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de Platon : « Fais ton fait et te connais1, » comme résumant tous les devoirs. Il est heureux de dire que Platon invite la morale au Banquet, à cause de « la douceur de sa conversation; » qu'il prend, dans les Lois, un grand intérêt aux divertissements de la jeunesse, qu'il a en horreur les changements les plus légers, qu'il recommande aux citoyens de souffrir avec patience les plus mauvais gouvernements, en priant Dieu d'y porter « sa main extraordinaire. >> « J'étois platonicien de ce côté-là avant que je susse qu'il y eût de Platon au monde. » Montaigne est fort aise d'invoquer de temps à autre une si grande autorité; mais il n'est nullement l'élève,il est à peine l'admirateur de Platon, dont les Dialogues lui paraissent traînants, pleins de « longues interlocutions vaines et préparatoires". » Si Platon a contribué dans une certaine mesure à former Montaigne, c'est en traçant le portrait de Socrate et avec le concours de Xénophon. Montaigne a longuement étudié Socrate; il l'a contemplé avec tendresse; il a subi l'empire de ce grand homme, comme un jeune esprit subit l'ascendant d'un écrivain dont le beau langage lui révèle avec éclat et précision des idées qui existaient en lui, mais confuses et obscures. Tourné par la nature vers la simplicité des mœurs, vers la sagesse douce, vers l'étude patiente de soi-même, Montaigne en a mieux compris l'importance et les a recommandées avec plus de confiance, après avoir admiré l'exemple de Socrate; il a été singulièrement sensible à cette

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apparence de facilité et de plaisir que celui-ci don

nait à la vertu.

Montaigne appelle la secte péripatétique « la plus sociable, » et lui sait un gré infini d'avoir également pourvu au bien-être des deux parties dont l'homme est composé'. Il cite quelques traits isolés, quelques opinions d'Aristote; mais il n'aimait pas assez la règle pour aimer celui qui la donnait de son temps. Il demandait à l'éducation de former des hommes qui fussent en état de penser par eux-mêmes; il en eût volontiers banni les principes d'Aristote, qui exerçaient depuis si longtemps sur les intelligences une autorité despotique.

Malgré les emprunts et les ressemblances, l'influence de l'antiquité sur Montaigne se réduit à peu de chose. Peut-être a-t-il pris ou du moins cherché des guides, mais pour se faire conduire par eux dans la direction où le portait sa propre nature. C'était plutôt des compagnons qu'il se donnait, écoutant leurs discours d'une oreille attentive, les répétant d'une voix empressée, s'appliquant à soi-même leurs observations, se les appropriant, et sur tout sujet disant un dernier mot, le sien.

1 Liv. II, ch. XVII.

CHAPITRE IV

PIBRAC

Si nous ne considérions dans les ouvrages que l'étendue, nous n'aurions pas à nous arrêter aux Quatrains de Pibrac. Nous n'y trouvons même ni théories nouvelles, ni talent supérieur. Ils offrent cependant pour nous un vif intérêt. Cette sagesse dégagée ou dénuée de principes philosophiques et de prescriptions religieuses, qui est répandue, égarée dans Montaigne, se concentre chez Pibrac en de brèvesentences. La France entière est allée l'y chercher avec empressement et fidélité, attirée par une forme qui ne donnait aucune peine à la mémoire, par un style simple quelquefois jusqu'à l'excès: « Cet ou vrage, dit un éditeur de Pibrac, l'abbé de la Roche, a été comme l'instituteur de la jeunesse de France, jusqu'au temps de nos derniers pères, c'est-à-dire jusqu'au milieu du dix-septième siècle, qu'il s'est vu comme relégué à la campagne par les réformateurs de notre langue1. »

La Belle vieillesse, ou les anciens quatrains des sieurs de Pibrac, du Faur et Mathieu, éd. Paris, 1747, préface.

Ce grand succès a été prouvé par de nombreuses éditions en France, par des traductions à l'étranger. Non-seulement on a fait passer Pibrac dans les langues grecque et latine, comme pour lui donner autant d'honneur qu'il avait de popularité; mais, s'il faut en croire l'abbé de la Roche, toutes les nations ont voulu se l'approprier, jusqu'aux Turcs, aux Arabes et aux Persans.

La sagesse de Pibrac, comme celle de Montaigne, s'adresse, en effet, à toutes les nations. L'éditeur <«< convient qu'il y a quelques pensées, quelques expressions même qui ne sont pas dans l'analogie et la pureté de la religion chrétienne. Mais son dessein n'étoit pas de faire le docteur, et il paraît qu'il n'avoit d'autre vue que de dresser une morale purement humaine et capable de faire d'honnêtes gens. >>

Cette morale purement humaine a une grande analogie avec celle de Montaigne; elle n'offre pas autant de défaillances, non-seulement parce que l'auteur, ayant un moins long chemin à parcourir, a moins d'occasions de tomber, mais encore parce qu'il prend cette forme dogmatique dont l'auteur des Essais aurait eu peur.

Il n'y a d'heureux ici bas que le sage,

Mais où est-il, las! au siècle où nous sommes 1?

dit Pibrac, attristé du spectacle que lui offre son temps. Le sage est toujours libre, riche, «et jamais étranger; » c'est un vrai roi; il ne craint rien et n'attend que de soi-même ce qu'il a mérité.

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On ne peut être et il ne faut pas se croire sage du premier coup. La sagesse demande un travail de toute la vie1.

On ne saurait avoir trop de reconnaissance pour celui qui enseigne « à bien parler et surtout à bien faire3; » mais c'est en soi-même qu'on doit chercher cet enseignement. Pibrac, avec un grand nombre de ses contemporains, compare celui

Qui lit beaucoup et jamais ne médite

au mangeur avide à qui la nourriture ne profite pas3. Au contraire,

Qui a de soi parfaite connaissance

N'ignore rien de ce qu'il faut savoir.

La sagesse ne sert qu'à devenir vertueux :

Vertu et mœurs ne s'acquiert par l'étude,
Ni par argent, ni par faveur des rois,
Ni par un acte, ou par deux ou par trois,
Ains par constance et par longue habitude".

C'est la doctrine de Montaigne, celle des juriscon-
sultes exprimée par Pibrac, mais avec une netteté
presque triviale.

1

La vertu qui s'acquiert ainsi

...

Gît entre les deux extrêmes,

N'excède en rien et rien ne lui défaut *,

Jusqu'au cercueil, mon fils, veuilles apprendre
Et tiens perdu le jour qui s'est passé,

Si tu n'y as quelque chose amassé

Pour plus savant et plus sage te rendre (30).

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