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d'Espagne. Ses soupirs avaient été entendus de son frère Childebert, qui, par la défaite d'Amalaric, avait délivré sa sœur et porté à l'arianisme le coup le plus terrible. Cette chapelle était, disait-on, un monument de sa reconnaissance (1).

Quoi qu'il en soit, ce site, ces ruines, ce sanctuaire abandonné firent une impression profonde sur l'ame des moines; ils s'agenouillèrent, et promirent à Marie de relever son culte et de chanter ses louanges dans cette solitude qui lui avait été consacrée.

Ainsi, par une admirable coïncidence, deux religieux français, à six cents ans de distance, vinrent, conduits par la Providence, sur le sommet d'une montagne de la Castille, recueillir l'héritage de Clotilde, c'est-à-dire continuer la mission catholique et civilisatrice de la France, et triompher par leurs prières et leurs sueurs du sensualisme mahométan, dans les lieux mêmes où la fille du grand Clovis avait vaincu l'arianisme par la puissance de sa foi et de ses larmes.

C'était au pied de cet autel que les Castillans venaient jurer de mourir pour leur religion. Dans la suite, il y eut un si grand concours de peuple et de pèlerins, tant de miracles opérés, tant de grâces obtenues, tant de victoires remportées sur les infidèles par l'intercession de la Vierge de Clotilde et les prières des moines, que cette montagne devint véritablement pour l'Espagne la montagne du salut et en prit le nom, Mons Salutis.

Les deux religieux destinés à la Rioja étaient Durand, profès de Morimond, et Raymond, originaire d'Espagne. Après de longues et pénibles courses, ils s'étaient fixés à deux milles de la ville d'Alfaro, sur le versant du mont Yerga, puis

(1) Annal. cist., t. 1, p. 415; Mariana, 1. 5, Hist. Hisp., c. 7.

avaient abandonné ce lieu, y laissant dans une petite chapelle une image de la Vierge qui fut célèbre sous le nom de NotreDame-d'Yerga.

Retirés dans une terre voisine, appelée Nienzabas (1), ils y avaient enfin construit leur monastère et l'avaient peuplé de moines venus de l'Echelle-Dieu. Durand, le premier abbé, fut remplacé bientôt par Raymond, qui transporta l'établissement à Fitero, au diocèse de Pampelune.

Les rois comblèrent comme à l'envi cette maison d'immunités et de bienfaits. Garcias, roi de Navarre, lui accorda un privilége énorme et qui prouve quel rang élevé les religieux occupaient dans son estime et sa vénération; il était ainsi conçu : « Si quelqu'un vous cite en jugement ou vous «< inquiète, vous, moines de Fitero, j'ordonne que dans tout <«< mon royaume les juges prononcent sur votre simple dépo«<sition, sans prestation de serment et sans autre procé«< dure. (2)

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Voilà Morimond avec ses enfants au-delà des Pyrénées et en face de l'islamisme; la Providence, par des moyens surhumains et insondables, est arrivée à ses fins; maintenant, que Dieu se lève et que ses ennemis soient dissipés !

Alphonse VIII, revenant du siége de Baëza, avait été saisi dans sa route d'une fièvre qui l'avait conduit au tombeau (3). Cette mort avait plongé tout le nord de l'Espagne dans la désolation, et les Maures, voyant la puissance royale de Castille affaiblie par le partage qu'en avaient fait les deux fils d'Al

(1) C'était un hameau désert, villula deserta, qui leur avait été donné par le roi Alphonse; facta charta in ripa Iberi, inter Alfarum et Calagurrhiam, tempore quo imperator cum rege Garcia pacem firmavit et filium suum cum ejus filia desponsavit.

(2) Annal. cist., t. 1, p. 416.

(3) Correptus febri, sub ilice frondosa recubuit, imperium pariter ac vitum depositurus. D'autres écrivent Baza.

phonse, Sanche et Ferdinand, relevèrent la tête, brandirent leurs cimeterres, croyant le moment arrivé de reconquérir le terrain qu'ils avaient perdu. Ils voulurent ouvrir la campagne par un hardi coup de main, une attaque décisive dont les suites devaient avoir le plus grand retentissement dans toute la péninsule (1).

L'an 714, les Maures, ayant vaincu le roi Rodrigue et conquis l'Andalousie, fortifièrent la ville d'Oreto, à laquelle ils donnèrent le nom de Calatrava, et dont ils demeurèrent maîtres pendant quatre cents ans, jusqu'à Alphonse-le-Batailleur, qui la reprit et la donna aux chevaliers du Temple pour la garder et s'opposer de là aux irruptions des infidèles. Cette place était comme la clef de la Castille, et, une fois cette première barrière franchie, toute l'Espagne catholique semblait devoir être envahie aussitôt et retomber sous le joug du mahométisme.

