Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

la journée qui commence. Ensuite vous les eussiez vus glisser un à un, sans bruit, à travers le cloître, les yeux inclinés vers la terre, la tête couverte, leurs mains enveloppées dans les manches de la cuculle, se rendant à l'oratoire.

En entrant, ils rejetaient leurs capuchons en arrière, s'inclinaient devant chaque autel qu'ils trouvaient sur leur passage, et se prosternaient jusqu'à terre devant le grand autel. Arrivés dans leurs stalles, ils s'agenouillaient, croisaient les bras sur leurs poitrines, récitaient la Prière dominicale et le Credo, puis tous se levaient au Deus in adjutorium, et restaient debout, immobiles comme de blanches statues, pendant presque tout l'office, qui se chantait en grande partie de mémoire.

Qui dira tout ce qu'il y avait de poésie sublime, de douce mélancolie, de ravissantes harmonies dans cette nuit religieuse que perçaient à peine les pâles reflets de la lumière du sanctuaire, dans le chant de tant de saints cénobites priant pour le monde enseveli dans le sommeil tout à l'entour de leurs forêts, dans ces voix de vieillards et de jeunes gens se mêlant dans les ténèbres au bruit du vent et au fracas du torrent (1)!

Les historiens contemporains rapportent que les habitants des campagnes étaient tellement émerveillés de cette symphonie nocturne, qu'ils ne croyaient rien exagérer en la comparant à la mélodie céleste des anges; et cependant ce n'était que le chant grégorien; car les cisterciens voulaient que les hommes chantassent les louanges de Dieu avec leurs voix d'hommes, et non avec des voix de femmes ou d'histrions; viros decet virili voce cantare, et non more fœmineo (2).

La prière des moines marchait avec le temps et le monde :

(1) Statut. cist., ann. 1134; Annal. cist., t. 1, p. 281.

(2) Responsoriis psalmorum, cantu virorum..... et parvulorum consonans, undarum fragor resultat. — S. Ambros., 1. 3, c. 5, Hexam.

entre les matines ou l'office de la nuit, et les laudes ou l'office de l'aurore, il y avait, en hiver surtout, un laps de temps assez considérable; les religieux pouvaient alors ou rester dans leurs stalles en présence de Dieu, ou aller au cloître méditer l'Ecriture sainte, lire, étudier, apprendre le chant, les cérémonies et les rubriques.

Aussitôt que les premières lueurs du crépuscule, ceignant l'horizon d'un large bandeau de pourpre nuancé de mille teintes diverses, venaient frapper les vitraux de l'oratoire et les colorer; au moment où la nature semble se réveiller au contact électrique de la lumière, et laisse échapper de son sein un murmure de vie qui s'accroît par degrés du chant matinal de l'oiseau, du mugissement des troupeaux, du bruissement de la feuille sous le souffle de ces vents alisés qui accompagnent presque toujours dans le Bassigny le lever du soleil, en un mot de ces mille voix que la Providence a données à tous les êtres de l'univers et qui forment comme l'éternel Te Deum de la création; à cet instant la règle cistercienne disait au moine de Morimond: « Lève-toi une seconde fois, homme de Dieu; imite ces petits oiseaux de la forêt qui célèbrent les louanges de leur créateur; entre pour ta part dans cet immense concert, qui sans toi serait incomplet et indigne de l'Être suprême, et que ta voix fasse monter cette harmonie de la terre jusqu'au ciel ! »> (1)

Après le chant des laudes, il y avait un intervalle pendant lequel plusieurs frères montaient au dortoir pour s'y laver et changer d'habit; d'autres, transis de froid dans la saison rigoureuse, se rendaient au calefactoire pour s'y réchauffer un instant et graisser leurs sandales.

(1) Imitare minutissimas aves, mane et vespere creatori gratias referendo, et si es devotior, imitare lusciniam, cui quoniam ad dicendas laudes dies sola non sufficit, nocturna spatia pervigili cantilena decurrit. — S. Ambros., Serm. in Malach.

