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CHAPITRE XIV.

Nouvelles colonies en Pologne et en Espagne; fondation de l'ordre militaire de Calatrava; influence de Morimond par cette institution snr l'affranchissement de l'Espagne et sur la civilisation européenne.

Une des plus grandes conséquences du socialisme, d'après nos réformateurs modernes, serait la substitution aux armées destructives d'armées pacifiques et industrielles de divers degrés, qui seraient employées à attaquer les déserts, à y amener des eaux et à les couvrir peu à peu de terre végétale; à dessécher les marais, à jeter des ponts; à maîtriser, par des digues et des encaissements, le cours des fleuves et des rivières, à creuser des canaux d'irrigation, à construire des routes; en un mot à exécuter comme par enchantement ces grandes opérations qui auraient pour résultat d'assainir, d'embellir et d'exploiter toute la surface de la terre (1).

A quoi ont abouti jusqu'ici ces pompeuses déclamations? L'unique colonie que le communisme ait réussi à former s'est avouée impuissante et vaincue en face des savanes du Texas, là où il n'eût fallu, pour créer des merveilles, que treize trappistes, avec une bêche, un Psautier et une croix de bois.

(1) D. Laverdant, Colonis. de Madagas., in-8o, passim ; Reybaud sur la colonisation en Algérie;

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Rapport de Louis Manifeste de l'Ecole sociétaire, in-18, passim. Voir surtout les immenses élucubrations de Jules Lechevalier sur la Colonisation de la Guyane.

Une colonie fouriériste a essayé de s'installer en Bourgogne, non dans un marais ou un désert, mais dans une plaine magnifique, fécondée autrefois par la sueur des moines; et cette colonie a été tuée dans son berceau par l'anarchie et le ridicule, au pied de ce cloître cistercien qui avait vu rayonner autour de lui, sur un cercle immense, plus de deux mille établissements religieux et agricoles.

Depuis dix-huit cents ans il a été impossible de coloniser en Europe sans l'élément monastique : les protestants eux-mêmes en ont senti la nécessité; mais, après bien des essais et des efforts, il n'ont enfanté que les associations du quakérisme et de l'hernhutisme (1), sortes de monastères mystico-civils où ils ont introduit l'homme, la femme, l'enfant, la jeune fille, le jeune homme, c'est-à-dire la promiscuité. Remontons donc aux sources catholiques de la colonisation.

Chaque année de nouveaux apôtres, après avoir prié, jeûné et gémi dans la solitude, sortaient de Morimond comme d'un autre cénacle, et, emportés par le souffle de l'Esprit, allaient les uns à l'orient, les autres à l'occident, porter le feu sacré dont ils étaient embrasés. Aujourd'hui on en voyait partir pour l'Italie et l'Espagne, demain pour l'Allemagne et l'Angleterre. L'abbé Raynald eut la gloire de fonder le premier monastère de la filiation de Morimond au-delà de la Manche, dans le diocèse d'Hereford, et il l'appela Valle-Dore.

Quelque temps après, la Pologne voulut avoir, comme l'Autriche, la Bavière et la Bohême, des ouvriers cisterciens, c'està-dire des hommes de prière, de travail et d'abnégation, pour apprendre d'eux à aimer Dieu, à cultiver la terre, à vivre en paix, en un mot à pratiquer toutes les vertus chrétiennes qui font le bonheur des individus et des peuples. Cette nation sen

(1) Th. Clarkson, Portrait of Quaker, in-8°, 1806; mod. des frères Moraves, Londr. 1785.

Crantz, Hist. anc. et

tait dès lors dans son cœur quelque chose qui l'attirait vers nous. C'est à Morimond que se formèrent pour la première fois ces liens sacrés que ni le temps ni l'épée des tyrans n'ont pu briser, et qui unissent si intimement les deux peuples qu'on ne peut frapper l'un sans faire souffrir et crier l'autre.

Douze religieux et un abbé sortis du Bassigny arrivèrent sur les bords de la Vistule, après plus de trente-cinq jours de marche, et entrèrent dans le monastère d'Andrezeow, fondé par deux nobles frères, Janislas et Clément, et doté de sept hameaux environnants qui lui servirent de granges. Une population immense les accueillit comme des envoyés de Dieu, et ce fut sur leur bouche virginale que la Pologne donna à la France son premier baiser. Cet établissement devint en peu de temps si considérable, qu'on l'appela le Morimond de la Pologne (1).

Bientôt on vit surgir dans les marais et les forêts de cette contrée plusieurs autres maisons du même ordre et de la même filiation: Lauda, Suléow, Vanschow, Copronitz, Vangroviecz (2) et Sommeritz. Tous ces monastères, par le son continuel de leurs cloches, les bêlements et les mugissements de leurs troupeaux, le bruit de leurs moulins, jetèrent le mouvement et la vie dans ces vastes déserts, et portèrent la joie dans l'ame des cultivateurs délaissés au sein de ces profondes solitudes.

