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portée pour ainsi dire de son propre mouvement : la réponse du loup qui se moque d'elle, en paroît moins atroce. Phèdre amène cette réponse avec plus d'art :

Pro quâ cum pactum flagitaret præmium : Ingrata es, inquit, oræ quæ nostro caput Incolume abstuleris, et mercedem postules ! Lafontaine fait du loup un plaisant, et peut-être n'at-il pas tort; car les méchans sont généralement railleurs : il règne, en totalité, dans sa fable, plus de gaieté, plus de légèreté, plus de facilité que dans celle de Phèdre; mais celle-ci est mieux composée, dit plus de choses en moins de mots, peint mieux la scène que l'auteur a voulu représenter, et renferme des beautés d'élocution contre lesquelles il semble que Lafontaine n'ait pas osé lutter. C'est ainsi qu'il paroît avoir désespéré d'atteindre Horace, dans la fable des Deux Rats, dont il ne nous a donné qu'une très-foible imitation: au reste, personne n'a senti mieux que lui le mérite des anciens; personne n'a parlé d'eux avec plus de respect. Il est beau de voir un si grand et si heureux génie se courber devant la majesté des temps antiques, et baisser les yeux devant cette même gloire des écrivains anciens, à laquelle il s'est associé.

Il y a telle fable de Phèdre qui n'a que quatre vers en y comprenant la moralité; celle-ci, par exemple :

Personam tragicam forte vulpis viderat :

O quanta species, inquit, cerebrum non habet!
Hoc illis dictum est quibus honorem et gloriam
Fortuna tribuit, sensum communem abstulit.

Cela seroit sec en français. Lafontaine a supérieurement développé et amplifié ce texte :

Les grands pour la plupart sont masques de théâtre ;

Leur apparence impose au vulgaire idolâtre ;

XI. année.

3

L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit;
Le renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens; et quand il s'aperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,

Il leur applique un mot qu'un buste de héros
Lui fit dire fort à propos :

C'étoit un buste creux, et plus grand que nature;
Le renard, en louant l'effort de la sculpture,

ע

« Belle tête, dit-il, mais de cervelle point.
Combien de grands Seigneurs sont bustes en ce point.

J'ai peine à quitter Phèdre et Lafontaine pour m'occuper des notes de M. Charles-Constant Letellier. Le plus grand défaut de ces notes, qui du reste appartiennent à tous les commentateurs à qui M. Letellier les a prises, est d'être trop multipliées : la plupart sont inutiles : l'éditeur pouvoit se dispenser de mettre au bas des pages de son Phèdre ce que les enfans peuvent fort bien chercher et trouver dans les diction naires qu'ils ont entre les mains. L'édition stéréotype de Phèdre, à l'usage des écoles, donnée par le célèbre professeur M. Planche, me paroît faite sur un meilleur plan; les notes y sont beaucoup plus ménagées, et les endroits auxquels elles s'appliquent paroissent toujours choisis par le goût le plus éclairé. Les notes de M. Planche sont aussi mieux rédigées; elles sont toujours précises et claires. On peut faire cependant aux deux commentateurs un même reproche : ils confondent continuellement le sens propre des mots avec leur sens figuré. Ainsi M. Letellier, dans la fable du Chien et du Loup, à ces mots, que le loup adresse au chien: Unde sic, quæso, nites? met au bas de la page « nitere, avoir de l'embonpoint ». Nitere ne signifie pas proprement cela; il veut dire, briller; reluire; et il ne veut dire, être gras, avoir de l'embonpoint, que dans certains cas où l'effet est pris pour

la cause, et l'éclat que donne l'embonpoint pour l'embonpoint même. Cette erreur de MM. Planche et Letellier est celle de tous les auteurs de dictionnaires : ces auteurs ne distinguent jamais la signification figurée des termes de leur signification propre, et portent ainsi le trouble dans les idées des commençans: un bon dictionnaire latin est encore à faire.

Y.

VII.

Les Commentaires de César, traduction nouvelle ; par M. LE DOIST DE BOUTIDOUX, ex-constituant.

