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louange par la plume, » ou Henri II, parce que

Nul poëte françois, des Muses serviteur,

Ne présenta jamais d'ouvrage à sa hauteur

Qu'il n'ait récompensé d'un présent magnifique 1.

Diane de Poitiers entendit vanter en même temps et le bonheur qu'elle avait d'être la maîtresse du roi et la vertu qui le lui avait procuré2.

Les poëtes s'inquiétaient beaucoup moins de la morale que des bonnes lettres, comme ils disaient, que de l'art, comme on dirait aujourd'hui. Un homme qui goûtait ou cultivait la poésie leur paraissait dispensé de tous les devoirs ou incapable d'en violer aucun, et à l'inverse ils disaient:

Celui qui ne nous honore
Comme prophètes des Dieux,
Plein d'un orgueil odieux,

Les Dieux il méprise encore 3....

Il leur semblait que l'éclat des lettres fit la félicité du monde. La poésie était devenue une religion. L'autre religion, avec ses croyances et ses préceptes, était laissée de côté. On était poëte dans l'âme, païen dans le langage. Du Bellay se plaignait des pourceaux d'Epicure qui allaient «grognant contre les doctes >> et défendant la religion

Par nous païens déguisée 4.

Le reproche était fondé. Peut-être était-ce Du Bellay

2 Du

2 Ronsard, Bocage royal, panégyrique de la Renommée. · Bellay, Divers poemes, et konsard, Odes retranchées, à Diane de Poitiers. 3 Ronsard, Odes, 1. I, xvш, à J. Du Bellay.· 4 Recueil de poésies, Ode xvIII, au seigneur des Essards.

qui le méritait le moins. Il introduisit dans l'Olive quelques sonnets religieux, où il exprima avec un sincère accent sa croyance à la rédemption et son repentir des fautes commises par lui, où il professa la prédestination des âmes, en se rappelant peutêtre Calvin et certainement Platon1. Quant à Ronsard, s'il se vanta « au nom du sacré troupeau des Muses,» de « porter Jésus-Christ dans le cœur arrêté, » ce furent les années et les malheurs des temps qui le ramenèrent à la religion.

Les poëtes de la pléiade étaient trop savants pour ne pas connaître la philosophie antique; mais, au lieu de s'attacher à cette partie de son enseignement dont les siècles n'ont diminué ni l'utilité ni la beauté, au lieu d'y rechercher l'expression incomparable des grandes vérités morales, ils y prenaient, ils reproduisaient les systèmes cosmogoniques, les hypothèses sur l'origine des âmes ou sur l'essence des idées, soit que leur goût naturel les portât vers le bizarre et le subtil, soit que, en vrais poëtes, ils se laissassent entraîner par une imagination qui poursuivait un but inconnu à travers des déserts sans chemin.

C'est à l'amour que se donna surtout la pléiade. Peut-être s'aperçut-elle que, pour se faire pardonner une érudition souvent incomprise, il lui fallait traiter un sujet facile à comprendre dans tous les temps. Ainsi les deux écoles servirent le même Dieu, mais chacune à sa manière. C'est en souvenir des anciens que les poëtes nouveaux conseillent l'amour; leurs

1

Sonnet cx. « Dedans le clos des occultes idées, etc. >> Bocage royal, à Catherine de Médicis, 1564.

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arguments, leurs comparaisons, leurs tableaux sont empruntés à Virgile, à Catulle, à Horace. Ils n'en sont point encore à comprendre que le français permet moins de choses que le latin. Aussi décriventils la beauté avec un détail qui aujourd'hui nous paraît excessif. Ils révèlent souvent leurs désirs sans en rien cacher; ils ne se font aucun scrupule de recommander la jouissance et d'excuser le changement'. Ronsard déclare avec franchise qu'il a quitté Cassandre pour n'avoir pu la fléchir et répond à l'exemple de Pétrarque :

Ou bien il jouissoit de sa Laurette, ou bien

Il étoit un grand fat d'aimer sans avoir rien 2.

