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église, d'avoir toujours été la première à marcher en avant avec sa bannière contre les ennemis du Christ et de la liberté.

Le jour de l'Ascension 1146, l'abbé de Morimond, délégué sans doute par saint Bernard, convoqua les principaux seigneurs du Bassigny dans son abbaye, et leur exposa avec tant de force et d'onction la nécessité de voler au secours de Jérusalem, que la plupart prirent la croix en répétant le cri de Vézelay: Dieu le veut !......

D'après la chronique, on comptait dans cette assemblée quatre seigneurs de fiefs bannerets, dix de fiefs de hautbert et quinze simples écuyers (1). La foi chrétienne animait tous ces barons et faisait battre leurs cœurs sous le fer de leur épaisse armure. Malheureusement leur conduite n'était pas toujours en harmonie avec leurs croyances : la plupart étaient entachés de vices honteux contre la pureté ; ils sentirent qu'avant de courir attaquer le sensualisme en Asie, ils devaient auparavant le vaincre dans leurs ames et briser contre eux-mêmes leur première lance.

Un joug intolérable pesait sur les pauvres manants: il ne fut pas difficile de faire comprendre aux seigneurs qu'ils ne mériteraient de renverser le despotisme mahométan qu'après avoir donné aux enfants du christianisme la liberté conquise depuis douze cents ans par le sang du Calvaire; aussi un grand nombre de chartes d'affranchissement datent de la seconde et de la troisième croisades.

La plupart des seigneurs étaient en guerre continuelle les uns avec les autres, foulant et refoulant en tous sens le sol dé

(1) Tabul. Morim., ad ann. 1146. Renard de Choiseul se mit à leur tête (Mangin, Hist. ecclés. et civil. du diocèse de Langres, t. 3, p. 262). Plusieurs moines de Morimond les accompagnèrent, et rapportèrent d'orient les reliques de S. Georges (Voir à l'église de Meuvy la pièce écrite qui atteste ce fait et qui est jointe à ces reliques tirées de Morimond).

sert et les populations décimées; la croix qu'ils prirent devint encore un signe de paix, et les ennemis les plus acharnés se donnèrent le baiser fraternel sur le sein et entre les bras du Crucifié.

Beaucoup avaient de grandes injustices à réparer envers leurs vassaux, les veuves et les orphelins; or, comme la plupart des pauvres qu'ils avaient faits étaient à la charge de Morimond, ils crurent, dans l'intérêt même de leurs malheureuses victimes, devoir restituer à cette maison, la mère nourricière des mendiants du Bassigny. Enfin, ils avaient à craindre de rencontrer la mort, soit dans la route, soit sur le champ de bataille; c'est pourquoi ils voulurent assurer à leurs ames les suffrages d'une sainte prière; or, à cette heure, nulle prière ne s'élevait plus pure et plus puissante vers le ciel que celle de Cîteaux; aussi cet ordre recueillit-il presque toutes les pieuses donations des croisés.

Barthélemy de Nogent, Regnier de Bourbonne, Renard et Conon de Choiseul, Hugues de Beaufremont; Macelin et Eudes, seigneurs d'Hortes; Guy de Rançonnières, Regnier de Vroncourt (1), Gérard et Geoffroy de Bourmont, Hugues de Vaudémont; les sires de Tréchâteau, de Grancey et de Montsaugeon; et plusieurs autres, sur le point de s'embarquer pour la terre sainte, cédèrent des portions plus ou moins considérables de leurs fiefs. La plus importante de ces donations fut celle de la terre des Gouttes, consistant alors en deux grosses métairies, à une lieue et demie de Morimond, et qui fut abandonnée dans le même moment au monastère par divers seigneurs y ayant droit, spécialement par Robert Wiscard, comte de Clémont ; par Simon, frère de Wiscard; par Hugues de Beaujeu, qui probablement avait épousé leur sœur; par Gé

(1) Voyez, aux archives de la Haute-Marne, les liasses qui portent ces noms divers.

rard-sans-Terre, frère de Regnier d'Aigremont. Le même comte de Clémont, immédiatement avant son départ, ajouta à son premier don trois cents journaux de terre au lieu dit SeptFontaines. Gislebert de la Porte, qui l'accompagnait dans son voyage, n'oublia pas non plus nos religieux, et il leur transféra sa terre d'Anglecourt (1).

Le mouvement imprimé par Cîteaux à l'Europe s'était étendu en Allemagne jusqu'au Niémen. Othon de Frisingue se croisa avec Conrad, roi des Romains, et une multitude d'autres seigneurs, qui, avant de partir, se signalèrent par leurs libéralités envers les couvents cisterciens.