Ce fut donc de ce côté que les ennemis tournèrent leurs armes et leurs efforts combinés. Les Templiers furent tellement épouvantés de leurs immenses préparatifs, que, ne se croyant pas en état de pouvoir résister, ils remirent la forteresse entre les mains du roi dom Sanche.

Ce prince, menacé à la fois de divers points de ses états, n'était pas en mesure de repousser l'attaque; c'est pourquoi il se hâta de rassembler les seigneurs de son royaume et leur déclara que si quelqu'un d'entre eux voulait se charger de la défense de la ville de Calatrava, il la lui donnerait en propriété avec tout son territoire. Tous ces fiers barons restèrent muets et immobiles; la frayeur avait tellement glacé leurs cœurs, que nul n'osa accepter les offres du roi, et le sang généreux de Castille sembla se mentir à lui-même pour la première fois;

(1) Roder., Hist. Hisp., 1. 7, c. 14.

et, licet hæc rex ostenderet magnatibus et baronibus, non fuit aliquis inventus de potentibus qui vellet defensionis periculum expectare (1).

Tout paraissait donc désespéré, humainement parlant; mais la Providence, qui se plaît à confondre la force par la faiblesse et à tromper les prévisions et les calculs des hommes, fit surgir comme de terre une armée d'une espèce nouvelle ; cette armée, à défaut des chevaliers et des barons, se dressa subitement avec sa bannière en face du croissant et le força de reculer.

Dans les grandes crises religieuses et sociales du moyen âge, Dieu s'est presque toujours servi de la main d'un moine pour briser les entraves qui arrêtaient la marche des peuples et leur ouvrir des issues inespérées. Il y a dans le froc, surtout au jour du malheur, quelque chose d'électrique qui remue et relève le genre humain abattu; c'est ce qui arriva dans cette circonstance.

Raymond, abbé de Fitero, avait été appelé à la cour pour les affaires de son monastère, et il était accompagné d'un de ses religieux nommé dom Didace Vélasquez, originaire de Burveva, dans la Vieille-Castille. Ce religieux avait longtemps porté les armes avant sa profession et était fort connu du roi Sanche; c'est peut-être ce qui avait porté Raymond à le choisir pour son compagnon. Voyant le roi désolé du danger où se trouvait Calatrava faute de défenseurs, frère Didace engagea son abbé à demander la place. L'abbé, à qui d'abord une pareille proposition répugnait, se laissa persuader; alors, du milieu de la foule des seigneurs silencieux et consternés sortit un pauvre religieux couvert d'une méchante casaque de laine; il alla droit aur roi, s'inclina en sa pre

(1) Annal. cist., t. 2, p. 303.

sence, et lui dit : Prince, c'est moi qui défendrai Calatrava (1).

Cette démarche parut à quelques-uns une insigne folie, d'autres une témérité sans exemple, à la plupart une grave inconvenance dans un moine. D. Sanche, doué de ce tact supérieur qui distingue les grands rois, éclairé de cette lumière divine qui ne manque jamais dans le besoin aux hommes providentiels, n'en jugea point ainsi, et consentit à céder la place.

Aussitôt l'abbé et son religieux allèrent trouver Jean, archevêque de Tolède, qui approuva leur dessein, y contribua de ses biens, et fit prêcher que tous ceux qui iraient au secours de Calatrava auraient le pardon de leurs péchés. En quelques jours il s'opéra une si grande révolution dans les esprits, que tous voulurent payer de leur personne ou au moins offrir des armes, des chevaux ou de l'argent. Le roi, de son côté, pour exécuter sa promesse, donna à l'abbé et au monastère de Fitero la ville et le fort de Calatrava.

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<< Moi, le roi Sanche par la grâce de Dieu, fils de dom Alphonse de bienheureuse mémoire, illustre empereur des Espagnes, par l'inspiration divine fais cet acte de dona<«<tion, valable à perpétuité, à Dieu, à la sainte vierge Ma

rie, à la sainte congrégation de Citeaux et à vous, dom << Raymond, abbé de Fitero, et à tous vos frères, tant présents <«< qu'à venir, de la ville appelée Calatrava, afin que vous l'ayez << et la possédiez en toute propriété, paisiblement, librement, << par droit héréditaire, et que vous la défendiez contre les << païens, ennemis de la croix de Jésus-Christ, par son secours « et le nôtre; ainsi vous l'abandonne, et avec elle tous les do<<maines qui en dépendent, comme montagnes, terres, eaux, << prés, etc. >>

(1) Ex Tabul. Morim., ad ann. 1158.

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