Ainsi, des religieux français de Morimond défrichaient les terres de la Pologne au milieu du XII° siècle, y détruisaient les derniers restes de l'idolâtrie, et y déposaient tous les germes de la civilisation. Au reste, cette nation n'a point ou

(1) Annal. cist., t. 2, p. 145; - Mart. Cromer., Hist. Polon., 1. 6.

(2) Voir, pour Lauda et Vangroviecz, Annal. cist., 3, ad ann. 1202, c. 6, Il sera n. 8; pour Suléow et Vanschow, Gasp. Jongel., in Abb. Polon. question de Copronitz plus bas.

blié ce bienfait nous avons toujours senti son cœur battre à côté du nôtre; elle nous a défendus du Turc et du Russe, nous a donné la couronne de ses rois, est restée agenouillée avec nous aux pieds des mêmes autels; enfin, au commencement de ce siècle, elle nous a rendu la sueur de nos moines avec le sang de ses soldats.

:

Les colonies qu'Othon, par une inspiration providentielle, avait envoyées dans la Gascogne et le Languedoc, s'étaient multipliées et avaient franchi les Pyrénées. Le Berdoues avait déjà donné deux monastères à la Castille, Val-Buena et Notre-Dame-d'Huerta. L'Echelle-Dieu n'était point restée inféconde; elle avait même devancé le Berdoües dès l'an 1141 l'abbé Bertrand avait parcouru tout le nord de l'Espagne, pénétré dans les manoirs des plus puissants seigneurs et jusqu'à la cour des rois. Alphonse VIII, roi de Léon et de Castille, désirant avoir dans chacune des provinces de son royaume une maison cistercienne qui serait pour ses sujets comme une école de religion, d'ordre, de travail et d'économie sociale, le pria de lui envoyer des religieux, leur offrant les terres de son domaine qui sembleraient mieux convenir à leur dessein.

Bertrand détacha aussitôt de sa communauté treize moines, qu'il fit partir pour la Vieille-Castille sous la conduite de Rémond, profès de Morimond. En visitant la contrée, il s'égarèrent, par un secret conseil de Dieu, dans un forêt sauvage au fond de laquelle ils découvrirent un vieillard chargé d'années, ayant la tête chauve et une barbe blanche qui descendait jusque sur sa poitrine, d'une maigreur extrême, à moitié nu et pouvant à peine remuer ses membres décharnés. Cet ermite s'appelait Jean, couchant toujours sur la terre, dans un antre étroit, ne mangeant que du pain de son et ne buvant que de l'eau, priant et pleurant sans cesse. Les moines, à son aspect, recu

lèrent de frayeur, comme si un fantôme se fût levé de terce devant eux; puis, ayant appris quel était son genre de vie et les motifs qui le lui avaient fait embrasser, ils crurent devoir se fixer dans cette solitude sanctifiée par une si rude pénitence. Ils le prièrent donc de vouloir s'unir à eux, de les aider par la connaissance qu'il avait de la localité et de la langue du pays, et de leur céder sa caverne pour en faire le berceau de leur monastère. Tous se mirent aussitôt à l'œuvre, et, lorsque les cabanes furent construites, ils s'empressèrent de les consacrer à la sainte Vierge, sous le nom de Murs-Sacrés (Sagra-Mania), au diocèse de Ségovie (1).

Le pieux Alphonse écrivit de nouveau à l'abbé de l'EchelleDieu et lui demanda encore deux colonies de religieux, l'une pour la province de Tolède, l'autre pour celle de Navarre. « Qu'ils viennent dans ces contrées, disait-il; qu'ils voient et << choisissent des terrains convenables (veniant, videant et eli«gant). » On envoya d'abord quatre moines en éclaireurs pour explorer le pays, deux dans la province de Tolède, deux dans celle de Rioja.

Les deux premiers, nommés Fortuné et Heimelin, profès de Morimond, après avoir longtemps erré et posé momentanément leurs tentes en divers lieux, essayèrent enfin de gravir une haute montagne couverte d'une forêt épaisse, dans l'espoir d'y trouver un gîte. Arrivés au sommet, ils aperçurent une vieille chapelle dans laquelle il y avait un autel avec une statue de la Vierge. D'après la tradition, c'était à la cime de ce mont sauvage que Clotilde, fille de Clovis, s'était cachée pour conserver sa foi pure du souffle empesté de l'arianisme et se soustraire à la tyrannie d'Amalaric, roi des Visigoths

(1) Annal. cist., t. 1, p. 413 : Non longe a Fontidona comitatu de familia Lunarum.

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