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Il arrive fréquemment que les pasteurs des campagnes isolées, après avoir passé leur vie au chevet des malades, sont abandonnés à eux-mêmes à leur dernière heure, et réduits à leurs propres forces en face de la mort. Qui sera digne d'exhorter l'ambassadeur du Très-Haut à retourner avec confiance vers le grand roi qui l'a député? Qui osera, à ce moment suprême, faire la leçon à l'oint du Christ? Le moine, c'est-àdire l'homme par excellence de la perfection évangélique. Quand les tintements de la cloche du hameau annonçaient l'agonie du pasteur, l'abbé prenait sa croix d'une main et son bâton de voyage de l'autre ; puis, accompagné d'un frère convers, il gravissait le coteau, entrait au presbytère comme l'envoyé de Dieu, s'entretenait avec le moribond de l'éternité, du jugement si terrible pour les dépositaires du pouvoir, dé– roulant sous ses yeux la longue chaîne des grâces reçues, des sacrements administrés, toute une vie teinte du sang de JésusChrist; excitant tour-à-tour dans son cœur des sentiments de repentir, d'amour, de crainte et d'espérance. Plus l'instant dernier s'approchait, plus l'ange du cloître s'efforçait d'encourager l'ange de l'autel à se lever de la terre et à prendre son essor vers les cieux. Lorsque l'agonisant avait rendu le dernier soupir, l'abbé s'en retournait au monastère le recommander aux prières des moines (1).

Ainsi toute l'Eglise se trouvait enveloppée d'un réseau vivant dont les fils aboutissaient au foyer mystique de Cîteaux ; de ce foyer jaillissait, comme de la profondeur du cœur, le sang qui restaure les organes et renouvelle tout le corps.

C'est un fait digne d'une profonde attention, que la Providence n'a jamais permis, même aux époques les plus désas

(1) C'était l'usage dans l'ordre de Citeaux; on en retrouve un grand nombre d'exemples dans ses annales.

treuses de notre histoire, que le clergé catholique pût oublier sa vocation, et qu'elle lui a toujours fourni l'occasion et les moyens de se retremper et de se relever à la hauteur de sa mission et de ses devoirs.

Les socialistes, qui ont essayé d'amonceler sur notre ministère auguste tant de calomnies et d'opprobres, ont voulu mieux faire que Jésus-Christ et son Eglise, et ils se sont mis à créer des sacerdoces. La mission du prêtre dans le saint-simonisme était de sentir également les deux natures, les appétits sensuels et les appétits charnels; de reconnaitre tous les charmes de la décence et de la pudeur, mais aussi toute la grâce de l'abandon et de la volupté (1). Dans le fouriérisme, le prêtre n'est qu'un sybarite raffiné, qui va alternativement, comme les autres, de la favorite à la génitrice. En Icarie, Cabet le consacre en lui disant: Vous n'avez aucun pouvoir, même spirituel, jouissez et prêchez la morale. En vérité, les païens avaient donné à leur Vénus et à leur Jupiter des prêtres plus dignes. Si c'est ainsi que l'on prétend nous faire progresser, alors le progrès de nos réformateurs est de haut en bas, jusqu'au-dessous de la boue!

Cabet, Voyage en Icarie, H. Doherty, De la question reli

(1) Reyb., Etud. sur les Réformat., p. 138; p. 172; Phalange, tt. 1, 2, 1re série ; gieuse, artt. 1, 2, 3, 4, 5.

CHAPITRE XIII.

Election de l'abbé Raynald; rôle de Morimond et de Cîteaux dans la deuxième croisade; son influence politique et sociale.

Les moines se réunirent pour donner un successeur à Othon, et élurent d'une voix unanime Raynald, frère de Frédéric, comte de Toul, religieux profès de la maison, et, à ce que l'on croit, l'un des quinze compagnons d'Othon; nous allons voir combien ce choix fut heureusement inspiré (1).

Notre abbaye, jusqu'alors resserrée à peu près dans l'étroite enceinte qu'Odolric et Adeline d'Aigremont lui avaient tracée, sentait vivement le besoin d'une extension territoriale plus considérable, afin de pouvoir fournir par ses propres ressources à la subsistance et à l'entretien de son nombreux personnel, et d'essayer sur une plus grande échelle les expériences agricoles dont le pays devait recueillir les fruits.

