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En somme, il faut amollir et briser ce cœur, ma tres chere Fille, et convertir nostre fierté en humilité et resignation. Je salue nos Seurs, et particulierement Madame la Prieure. Dieu par sa bonté vous comble de son saint Esprit, afin que vous viviés en luy et à luy.

CLXXXV.

LETTRE1

DE S. FRANÇOIS DE SALES A UNE SUPÉRIEURE DE LA VISITATION.

Le Saint console une Supérieure de la Visitation, qui avoit beaucoup de malades dans sa communauté, et l'encourage à la charité et à la patience. Exhortation aux souffrances. Quels sont les joyaux et les festins des épouses de Jésus-Christ crucifié.

19 février 1618.

Je vous vois, ma tres chere Fille, toute malade et dolente sur les maladies et douleurs de vos filles. On ne peut estre mere sans peyne. Qui est celuy qui est malade, dit l'Apostre, que je ne le sois avec luy ? Et nos anciens Peres ont dit là dessus que les poules sont tous-jours affligées de travail tandis qu'elles conduisent leurs poussins, et que c'est cela qui les fait glousser continuellement, et que l'Apostre estoit comme cela.

Ma tres chere Fille, qui estes aussi ma grande fille, le mesme Apostre disoit aussi que quand il estoit infirme, alors il estoit fort, la vertu de Dieu paroissant parfaitte en l'infirmité. Et vous donc, ma Fille, soyés bien forte parmi

1 C'est encore une sœur de l'abbesse.

* C'est la 429o de la collection-Blaise, et la 70o (al. 61o) des anc. éditions. Quis infirmatur, et ego non infirmor? II. Cor., XI, 29.

♦ Cùm infirmor, tunc potens sum. II. Cor., XII, 10.

Virtus in infirmitate perficitur. Ibid., 9.

les afflictions de vostre mayson. Ces maladies longues sont de bonnes escholes de charité pour ceux qui y assistent, et d'amoureuse patience pour ceux qui les ont; car les uns sont au pied de la croix avec nostre Dame et S. Jean, dont ilz imitent la compassion, et les autres sont sur la croix avec nostre Seigneur, duquel ilz imitent la passion.

Quant à la Seur de laquelle vous m'escrivés, Dieu vous fera prendre le conseil convenable. Cette douceur és souffrances est un pronostic de la future faveur abondante de nostre Seigneur en cette ame, où qu'elle aille ou demeure. Salués, je vous supplie, ces deux filles tendrement de ma part, car je les ayme ainsy.

Au demeurant, s'il est treuvé convenable de renvoyer cette Novice, il le faudra faire avec la charité possible, et Dieu reduira tout à sa gloire. Dieu garde et benit les sorties aussi bien que les entrées de celles qui font toutes choses pour luy, et qui n'occasionnent pas leurs sorties par leurs mauvais deportemens. Sa providence fait vouloir le sacrifice qu'elle empesche par apres d'estre fait, comme on voit en Abraham. Et me semble que je dis je ne sçay quoy de cecy au livre de l'Amour de Dieu, mais je ne me souviens pas où.

Dilatés cependant vostre cœur, ma chere Fille, mon ame, parmi les tribulations; aggrandissés vostre courage, et voyés le grand Sauveur penché du haut du ciel vers vous, qui regarde comme vous marchés en ces tourmentes, et, par un filet de sa providence imperceptible, tient vostre cœur, et le balance, en sorte qu'à jamais il le veut retenir à soy.

Ma tres chere Fille, vous estes espouse, non pas encor de Jesus-Christ glorifié, mais de Jesus-Christ crucifié : c'est

1 Il paroît que c'est la novice dont il est parlé plus bas.

2 Deus custodiat introitum tuum, et exitum tuum, etc. Ps. CXX, 8. 3 Liv. IX, ch. 6, de la Pratique de l'indifférence amoureuse dans les choses du service de Dieu.

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pourquoy les bagues, les carquans et enseignes qu'il vous donne, et dont il vous veut parer, sont des croix, des clous et des espines; et le festin de ses nopces est de fiel, d'hysope, de vinaigre. Là haut nous aurons les rubis, les diamans, les esmeraudes, le moust, la manne et le miel. Je ne dis pas cecy, non, ma chere grande Fille, vous tenant pour descouragée, mais vous tenant pour adoulourée, et m'estant advis que je dois mesler mes souspirs avec les vostres, comme je sens mon ame meslée avec la vostre, voyés-vous.

