Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

ques huttes autour d'un oratoire, qui fut consacré à la sainte Vierge par une inauguration solennelle, le 21 mars 1098, jour de la fête des Rameaux (1).

Nos religieux avaient quitté Molesme pour réaliser dans toute sa perfection le type monastique tel que l'avait conçu saint Benoît; aussi s'élevèrent-ils de suite à une si prodigieuse hauteur, qu'on les eût pris plutôt pour des anges que pour des hommes, tant leurs mortifications semblaient au-dessus des forces de la nature ! Saint Robert ayant été obligé par une bulle du Souverain-Pontife de retourner à Molesme, saint Albéric lui succéda, et à celui-ci saint Étienne; ce fut sous ce dernier que la congrégation de Cîteaux prit sa forme définitive, qu'elle commença à attirer l'attention publique et à exciter les murmures des autres monastères. On accusa le saint abbé de pousser jusqu'à l'excès les macérations et l'ascétisme, et d'introduire dans le monde monastique les usages les plus insolites (2). Qu'est-ce qu'un ordre religieux, disait-on, qui ne consiste qu'à bêcher la terre, essarter les forêts et porter du fumier? Quænam religio est fodere terram, sylvam exscindere, stercora comportare? Mais tout n'était pas fini: restait encore à venir la plus terrible des épreuves.

Une épidémie qui sévissait dans la contrée se déclara parmi les frères, et Étienne vit un grand nombre de ses enfants spirituels mourir un à un, sous ses yeux, au point qu'il n'eut bientôt plus autour de lui que quelques religieux infirmes. Cette effrayante mortalité avait tellement frappé la cominunauté

(1) Exord parv., c. 5; Annal. cist., t. 1, c. 3, p. 11, cum his versibus :

Exord. magn., 1. 1, c. 13;

[ocr errors][merged small]

Anno milleno centeno bis minus uno,
Sub patre Roberto cœpit Cistercius ordo.

(2) Esprit primitif de Citeaux (Jul. Paris), in-4o, p. 173, tiré de la lettre 1 de S. Bernard;

Jul. Paris, Nomast. cist.;

Exord. parv., initio libri.

naissante, que les moines commencèrent à craindre que leur vie trop austère ne fût point réglée selon la sagesse; Etienne lui-même en fut ébranlé. Les tourments de son ame se peignaient sur sa figure, et on le voyait souvent assis à l'écart, son capuchon ramené sur ses yeux, et absorbé par sa douleur. Mais le moment était venu où la Providence allait mettre un terme à une si cruelle position, et plusieurs signes surnaturels l'avaient annoncé (1).

Un jour le pieux abbé, entouré du faible reste de ses moines, se tenait en oraison, et tous ensemble priaient avec effusion de cœur, attendant l'effet des promesses divines. En ce moment le marteau de fer qui pendait à l'humble porte du monastère retomba avec bruit, et aussitôt s'ouvrit devant une grande multitude le cloître qui n'était jamais visité que par le voyageur surpris par la nuit dans la forêt de Cîteaux. Trente jeunes seigneurs appartenant aux plus illustres familles de Bourgogne se prosternèrent aux pieds d'Étienne et le supplièrent d'échanger leurs manteaux de fourrure et leurs hauberts d'acier contre l'humble coule de saint Benoît et la casaque de laine crue des ermites (2). C'était saint Bernard avec ses compagnons; c'était le manoir qui entrait dans le cloître ; c'étaient les fils des barons qui descendaient de leurs montagnes bastionnées dans la plaine, au milieu des bergers et des laboureurs ; c'étaient deux mondes séparés depuis nombre de siècles qui allaient enfin se donner la main et s'embrasser sous le froc cistercien!

(1) Annal. cister., t. 1, p. 68.

(2) Ratisb., Hist. de saint Bern., p. 160; — Dalgairns, Vie de S. Estienne, p. 161, in-12, 1846.

CHAPITRE II.

Des quatre premières filles de Cîteaux; des maisons de Choiseul, d'Aigremont et de Clémont; départ de Jean l'ermite; fondation de Morimond.

Le désert marécageux du vicomte de Beaune devint bientôt un séjour aussi animé qu'agréable ; la forêt, qui n'avait jamais redit que les croassements lugubres des corbeaux et les hurlements des loups, ne retentit plus que des chants sacrés des religieux, du bruit des moulins et autres usines, du roulement des chars, du bêlement et du mugissement des troupeaux (1). Or, l'état du territoire de Cîteaux, avant l'arrivée des religieux, était celui de plus de la moitié de l'Europe; aussi Dieu a suscité le nouvel ordre pour organiser une croisade agricole qui en changera la face. Le pauvre colon était marqué au front d'un signe d'opprobre; saint Etienne, par l'institution des frères convers, jettera sur ses épaules le froc monastique et le relèvera de sa dégradation. L'Église, enlacée dans les plis et replis du féodalisme, se débat en vain sous ses dures étreintes ; Cîteaux va combattre pour elle et la délivrer. Des ouvriers et des soldats lui arrivent de toutes parts, pour l'aider à remplir cette triple mission. Arnould, d'une des plus illustres familles

