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la morale dans le bon sens, dans l'instinct de chacun, dans une prétendue conformité à la nature de tous. En même temps, il enlevait aux àmes la force dont elles avaient besoin pour les luttes et les sacrifices de la liberté; il apprenait à contempler d'un œil indifférent et les diverses lois et les formes de gouvernement, sans permettre d'affirmer que l'une fût meilleure que l'autre, à se maintenir toujours avec satisfaction dans l'état présent, parce qu'il n'y en avait pas qui pût valoir davantage. Les pays où l'on croit sont les seuls où l'on puisse être libre.

Le scepticisme aurait dû servir au moins à faire consacrer comme un droit la liberté de conscience. Il n'en fut rien. Depuis l'Hospital jusqu'à Charron, par l'effet de sentiments divers, tous s'accordèrent pour proclamer l'unité de religion indispensable à la société politique, pour déclarer que le roi était obligé envers Dieu et envers l'État à maintenir l'ancien culte, à n'en pas laisser établir de nouveau. La possession d'état faisait la légitimité en matière religieuse comme en matière politique. Il est vrai que les moralistes défendaient au roi de tirer l'épée pour la cause de Dieu; il condamnaient la persécution,mais moins comme la violation d'un droit que comme un détestable moyen de conservation; ils revenaient à la tolérance, siron à la liberté de conscience, el par une voie détournée. La morale faisait comme la royauté, elle transigeait.

TROISIEME PARTIE

INFLUENCE DES MORALISTES DU SEIZIÈME SIÈCLE SUR CEUX DES DEUX SIÈCLES SUIVANTS

CHAPITRE PREMIER

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE

On plaît toujours à ceux dont on prend l'esprit et à qui l'on rend le service d'exprimer leurs idées. Le succès de Montaigne fut immense, et il devait l'être1. Il avait ce qui était nécessaire pour réussir, n'importe dans quel siècle, et, de plus, il s'accordait parfaitement avec le sien. Il lui apportait la paix avec le scepticisme. Parmi les troubles de la politique et de l'esprit, la foi publique et privée avait été mise à une rude épreuve; la loyauté était devenue rare et

1 Il semble cependant qu'il ait fallu quelque temps pour décider - le succès: « Tu devines, lecteur, dit mademoiselle de Gournay (Préface de l'édition de 1655), que je veux rechercher les causes du froid accueil que notre vulgaire fit d'abord aux Essais. » Elle dit que son admiration l'eût fait traiter de visionnaire, si elle n'avait pu s'autoriser de Juste Lipse, « qui avoit ouvert par un écrit public la porte de la louange aux Essais. »

précieuse; le démenti paraissait un affront d'autant plus sanglant qu'on le croyait toujours mérité. Om trouvait chez Montaigne l'éloge enthousiaste de la vertu qui était la plus recherchée. D'un autre côté, les mœurs n'étaient ni très-pures ni très-délicates a la cour; on y était bien aise quand on rencontrait dans les livres de quoi charmer, de quoi justifier au besoin le penchant à la volupté. On commençait à être trop éclairé pour se contenter du premier venu. C'était un écrivain incomparable qui se chargeait de donner la loi, après s'être assuré qu'elle serait agréable. Comment ce Bourbon, « roi loyal, mais douteux catholique, » n'eût-il pas goûté Montaigne, dont il avait fait presque son ami, et qui, de son côté, l'avait représenté comme le type parfait de l'honnête homme et du bon prince? Tous les gentilhommes eurent des exemplaires des Essais, même en province, eux qui ne lisaient guère1.

