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Les deux moines, ayant levé une armée considérable, entrèrent avec elle à Calatrava, dont ils prirent possession et qu'ils environnèrent aussitôt de tranchées, de bastions et de remparts. Les Maures, voyant la place si bien fortifiée et secourue, renoncèrent au projet qu'ils avaient de l'attaquer (1).

Le territoire de cette ville avait plus de vingt lieues de circuit et renfermait peu d'habitants; Raymond forma le dessein de ne laisser à Fitero que les religieux infirmes, et de transporter à Calatrava les religieux valides, les frères convers, tout le mobilier et les troupeaux de l'abbaye. Il fit en même temps un appel aux populations de la Navarre; il y eut un tel entraînement, un tel enthousiasme, qu'il traversa la Castille suivi de plus de vingt mille hommes (2).

Mais il fallait donner à cette multitude un chef et des règlements disciplinaires; c'est ce qui suggéra à Raymond l'idée de fonder un nouvel ordre militaire, qui vivrait et combattrait sous la direction et la bannière de Cîteaux.

La distinction entre les moines de chœur et les frères lais était fondamentale chez les cisterciens : il s'agissait d'augmenter les derniers d'une manière illimitée, de leur présenter l'épée au lieu de la bêche; d'en faire, à cause de l'imminence du danger, des soldats plutôt que des laboureurs et des artisans; de les plier en temps de paix à l'observance du régime monastique, c'est-à-dire à l'oraison, à la psalmodie, à la frugalité et à la continence, afin qu'au moment du combat, couverts extérieurement de fer et d'airain, et intérieurement munis des armes de la foi, ils s'élançassent comme des lions sur l'ennemi (3).

(1) Mariana, Hist. Hisp., lib. 2, c. 6; 3 et 4.

(2) Ann. cist., t. 2, pp. 306 et 307;

Rades., Chron. Calatrav., cc. 1, 2,

Fleury, Hist. ecclés., 1. 70, p. 55,t. 15.

(3) Qui laudabant in psalmis accincti sunt ense, et qui gemebant orantes, ad defensionem patriæ. ·

Roder. tolet., 1. 7, c. 27.

Une pareille conception ne manquait ni de hardiesse, ni de grandeur, ni d'opportunité; elle ressortait évidemment des tendances de ce siècle, où l'on croyait ne pouvoir rien entreprendre et rien exécuter que par l'inspiration et la main des moines. Le but commun que les peuples d'Europe se proposaient était la destruction ou le refoulement de l'islamisme. Qu'étaient les Maures, ceux d'Espagne surtout? Les missionnaires armés du Coran. L'Eglise, dans sa sagesse, comprit qu'on ne pouvait vaincre une idée que par une idée; c'est pourquoi elle incarna sa défense dans une milice monastique.

Les religieux s'animèrent d'un zèle chevaleresque, les chevaliers s'enflammèrent d'un zèle religieux; le casque s'allia au capuce, la cuirasse au scapulaire; les deux glaives se croisèrent sur la poitrine du Maure.

A cette heure, il n'y a en Europe qu'une seule guerre à craindre, la guerre des idées; or, les idées ne se combattent ni par le tranchant de l'acier, ni par le canon; des temps viendront où il faudra marcher la croix d'une main et le glaive de l'autre ; avant la fin de ce siècle, peut-être sera-t-on forcé d'aller à Rome demander le rétablissement de la chevalerie chrétienne contre de nouveaux barbares! Les hommes qui ont étudié notre époque et ses tendances ne mépriseront pas, nous en sommes sûrs, une semblable prophétie (1).

Pendant longtemps Raymond sut maintenir dans son nouvel institut harmonisées et combinées les deux vies en apparence les plus disparates et les plus antipathiques : la vie du soldat et celle du moine; il était lui-même tout à la fois abbé de couvent et général d'armée. Quoiqu'il ne parût jamais sur les champs de bataille, il donnait ses ordres du fond de sa solitude et communiquait au dehors cette impulsion érémitique qui a fait de si grandes choses dans le monde.

(1) Lacordaire, 8a Confér.; 18 janv. 1816.

CHAPITRE XV.

Othon meurt à Morimond; ses écrits et ses travaux religieux et scientifiques; concile provincial à Morimond en faveur du pape Alexandre III; l'association cistercienne rayonne sur toute la catholicité.

Ainsi que nous l'avons raconté plus haut, Othon de Frisingue était parti pour la croisade avec l'empereur Conrad III, son frère utérin, et avait partagé avec lui les fatigues et les revers de cette malheureuse expédition. Après avoir visité avec la foi la plus vive les lieux témoins de la rédemption du monde, et baisé cette terre sur laquelle a coulé le sang de JésusChrist, il était revenu au milieu de son troupeau pour l'édifier de nouveau. Trompé un instant au sujet de l'élection de Guicman à l'évêché de Magdebourg, élection attentatoire aux libertés du catholicisme, il avait reçu, avec plusieurs évêques d'Allemagne, une lettre sévère et menaçante du pape Eugène III (1).