Ne me dites point que vous abusés de ma bonté à m'escrire de grandes lettres; car en verité je les ayme tous-jours suavement.

Ce bon Pere dit que je suis une fleur, un vase de fleurs, et un phoenix; mais en verité, je ne suis qu'un puant homme, un corbeau, un fumier. Mais pourtant aimés-moybien, ma tres chere Fille; car Dieu ne laisse pas de m'aymer, et de me donner des extraordinaires desirs de le servir et aymer purement et saintement. En somme, apres tout, nous sommes trop heureux d'avoir pretention en l'eternité de la gloire par le merite de la passion de nstre Seigneur, qui fait trophée de nostre misere, pour la convertir en sa misericorde, à laquelle soit honneur et gloire és siecles des siecles. Amen.

Je suis vostre, ma très chere Fille, vous le scavés bien: je dis vostre d'une façon incomparable.

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CLXXXVI.

LETTRE

A UN RELIGIEUX.

Pourquoi les Religieuses de la Visitation disent plutôt le petit Office que le grand; inconvénient du bréviaire pour les filles.

Mon reverend Pere,

26 avril 1618.

Quant à la demande que fait le bon Seigneur duquel vous m'escrivés sur l'occupation des Seurs de la Visitation, en cas qu'elles ne disent le grand Office, il y a deux raysons.

La premiere, que les Seurs disant le petit Office gravement et avec pause, elles y employent autant de tems comme la pluspart des autres Religieuses en mettent à dire le grand Office, sans autre difference, sinon que les unes le disent avec plus d'edification et meilleure prononciation que les

autres.

Certes, il y a huit jours qu'estant en un Monastere pres de cette ville, je veis des choses qui pouvoient bien faire rire les Huguenotz; et des Religieuses me dirent qu'elles n'avoient jamais moins de devotion qu'à l'Office, où elles sçavoient de faire tous-jours beaucoup de fautes, tant faute de sçavoir les accens et quantités, que faute de sçavoir les rubriques, comme encor pour la precipitation avec laquelle elles estoient contraintes de le dire; et que, ne sachant ni n'entendant rien de tout ce qu'elles disoient, il leur estoit impossible, parmi tant d'incommodités, de demeurer en attention. Je ne veux pas dire pourtant qu'il les faille descharger, sinon quand le saint Siege, ayant compassion

1 C'est la 432o de la collection-Blaise, et la 4o du livre VI des anc. éditions. VII. 23

d'elles, le treuvera bon. Mais je veux bien dire pourtant qu'il n'y a nul inconvenient, ains beaucoup d'utilité à laisser le seul petit Office en la Visitation. En somme, mon Reverend Pere, ce petit Office est la vie de la devotion en la Visitation.

La deuxieme responce, c'est qu'en la Visitation il n'y a pas un seul moment qui ne soit employé tres utilement en prieres, examen de conscience, lecture spirituelle, et autres exercices. Je m'asseure que le saint Siége favorisera cette œuvre, qui n'est ni contre les loix, ni contre l'estat religieux, et qui luy acquiert beaucoup de maysons d'obeissance en un tems et en un royaume où il en a tant perdu; et puisque mesme il n'y a pas tant de considerations à faire pour des maysons de filles, d'autant qu'elles ne sont de nulle consequence pour les autres Ordres, ni ne peuvent estre occasion de plaintes aux fondées sous autres statuts. La seule consideration de la plus grande gloire de Dieu me donne ce desir, et l'utilité de plusieurs ames capables de servir beaucoup sa divine Majesté en cette Congregation, avec la seule charge du petit Office, incapables dautant de pouvoir suivre le grand Office. Sera-ce pas une chose digne du Christianisme, qu'il y ayt des lieux où retirer ces pauvres filles, qui ont le cœur fort, et les yeux et la complexion foibles? Pour le reste, mon Reverend Pere, travaillés diligemment à faire reüscir l'entreprise de vostre seminaire; car j'ay opinion qu'il sera meshuy necessaire.

Vostre frere et serviteur,

FRANÇOIS, EV. de Geneve.

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