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certaine, Charron ne nous apprend pas pourquoi nous devons lui obéir.

Nous ne sommes pas réduits à croire sans examen ce qu'il nous dit de sa propre doctrine. Quand il étudie le détail de la vertu, il se contente moins de la conformité à la nature, qu'il n'obéit à cette moralité qui est en chacun de nous; il croit peutêtre consulter la raison universelle, mais il suit plutôt sa propre conscience, dont le témoignage serait au besoin rectifié et complété par la conscience d'autrui, par l'opinion générale, malgré son dédain proclamé pour la prudhomie ordinaire, « tant prêchée et recommandée du monde1».

Aussi ne trouvons-nous pas en lui d'ordinaire un rigoureux stoïcisme. Quand il se met en contradiction avec le monde, ce n'est point parce qu'il fait paraître la vertu plus difficile, c'est quelquefois pour la dégager d'obligations imposées par un préugé, telles que la chasteté du langage et des vêtements; c'est le plus souvent pour rendre l'homme sage et heureux en le débarrassant des travaux, des ennuis, des chagrins que les autres subissent, acceptent ou recherchent.

En effet, Charron enseigne la sagesse et non-seulement la vertu. La prudence et la prudhomie sont << deux choses les meilleures et plus excellentes, et les chefs de tout bien, mais, seules et séparées, sont défaillantes, imparfaites. La sagesse les accouple. »> Ce n'est pas le propre d'un moraliste sévère que de

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déclarer la vertu imparfaite, si elle n'est jointe à l'habileté de la conduite. Charron prescrit également à l'homme d'être vertueux et d'être heureux.

Il n'est pas étonnant que la prudence tienne dans le livre une place égale à celle de la vertu. Nous n'avons pas à examiner spécialement les conseils qu'elle suggère. Nous les retrouverons plus d'une fois en étudiant les préceptes de la morale proprement dite; ils ont souvent pour office de restreindre l'application de ceux-ci. Une question générale se pose dès à présent. L'honnête et l'utile s'accordent le plus souvent; ainsi « un grand et principal expédient pour se bien comporter en l'adversité sera d'être homme de bien1». Mais, quand ils sont en contradiction, quel choix faut-il faire? L'honnête doit l'emporter, « sauf peut-être quelque exception bien rare, et avec grande circonspection, et aux affaires publiques seulement » ; exception qu'il n'est pas facile d'ériger d'avance en théorie et qui dépend de la pratiques. Entre deux vices on prendra le moindre; mais il n'est pas toujours facile de discerner le bien et le mal, le plus et le moins. Le principe stoïcien va tirer Charron d'embarras,

1 Liv. II, ch. vi, 11. 2 Cf. liv. I, ch iv, 6. « L'on est contraint souvent de se servir et user de mauvais moyens pour éviter et sortir d'un plus grand mal, ou pour parvenir à une bonne fin; tellement qu'il faut quelquefois légitimer et autoriser, nonseulement les choses qui ne sont point bonnes, mais encore les mauvaises, comme si pour être bon il falloit être un peu méchant. C'est ainsi qu'en politique on fait une guerre étrangère pour prévenir une guerre civile, en débarrassant la république des gens trop bouillants, que les Spartiates enivroient les Ilotes, que les combats de gladiateurs apprenoient aux hommes à mépriser la mort, etc.., > 3 Liv. II, ch. 1, 5.

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sauf à y laisser ses lecteurs on suivra la nature1.

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Avant tout, la sagesse, comme la vertu et l'habileté, par la réunion desquelles elle est formée, tend à la pratique. Charron, qui a souvent imité Bodin, ne s'accorde guère avec lui sur le rang à donner à la contemplation, à la science. Il rejette avec un certain dédain cette sagesse des théologiens et des philosophes, « le souverain bien et la perfection de l'entendement. » « La prudhomie, dit-il ailleurs, est le premier et le principal et qui de loin passe la science.........., et de fait pour entendre et savoir les belles, bonnes et honnêtes choses, ou méchantes et deshonnêtes, l'homme n'est bon ni méchant, honnête ni deshonnête, mais pour les vouloir et aimer. » C'est le langage de l'Imitation de Jésus-Christ. « Les discours sublimes ne font pas l'homme juste et saint, mais la vie vertueuse rend ami de Dieu*. » Charron met le savoir au-dessous de la vertu et de l'habileté, à côté de la dignité, de la noblesse, de la valeur militaire ou immédiatement après. Les sciences pratiques sont celles qu'il apprécie le plus, d'abord les sciences morales ',économiques, politiques, dont nous apprenons à bien

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vivre et à bien mourir, puis les sciences naturelles'. Quant aux autres, il ne faut les étudier que sommairement. Encore fait-il une concession, quand il reconnaît que les sciences morales nous peuvent enseigner l'art de la vie. Il est, d'ordinaire, plus disposé à suivre l'avis de Montaigne qui les déclare absolument inutiles, et, comme celui-ci, il oppose les paysans aux savants pour démontrer que l'étude «< apporte plus de mal que de bien3. » Il se plaît à soutenir que la sagesse el la science sont presque toujours séparées, que les tempéraments qui produisent l'une et l'autre sont tout à fait contraires, «< car celui de la science et mémoire est humide, et celui de la sagesse et du jugement est sec. >> Nous arrivons à la vertu proprement dite.

Elle n'existe pas sans la volonté d'être vertueux. Aussi ne la trouve-t-on pas chez ceux qui vivent «< constamment bien réglés et modérés en toutes choses »>, sans se connaître, si cela est possible, par nature ou discipline, non par raisonnement. Gardons-nous de la confondre, soit avec la prudhomie naturelle, «< dite bonté, » qui permet de suivre sans effort « la raison universelle, » dégoûtée par soi-même de la débauche et du vice ", soit avec l'im puissance naturelle, telle que celle de la vieillesse qui réclame vainement un respect peu mérité, et condamne les voluptés, parce qu'elle ne peut plus en jouir. La volonté d'être vertueux se manifeste

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ordinairement par l'effort. La vertu est «difficile, pénible et laborieuse1». Elle lutte contre les tentations. Une telle prudhomie est déjà supérieure à l'innocence naturelle. Mais elle-même est inférieure à celle qui arrête les vices à leur naissance, non dans leur progrès, « tellement que la vertu est passée en complexion et en nature ». La volonté n'a plus besoin d'effort. C'est dans ce troisième degré que se trouve la perfection. Pour y arriver, il faut joindre à d'heureuses dispositions l'étude de la philosophie. C'était cette perfection, qu'avait obtenue saint Jean-Baptiste, que cherchaient avec les seules ressources de l'humanité les stoïciens et les épicuriens.

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Les grands obstacles que rencontre la vertu viennent des passions. L'homme doit régler sa volonté qui seule est en sa puissance, par laquelle il est bon ou méchant3, maintenir l'ordre dans son âme, comme dans un État, en prévenant contre les surprises des sens le jugement, faculté intermédiaire, qui pourrait remuer les passions, égarer l'entendement*. Celui qui n'a pas le bonheur d'échapper aux mouvements maladifs par la félicité de sa nature, c'est-à-dire, par la santé même, peut choisir entre quatre remèdes. Le premier, qu'on ne recherche pas volontiers, est la stupidité; le second, aussi dangereux que le mal, est une contre-passion plus forte; le troisième consiste à fuir les tentations; il est bon sans être le meilleur, puisqu'il fait défaut quand les tentations arrivent; « le quatrième et meilleur

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