Mais, au milieu des bouleversements auxquels la société était en proie au commencement du XIIe siècle, toutes ces donations n'eussent été qu'une poussière que le premier vent d'orage aurait dispersée; il n'y avait alors qu'une seule autorité qui pût faire respecter le droit et assurer la propriété : c'était la papauté. Eugène III étant venu deçà les monts, à cette époque, jusqu'à Clairvaux et à Langres, l'abbé Raynald s'empressa d'aller le trouver, et le supplia de placer Morimond avec ses dépendances sous la garde des saints apôtres Pierre et Paul, et sous la protection du Saint - Siége; ce qu'il obtint par une bulle datée de Trèves, le 6o de décembre de l'an 1147, signée du Souverain-Pontife, de sept cardinaux, et scellée du scel de la chancellerie romaine (2).

Pour nous faire une idée exacte des domaines de notre abbaye et des ressources dont elle pouvait disposer à la fin de ce siècle, il faut lire les bulles où les papes énumèrent et approuvent toutes les donations faites à son profit. Dans celle d'Alexandre III, en 1160, on voit qu'elle possédait déjà dix granges: Vaudenvillers, Dosme, Anglecourt, Grignoncourt, An

(1) Archiv. de l'évéché de Langres, p. 473, c. 3 : De l'Abb. de Morim. (2) Archiv. de la Haute-Marne, liasses 1, 2, 3, 4.

doivre, Morveau, Les Gouttes, Grandrupt, Rapchamp, Fraucourt. A ces granges il faut ajouter le franc-aleu de Levécourt, le droit de prendre deux charges de sel dans les salines de Moyen-Vic, des tennements et des gaîgnages dans une douzaine de villages; le droit d'usage, de pêche et de pâturage dans les forêts, les rivières et les prairies des seigneuries de Choiseul, de Bourbonne, d'Aigremont et de Clémont (1).

Sans doute, si ces pages passent par hasard sous les yeux de quelques disciples de Fourier ou de Cabet, ils crieront à l'empiètement, à l'envahissement; cependant, si nous ouvrons leurs livres (2), nous les trouvons remplis de déclamations et de plaintes contre le morcellement de la propriété, auquel ils attribuent la plupart des misères et des désordres du monde. Ils demandent que l'exploitation morcelée soit remplacée par une exploitation plus unitaire. C'est ce que les moines cisterciens ont entrepris au XII° siècle. Ils se sont réunis pour défricher et assainir, tenter des essais, renouveler le sol appauvri et détérioré depuis bien des siècles. Cette création d'une nouvelle terre demandait des sacrifices immenses et de longues années, et il n'y avait qu'une association se survivant à elle-même qui pût continuer l'œuvre commencée et attendre les fruits que la terre donne toujours, tôt ou tard, au labeur patient. Les moines étaient suscités de Dieu pour initier le peuple à la vie agricole, lui en donner le goût et l'intelligence; il leur fallait un vaste domaine qui les mît en contact avec le plus de monde possible, des terrains de toutes sortes, tous les degrés et tous les genres de culture.

Les donations des seigneurs n'étaient jamais purement gra

(1) Archiv. de la Haute-Marne, liasses 1, 2 et 3.

(2) Voyez la Théorie de l'Unité universelle, de Fourier;

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cole sociét., de Vict. Considérant; — l'Organisation du travail, par Brian- Lisez surtout : Du Morcellement, par de Monseignat, député ; in-8°,

court, etc. Paris, 1844.

tuites; tantôt c'était une dette de reconnaissance dont ils voulaient s'acquitter envers l'abbaye qui avait ouvert son sein à leurs frères ou à leurs parents, ou un échange contre un droit de sépulture dans l'église avec des services funèbres réguliers à perpétuité, ou bien une vente pure et simple dans des besoins pressants (1).

La propriété monacale s'étend et se consolide, tandis que la propriété féodale se morcelle, s'ébrèche de toutes parts; le fief va au cloître parcelle par parcelle, le couvent se dresse en face du manoir, et le domine tout à la fois des hauteurs du ciel et de la terre.

Le droit d'asile accordé par les Souverains - Pontifes, nonseulement à Morimond, mais à ses granges, porta également un coup terrible à l'autorité seigneuriale. Il était défendu, sous peine d'excommunication, de franchir le grand mur d'enceinte du monastère et les clôtures extérieures qui environnaient les granges, pour y appréhender qui que ce fût. Or, comme ces granges étaient disséminées sur une grande partie du Bassigny, les victimes de la tyrannie couraient de tous côtés s'y réfugier, pour éviter les supplices et la mort. La terre que les sandales des moines avaient foulée était une terre sacrée et inviolable; elle communiquait son inviolabilité aux malheureux qui venaient la baiser et lui demander leur salut (2). Quelquefois ils finissaient par se fixer au milieu des frères convers ; le plus souvent ils retournaient dans le monde, où leur présence était nécessaire, après avoir obtenu leur grâce par l'intermédiaire de leurs hôtes.

Un jour le pont-levis du castel s'abaissait, et les gardes s'inclinaient de respect devant deux religieux qui demandaient une audience. Ces saints solitaires venaient intercéder, au nom

(1) Voir les Pièces justificatives.

(2) Voy. Bull. d'Alex. III, d'Eug. III, d'Urb. III, liasse 1.

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