. 2 M. Droz, Eloge de Montaigne.

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Suivant Montaigne, le premier devoir est le respect de l'ordre établi. Aussi place-t-il la nouveauté et le trouble parmi les vices 1, et s'indigne-t-il que les écrits de la Boétie aient été, contre ses intentions, exploités par les novateurs de France.

Cette règle qu'il pose, il la justifie en disant avec beaucoup de précision : « Est-ce pas mal. ménagé d'avancer tant de vices certains et connus, pour combattre des erreurs contestées et débattables?? >>

Toute mutation est à coup sûr désastreuse; aucune n'est à coup sûr légitime. La première idée et la principale est inspirée à Montaigne par le spectacle désolant que lui offre son siècle. Fût-on certain d'avoir avec soi la vérité, on n'aurait pas encore le droit d'entreprendre une guerre civile3. Tel était l'avis de Platon. Aussi ne faut-il pas tenter une réforme générale qui entraînerait nécessairement la ruine de l'État.

Ce serait vouloir « guérir les maladies par la mort*. » Mais où est la vérité? On sait quelles sont les doctrines philosophiques que Montaigne expose le plus volontiers. L'incertitude de la connaissance humaine, surtout aux affaires politiques, est telle qu'il ne nous est pas possible de découvrir la vérité pour en faire notre règle de conduite. Dès

1 Liv. III, ch. 1.

4 Liv. III, ch. IX.

2 Liv. I, ch. xxii.

3 Liv. III, ch. xi.

lors la nécessité pratique et la raison nous imposent le respect de l'ordre établi. Peu importe la forme du gouvernement; celle qui existe, dans quelque pays que ce soit, est toujours la meilleure; la seule autorité, pour les institutions politiques, est la possession1.

Mais que faire, quand l'ordre établi est mauvais? Ce qu'il y a de plus raisonnable, c'est encore de le maintenir tel qu'il est sans lui permettre d'empirer2. L'homme de bien ne fait pas davantage. Il peut seulement prier Dieu de porter remède au mal, suivant le conseil que donne Platon et que les chrétiens doivent adopter avec empressement. La Providence « passe par dessus les règles auxquelles elle nous a nécessairement astreints, » mais ce n'est pas pour nous en dispenser*.

Montaigne n'a que de l'aversion pour ceux qui troublent l'ordre, en particulier pour les réformateurs. Ce n'est pas le fanatisme religieux, non pas même le zèle qui lui inspire un tel sentiment; Montaigne zélé ou fanatique! Il n'hésite pas à reconnaître que les troubles étaient nécessaires pour ranimer la faveur de l'Église, que les vices de ses ministres donnaient beau jeu à ceux qui contestaient la vérité de ses dogmes, et ce parti qui défend la religion et la police ancienne du pays est encore « le membre d'un corps vermoulu et verreux. » Il place des protestants, Théodore de Bèze,

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Mondoré, La Noue, parmi les hommes les plus remarquables du siècle'. Mais il professe pour leur parti pris en masse l'antipathie la plus vive; il l'exprime constamment, aussi bien à propos d'un petit détail, du changement apporté par la Réforme dans les noms de baptême, qu'au sujet des plus grands désastres. Cette antipathie vient de ce qu'il considère la réforme exclusivement par le côté politique, s'attachant à la première conséquence qu'elle eût produite, à la guerre civile. Il rejette dans l'ombre le principe religieux. On donne de beaux titres aux vices publics : « c'est pourtant pour réformer nos consciences et nos créances; honesta oratio est. Mais le meilleur prétexte de nouvelleté est très-dangereux". >>

C'est pour la même raison que Montaigne juge si sévèrement la conduite de ce César, dont le génie lui inspire tant d'admiration. Il accuse Dion d'avoir «<le sentiment si malade aux affaires romaines, qu'il ose soutenir la cause de Julius Cæsar contre Pompeius, et d'Antonius contre Cicero"; » il << abomine les enhortements enragés de cette âme déréglée, » et déclare sa mémoire abominable à tous les gens de bien". Il le traite de brigand.

Les modernes ennemis qu'a retrouvés Jules

1 Liv. II, ch. xvn. 2 Liv. I, ch. XLVI. 3 Liv. I, ch. XXII.

4 Cette admiration a fait dire à M. Cuvillier-Fleury : « César est l'enfant gâté de Montaigne. Il aime Épaminondas comme le plus excellent des hommes, César comme le plus grand..... Malgré tout, ce miracle de nature l'attire. »(Le César de Montaigne, Bulletin du bibliophile, 1855-1856, p. 641.) - 5 Liv. II, ch. xxxii. 6 Liv. 8 Liv. II, ch. xi.

III, ch. 1. 7 Liv. II, ch. xxxIII.

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