Cependant, sous l'influence de l'antiquité et suivant peut-être un progrès dans les mœurs ou plutôt dans les manières du siècle, l'école, sauf quelques écarts, s'efforce de donner aux sentiments les plus libres une expression qui n'ait rien de choquant. La grossièreté tend à disparaître du langage. Si quelque chose est dérobée à l'antiquité, c'est un peu de cette grâce exquise, en faveur de laquelle on pardonne tant, qui favorise peut-être la licence, mais qui est incompatible avec l'obscénité; on s'adresse à des maîtresses qui n'existent pas toujours; Du Bellay semble avouer qu'il ne connaît pas d'Olive3; son amour est le produit de la pure imagination. La

1

Voy. les nombreuses citations, faites avec discrétion cependant, par M. Sainte-Beuve, Tableau historique et critique de la poésie française et du théâtre français au seizième siècle, 2o éd., 1848. 2 Amours, 1. II, Élégie à son livre. 5 Voy. cependant M. Sainte

Beuve, op. cit., p. 346.

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3

sensualité diminue au fond comme dans la forme; l'amant d'Olive fait « treize sonnets de l'honnête amour. » L'inconstance que Ronsard excuse n'est pas celle qu'approuve Saint-Gelais le premier pardonne le changement à l'amant longtemps rebuté ; le second le conseille à celui qui se lasse promptement d'être satisfait. Ronsard veut que l'amour payé de retour dure toute la vie; l'homme qui trompe une jeune fille quand elle se donne à lui « et de cœur et de corps, »

Certainement mérite sur la tête,

Le feu le plus ardent d'une horrible tempête.

Quand l'école peut se soustraire à l'amour, elle donne d'utiles conseils et exprime de nobles sentiments. Il y a de tout dans ses œuvres; l'esprit humain ne s'abandonne pas pour toujours à la frivolité. Nous pouvons faire bon marché des banalités poétiques sur la beauté de la vertu; mais il semble que l'idée d'enseigner la morale se soit présentée un jour à l'esprit de Ronsard, quand il a peint la jeunesse de France qui se plaît en ses fautes :

Ignorante qu'elle est,

De toute discipline'.

« Ce poëte orgueilleux » a fait une petite pièce où l'on croirait reconnaître la main plus modeste de Pibrac. Il est vrai qu'il faut toujours chercher le

1 Odes retranchées. Contre la jeunesse française corrompue.

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fond, et quelquefois, au lieu d'une pensée morale, on trouve un motif intéressé. Si l'école combat énergiquement l'envie, c'est qu'elle l'impute à ses adversaires; elle n'accorde pas de trêve aux avaricieux; mais, ce qu'elle leur reproche, ce n'est pas de manquer à la charité, c'est de se refuser à eux-mêmes et à ceux qui les entourent les douces jouissances de la vie, c'est de ne pas faire assez pour les poëtes. Ni Marot, ni Ronsard n'avaient grand mérite à prêcher la générosité.

La saisissante réalité des troubles civils arracha les poëtes aux factices amours, aux délices d'imagination ou de science, à l'idéale mythologie où ils essayaient de transporter leurs contemporains avec eux-mêmes. Peut-être n'eurent-ils pas à souffrir autant que d'autres; la poésie leur offrait un asile et une consolation. Mais l'asile ne fut pas toujours respecté. La colère des huguenots contre l'antiquité et la poésie retombait sur ceux qui les avaient cultivées. Ronsard prit parti et se vit en butte à de vives attaques. La consolation, d'ailleurs, ne suffisait pas à des cœurs élevés :

Madame, je serois ou du plomb ou du bois,

Si moi, que la nature a fait naître François,

Aux races à venir je ne confois la peine,

Et l'extrême malheur dont notre France est pleine 1.

Les dernières œuvres de Du Bellay furent d'abord

Sois en guerre valeureux;

Aux petits ne fais injures,

Mais si un grand te fait tort,

Souhaite plutôt la mort

Que d'un seul point tu l'endures. (Odes, 1. V, 17.)

Discours sur les misères de ce temps, à la reine.

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