Cette grande leçon donnée de si haut ne sortit jamais de sa mémoire, et devint à l'avenir la règle de sa conduite et comme la boussole de sa vie. On le vit toujours depuis s'élancer au moment de la tempête dans la barque de Pierre, pour lutter contre les efforts et les envahissements des princes séculiers,

(1) Annal. cist., t. 2, p. 203; — id., p. 285.

lors même que ces derniers lui étaient unis par les liens les plus étroits du sang et de l'amitié.

Frédéric Barberousse, fils de Frédéric de Souabe, était le neveu de l'évêque de Frisingue, et, depuis son avénement au trône impérial, il n'avait cessé de témoigner à son vénérable oncle la plus grande confiance, l'admettant à son conseil, le consultant de préférence, se rangeant souvent de son avis. Othon semble seul avoir eu le secret d'adoucir momentanément cette nature apre et sauvage, et sa main puissante tint pendant huit ans cette tête altière inclinée devant l'autorité du vicaire de Jésus-Christ; mais ce fut surtout à la conférence d'Augsbourg qu'il fit éclater ses talents diplomatiques.

En l'an 1158, le pape Adrien, désolé du mauvais succès des négociations qu'il avait entamées avec l'empereur l'année précédente, lui députa deux membres du Sacré-Collége, Henri et Hyacinthe. Arrivés au camp d'Augsbourg, ils furent admis à l'audience de l'empereur, auquel ils remirent les lettres pontificales; le prince les fit présenter à Othon qui l'accompagnait, pour les lire et les interpréter. Ce saint prélat, auquel l'imminence d'un schisme entre le sacerdoce et l'empire causait une profonde douleur, comme témoigne Radevic, son disciple, mania cette affaire avec tant d'habileté, la traita avec tant d'éloquence et de sagesse, que Frédéric satisfait déclara qu'il rendait son amitié au peuple et au clergé de Rome; en signe de quoi il donna aux légats le baiser de paix (1).

Othon devait suivre en Italie Frédéric, son neveu, à qui il était très-utile pour les affaires de l'empire; mais il le pria de le dispenser de ce voyage, et, en le quittant, il lui recommanda, les larmes aux yeux, les intérêts de son église bien-aimée, particulièrement la liberté de l'élection après sa mort, qu'il

(1) Fleury, Hist. ecclés., t. 15, p. 44; — Gunth., in Ligur., 1. 7.

croyait proche à cause des avis qu'il en avait reçus, fondés sur quelques révélations. Il retourna donc à Frisingue, et, ayant fait à son clergé et à son peuple les plus touchants adieux, il partit pour se rendre au chapitre de Cîteaux, dans les premiers jours de septembre 1159.

Son corps débile se fût affaissé bientôt sous le poids des fatigues et des ennuis d'un si long voyage, s'il n'eût senti ses forces et son courage se ranimer par l'espoir si doux d'embrasser des frères chéris, d'exhaler son dernier soupir dans leurs bras, et de revoir la maison qui avait abrité sa jeunesse et n'avait cessé d'être l'objet de ses délicieux souvenirs.

Sa santé, dans la route, ne parut point considérablement altérée, et rien ne faisait craindre à ses compagnons une mort prochaine; mais, arrivé à Morimond, le mal dont il portait le germe fit de si rapides progrès, que, ne pouvant plus douter de la vérité de ses pressentiments, il demanda l'extrême-onction.

S'étant fait ensuite apporter le livre qu'il avait composé de l'Histoire de l'empereur Frédéric, il le donna à des hommes doctes et pieux, pour y corriger ce qu'il pouvait avoir dit en faveur de l'opinion de Gilbert de la Porée, dont quelqu'un pût être scandalisé, déclarant qu'il voulait soutenir la foi catholique suivant la règle de l'Eglise romaine (1).

Il fit ensuite humblement et avec la plus grande contrition l'aveu de ses fautes, reçut le saint viatique, puis, en présence de toute la communauté agenouillée près de son lit de douleur, il parla encore avec force et onction de l'immortalité de l'ame, des peines des damnés et du bonheur des élus; enfin l'instant suprême arriva, et ce fut dans ces saintes et sublimes pensées qu'il rendit son ame à son créateur, le 21 de septem

(1) Ann. cist., t. 2, p. 323; - Epit. vit. Otho., in tabul. sepulch.

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