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Josbert de Meuse et Adeline sa femme avaient été les premiers à donner l'exemple d'une pieuse libéralité envers les moines du consentement de leurs fils, Hugues, Regnier, Foulque et Gauthier, de Théophanie leur fille, et de son mari Gérard de Dammartin, ils cédèrent à Morimond, en vue de Dieu et de Notre-Dame, pour l'expiation de leurs fautes et de

(1) Annal. cist., Series abbat. Morim., t. 1, p. 518.

celles de leurs ancêtres, la terre de Bucolie (aujourd'hui Morveau) et l'usage par toute la seigneurie de Romain (1). Cette donation est de l'an 1135 à 1140. Vers la fin de l'année 1144, une circonstance providentielle fit jaillir du sein même de la féodalité jusque sur Morimond une source abondante d'aumônes et de bienfaits.

La ville d'Edesse, un des principaux boulevards du royaume chrétien de Jérusalem, avait été reprise par les Musulmans. L'orient jeta un cri d'alarme qui retentit en occident et alla droit au cœur de Louis VII, auquel la justice divine semblait fournir une occasion d'expier ses crimes et surtout l'horrible massacre de Vitry. Mais ce grand prince eût été impuissant en face d'une entreprise aussi gigantesque, sans le concours et l'appui de Câteaux: il n'y avait alors au monde que cet Hercule qui pût prendre l'Europe et la lancer sur l'Asie.

Aussi, qui, du haut du Capitole romain, fit un appel aux soldats du nord et leur montra le Golgotha profané? Eugène III, sorti de Cîteaux. Qui, à la tenue des états de Bourges, se leva le premier et appuya l'expédition d'outre mer dans un chaleureux discours qui fit pleurer tous les assistants? Godefroi, évêque de Langres, enfant de Cîteaux. Qui fut chargé d'emboucher la trompette et de convoquer à cette guerre sacrée les peuples et les rois? Bernard, abbé de Clairvaux. D'où sortent tous ces moines qui prêchent la croisade dans les églises, sur les places publiques, au castel et dans la chaumière ? Des couvents de Câteaux (2).

Nulle part il n'y eut plus d'enthousiasme qu'au diocèse de Langres : c'était du haut des monts langrois que l'esprit de Dieu semblait souffler sur le monde et l'incliner vers l'orient; car c'est une des vieilles gloires de cette sainte et illustre

(1) Archiv. de la Haute-Marne, cart. 4.

(2) Voir les Annales de Citeaux, 1144 et 1145.

église, d'avoir toujours été la première à marcher en avant avec sa bannière contre les ennemis du Christ et de la liberté.

Le jour de l'Ascension 1146, l'abbé de Morimond, délégué sans doute par saint Bernard, convoqua les principaux seigneurs du Bassigny dans son abbaye, et leur exposa avec tant de force et d'onction la nécessité de voler au secours de Jérusalem, que la plupart prirent la croix en répétant le cri de Vézelay: Dieu le veut !....

D'après la chronique, on comptait dans cette assemblée quatre seigneurs de fiefs bannerets, dix de fiefs de hautbert et quinze simples écuyers (1). La foi chrétienne animait tous ces barons et faisait battre leurs cœurs sous le fer de leur épaisse armure. Malheureusement leur conduite n'était pas toujours en harmonie avec leurs croyances: la plupart étaient entachés de vices honteux contre la pureté ; ils sentirent qu'avant de courir attaquer le sensualisme en Asie, ils devaient auparavant le vaincre dans leurs ames et briser contre eux-mêmes leur première lance.

Un joug intolérable pesait sur les pauvres manants: il ne fut pas difficile de faire comprendre aux seigneurs qu'ils ne mériteraient de renverser le despotisme mahométan qu'après avoir donné aux enfants du christianisme la liberté conquise depuis douze cents ans par le sang du Calvaire; aussi un grand nombre de chartes d'affranchissement datent de la seconde et de la troisième croisades.

La plupart des seigneurs étaient en guerre continuelle les uns avec les autres, foulant et refoulant en tous sens le sol dé

(1) Tabul. Morim., ad ann. 1146. Renard de Choiseul se mit à leur tête (Mangin, Hist. ecclés. et civil. du diocèse de Langres, t. 3, p. 262). Plusieurs moines de Morimond les accompagnèrent, et rapportèrent d'orient les reliques de S. Georges (Voir à l'église de Meuvy la pièce écrite qui atteste ce fait et qui est jointe à ces reliques tirées de Morimond).

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