Charron trouva autant de lecteurs, et même, chose étonnante autant d'admirateurs que Montaigne, Il avait réduit le scepticisme en doctrine; le scepticisme lui-même a besoin d'être enseigné. On ne croit guère rencontrer la raison que là où l'on rencontre

Nous ne citerons qu'un exemple pour prouver un fait trèsgénéralement reconnu. Campion, né en 1613, nous dit dans ses Mémoires (Paris, Janet, 1857) qu'il aime beaucoup Plutarque « lequel est, ajoute-t-il, le seul qui peut nous apprendre à bien vivre, comme Montaigne à nous bien faire connaître et Sénèque à bien mourir (p. 5), >> et plus loin il rapporte qu'il aime par-dessus tout les livres d'histoire, « excepté Sénèque et Montaigne qui sont toujours mes véritables favoris. » Campion appartenait à la noblesse de Normandie.

le raisonnement. Le traité de la Sagesse se répandit assez vite pour sembler dangereux à ceux dont le froid disciple de Montaigne blessait la foi vive. La deuxième édition ne parut qu'en 1604, trois ans après la première, un an après la mort de l'auteur, que moyennant des retranchements, des corrections, des parenthèses explicatives du président Jeannin. Le danger sembla passé quand la première émotion fut calmée. Les passages retranchés reparurent dans les éditions suivantes et contribuèrent sans doute à les faire acheter1. Dès lors Montaigne et Charron exercèrent, sans contestation, et grâce aux passages de leurs écrits qui se conformaient le moins à la morale chrétienne, une influence qui convenait peutêtre à un pouvoir bientôt inquiet du jansénisme naissant, comme d'une doctrine faite pour la résistance 2.

Enfin, dans la première partie du dix-septième siècle, les quatrains de Pibrac jouirent d'une grande popularité. Pour atteindre au même succès, plusieurs auteurs avaient adopté le même genre, le président Du Faur, qu'on suppose être mort en 1600, Mathieu, historiographe de France qui vécut jusqu'en 1621. Le bon sens paraissait avoir inspiré tous les vers de ce recueil, que chaque génération enrichissait à son tour. Le jeune dauphin, qui devait être Louis XIII, récitait Pibrac après avoir fait

1 Bayle, Charron, note E.-M. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XI. Charron. Ce dernier auteur nous apprend que beaucoup d'esprits préférérent tout d'abord Charron à Montaigne. Voy. M. Giraud, Hist. de Saint-Evremond, p. 160. vieillesse, préface citée de l'abbé de la Roche.

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3 Voy. la Belle

sa prière; il les récitait même quelquefois en musique'. Dans le Berger extravagant, de Sorel, la famille du jeune Lysis, qui perd la tête à lire l'Astrée, lui conseille d'apprendre par cœur « les quatrains de Pibrac et les tablettes du conseiller Mathieu, pour venir les réciter au bout de la table, quand il y auroit compagnie. » Molière faisait encore parler un vieillard en ces termes, en 1660:

Lisez-moi comme il faut, au lieu de ces sornettes,
Les quatrains de Pibrac et les doctes tablettes
Du conseiller Matthieu; l'ouvrage est de valeur
Et plein de beaux dictons à répéter par cœur 3.

On lisait Montaigne ct Charron, on apprenait Pibrac. Il y avait dans ces différents auteurs de quoi plaire à tout le monde. Montaigne charmait par son style les délicats, et par son indécision même, qui faisait paraître son scepticisme si naturel, les esprits vraiment disposés par la nature et non par l'éducation à douter sur les points les plus importants. Pibrac était à peu près irréprochable et ne soulevait aucune inquiétude; on le recommandait aux jeunes filles, comme le vieillard de Molière; madame de Neuillant en imposait la lecture à la jeune mademoiselle d'Aubigné qui n'y trouvait aucun plaisir ; la simplicité du style rendait l'ouvrage accessible à la partie de la société dont l'intelligence et les goûts étaient les plus simples. C'est au milieu de la bour

1 Journal de Jean Héroard sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII, publié par MM. Eud. Soulié et de Barthélemy. Paris, F. Didot, 1868, t. I. p. 173, 189, 205, 219, 225, 260, 285, 286. 2 Voy. M. Sainte-Beuve. Hist. de la poésie française au xvie siècle. 3 Sganarelle, sc. I.

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