(1) Annal. cister., t. 1, p. 10: Locum despectum hominibus, inutilem et nocivum, divina post clementia in melius vertit.

de la Germanie, vient jusque de Cologne avec la fleur de la noblesse d'outre Rhin. Bientôt, le monastère ne suffisant plus à les contenir, le saint abbé s'occupa de l'établissement d'une colonie. Elle partit pour la forêt de Bragne sur la Grosne, du domaine des comtes de Châlon-sur-Saône, et y forma un établissement qui prit le nom de La Ferté (firmitas), en signe de l'affermissement de l'ordre (1). Voilà Citeaux sur la route du midi, dans le bassin de la Saône et du Rhône; ses maisons vont s'échelonner petit-à-petit sur les rives de ces deux fleuves, jusqu'à la Méditerranée. A peine le monastère de La Ferté était-il fondé, que l'on demanda à saint Étienne une nouvelle colonie pour le diocèse d'Auxerre. Douze religieux, ayant à leur tête Hugues de Mâcon, l'ami de saint Bernard, vinrent s'installer dans un désert où un ermite nommé Étienne avait seul osé pénétrer jusqu'alors (2); telle fut l'origine de Pontigny, ainsi appelé, selon quelques auteurs, d'un pont voisin et d'un nid d'oiseaux (pontis-nidus) (3). Par cette seconde maison, l'association cistercienne prenait possession de l'ouest et allait marcher entre la Seine et la Loire jusqu'à l'Océan.

Dieu fait tout servir à la glorification de ses saints; tout, jusqu'au mépris et à l'ignominie dont on voudrait les couvrir. Ainsi, d'après les annalistes cisterciens, rien ne contribua plus à l'accroissement rapide de Cîteaux que la jalousie et les calomnies des autres ordres, surtout des religieux de Molesme. Les bruits qu'ils répandaient sur le nouveau monastère le firent

(1) Monasterium Firmitat., supra Grosnam situm, ab illustr. comitibus Gauderico et Willelmo fundatum est..., in parte sylva Bragne. E tabulis Firmitat., Annal. cister., t. 1, p. 70.

(2) Fundatur in eremo prope flumen Serinum (Serein), ab Heriberto, canonico Antissiodorensi, adjuvantibus Theobaldo, comite Campaniæ, et Hervæo, comite Nibernensi. Annal. cist., t. 1, c. 2, p. 74.

(3) Cette étymologie nous semble en harmonie avec les armes de Pontigny, qui consistaient en un pont surmonté d'un arbre, et, dans les branches de cet arbre, un oiseau dans son nid.- Hélyot, Hist. des Ordres Relig., t. 5, p. 369.

connaître dans le diocèse de Langres (1). Un grand nombre de Langrois, curieux de voir de leurs propres yeux un institut sur lequel on débitait les choses les plus contradictoires, y accoururent de toutes parts et en revinrent transportés d'admiration; mais en aucun lieu le genre de vie des cisterciens ne produisit plus d'impression que dans le Bassigny, où demeuraient plusieurs nobles familles alliées à celle de saint Bernard.

Cette dernière contrée, malgré son peu d'étendue, comptait plus de vingt fiefs, qui pesaient sur elle de tout leur poids écrasant, et la dominaient du haut de toutes les montagnes, comme des géants superbes. De quelque côté que l'on jetât les yeux, on n'apercevait pas un coteau, pas un mamelon, pas un pic qui n'eût son castel, avec ses bastions, ses donjons, ses machicoulis, etc. On ne pouvait prêter l'oreille sans entendre de tous côtés, jusque dans le silence des nuits, les chevaliers du guet crier à tous les passants la devise guerrière du seigneur, ou les craquements des ponts-levis qui se dressaient et s'abaissaient sans cesse. Parmi tous ces manoirs, il en était un qui levait sa tête plus haute et plus fière que tous ceux qui l'environnaient; ses créneaux aériens semblaient porter jusqu'aux nues la gloire de leur maître, et ses noirs contreforts, aux pieds desquels tant de braves avaient succombé, étaient au loin un objet d'épouvante et d'effroi. Les Lorrains allemands l'appelaient Thalbourg, c'est-à-dire la forteresse de la plaine, et les gens du pays Choiseul (caseolus), sans doute à cause de la forme du sommet escarpé sur lequel il était bâti (2).

(1) Annal. cister., t. 1, p. 78: Quo factum est ut in episcopatu lingonensi celebriores existerent, crescente fama ab ipsa æmulatione... Optabant ergo plures Lingonenses experiri novum illud vivendi genus, ab ipsorum finibus egressum.

(2) Le château était sur la pointe de la montagne. Au-dessous, tout à l'entour, avaient été creusés de profonds fossés dont on voit encore les traces. On

« ZurückWeiter »