ON a dit que l'histoire se fait lire, de quelqne manière qu'elle soit écrite : historia, quoquo modo scripta, legitur. Cela est vrai jusqu'à un certain point: et cette maxime peut s'appliquer sur-tout à une traduction des Commentaires de César. Ces Commentaires sont éminemment un ouvrage instructif: le grand homme qui les rédigea ne chercha point à répandre d'ornemens sur ses écrits: il n'ambitionna d'autre mérite que celui de la simplicité, si toutefois on doit appeler ambition ce qui semble exclure toute prétention ambitieuse. On ne peut donc pas exiger du traducteur ce qui ne se trouve pas dans l'original; la pompe des narrations, le brillant des pensées, l'agrément des figures, l'éclat du style: de là, jusqu'à ne demander que de l'exactitude, de la correction et de la clarté, il n'y a qu'un pas aussi ne demande-t-on pas autre chose à un traducteur de César; et ces conditions sont si faciles à remplir, qu'une traduction des Commentaires est une entreprise qui annonce plus de zèle qu'elle ne promet de gloire. Une bonne traduction de

César ne sera jamais mise sur le même rang qu'une bonne traduction de Tite-Live, de Salluste, de Tacite, ou même de Quint-Curce. Il est difficile de satisfaire le lecteur instruit, lorsqu'on essaie de reproduire le génie de ces grands historiens, et de copier leurs savantes compositions; il est assez aisé de le contenter en traduisant César : il ne cherche dans la copie, comme dans l'original, que les faits et l'instruction, presqu'indépendamment de la manière dont ils sont exposés ou préparés.

Ce n'est pas que les Commentaires de César n'aient, même sous le rapport du style, un très-grand mérite; mais ce mérite n'a rien d'éclatant, rien qui frappe ; il n'est aperçu, il n'est senti que par les latinistes consommés; encore ne sont-ils pas toujours bien sûrs de ce qu'ils sentent et de ce qu'ils aperçoivent; quand ils sont de bonne foi, ils avouent que les éloges donnés aux Commentaires par les juges les plus respectables de l'antiquité, influent beaucoup sur leur opinion et que leur enthousiasme pour le style de César est en partie un enthousiasme de tradition. Les anciens ont, en effet, beaucoup exalté la diction de cet ouvrage; Cicéron semble la comparer aux Grâces ellesmêmes, qui n'empruntent leurs charmes d'aucun ornement étranger : ils sont nus, dit-il, en parlant des Commentaires; mais ils sont remplis d'attraits et d'agrémens, tant la forme en est pure et délicate! Le tour de son éloge, que je commente et développe un peu, retrace l'image de ces divinités qui n'en sont que plus belles quand elles ont écarté toutes les parures, et même tous les voiles, omni ornatu, tanquàm veste detracto; il lance un anathème contre l'écrivain insensé qui tenteroit d'orner cette exquise et précieuse simplicité. César, ajoute-t-il, en écrivant cet ouvrage

d'un style si uni, a présenté un appât trompeur aux esprits bornés, qui regardant ces Commentaires comme un canevas, croiront devoir les broder et les embellir; mais il a fait tomber la plume des mains à quiconque n'est pas entièrement dépourvu de sentiment et de goût. Au reste, personne n'a eu l'audace de braver l'anathème de Cicéron ; on a respecté la simplicité des Commentaires de César; mais un disciple de Cicéron lui-même, Hirtius, n'a pas craint de suppléer ce qui manquoit à ces Commentaires, et d'en donner une continuation; ce qui semble presqu'aussi coupable que de chercher à les embellir: heureusement, la postérité n'est pas un juge plus sûr de l'attentat d'Hirtius, que de la délicatesse même et de la rare pureté du style de César.

La qualité qui le caractérise, c'est ce que les rhéteurs et les grammairiens appellent la propriété. Elle consiste, si je ne me trompe, dans un soin particulier d'employer les mots avec justesse, suivant leur acception primitive et originelle, en les écartant et les éloignant le moins possible de leur étymologie, en s'attachant scrupuleusement à leurs racines. César avoit fait une étude approfondie de sa langue; il étoit lui-même ce qu'il a dit de Térence, puri sermonis amator; il composa des traités de grammaire, sorte d'ouvrages qui paroissent bien peu dignes d'ún si beau génie, mais qui étoient d'une grande importance à une époque où la langue latine commençoit à se dégager de la rouille des anciens temps, à s'épurer et à se former. Remarquons, pour ceux qui aiment ces rapprochemens, que César naquit avant Lucrèce et Catulle, dont les vers pleins de génie conservent encore presque toute l'âpreté des premiers âges. Térence, en traduisant Ménandre, avoit fait passer dans.

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