Les austérités, les macérations, la multiplicité des prières sans l'humilité ne peuvent qu'enorgueillir l'homme et l'éloigner de sa fin. « Dieu est le plus élevé de tous les êtres, dit « saint Augustin, et cependant, chose étonnante ! ce n'est qu'en nous abaissant que nous nous rapprochons de lui ! »> Aussi tout dans le cloître tendait à faire prédominer cette vertu dans le cœur des frères. Le chapitre, qui se tenait immédiatement après les laudes, était une école d'humilité. Lorsque tous les moines avaient pris place, selon leur rang, à droite et à gauche, l'abbé paraissait au milieu, sur un siége plus élevé. On commençait par la lecture du Martyrologe; on récitait ensuite les prières pour les trépassés, et on lisait une partie de la Règle de saint Benoît. Il se faisait ensuite un profond silence, et là, sous les yeux de la communauté, en présence des saints du ciel que l'on avait conviés à ce spectacle digne d'eux, en face de la mort elle-même, le religieux qui s'était rendu coupable de la plus légère infraction se levait et confessait à haute voix sa faute; puis il se prosternait de tout son corps, recevait sa pénitence et retournait à sa place, dans l'espérance que Dieu agréerait cette confusion momentanée en présence de quelques frères, et lui épargnerait celle du jour des vengeances en face de l'univers entier.

Au sortir du chapitre, ils allaient travailler aux champs, armés de bêches, de râteaux et de sarcloirs; ils rentraient à l'heure de tierce pour chanter cet office et assister à la sainte

messe.

Les religieux qui n'étaient pas prêtres communiaient tous les dimanches et les principales fêtes. Voici l'ordre qu'ils tenaient en communiant : ils recevaient d'abord la paix du prêpar les ministres de l'autel; ce qui se faisait de la sorte : le premier de ceux qui devaient communier se présentait au milieu du degré du presbyterium et y recevait la paix du sous

tre

diacre; ensuite il la donnait lui-même au second, celui-ci au troisième, etc., per osculum et amplexum, s'embrassant et s'entredonnant la joue gauche, avec modestie et gravité; le dernier des profès la portait au premier des novices, et le dernier des novices au premier des frères convers; puis, se joignant deux à deux, ils récitaient le Confiteor et le Misereatur, s'agenouillaient en se prosternant, recevaient la sainte hostie, et allaient ensuite prendre le précieux sang dans le calice, au moyen d'un chalumeau d'or. Lorsqu'ils étaient rentrés au chœur, le sacriste leur présentait du vin dans une coupe d'argent (1).

Après la messe, ils se retiraient de nouveau dans le cloître pour y lire et y méditer. A onze heures et demie, la cloche annonçait sexte et ensuite le dîner, qu'accompagnait le plus rigoureux silence et la lecture de quelque livre de piété. Au sortir du réfectoire ils allaient à l'oratoire, deux à deux, en disant le Miserere; après quoi, en été surtout, où leur sommeil était si court, ils pouvaient faire une sieste d'environ une heure.

La cloche sonnait pour les éveiller, et, en attendant none, ou ils restaient assis dans le cloître, ou ils entraient à l'oratoire. A deux heures et demie on chantait none, et, au sortir de cet office, il leur était permis de prendre un verre d'eau dans le réfectoire, avant de se rendre aux travaux des champs. Au retour, ils chantaient les vêpres, puis ils partageaient un léger repas composé du reste de leur pain du dîner, de quelques fruits crus, tels que radis, laitues, pommes ou poires que fournissait le jardin de l'abbaye (2).

La journée se terminait par la lecture des Collations ou Con

(1) Jul. Pàris, De l'Esprit primitif de Citeaux, p. 134.

(2) L'ordre des repas variait selon les temps et les saisons. A partir du 14 septembre, l'unique repas n'avait lieu qu'à deux heures et demie; il était reculé jusqu'à quatre heures pendant le carême, et seulement jusqu'à trois les autres jours de jeûne.

férences de Cassien et par les complies, dont l'heure variait suivant celle où ils allaient se coucher, qui était sept heures en hiver et huit en été.

Après les complies, l'abbé se levait et aspergeait d'eau bénite les frères un à un, à mesure qu'ils sortaient de l'oratoire à la file. Ils ramenaient alors leur capuce sur leur tête et se rendaient au dortoir, où, après s'être recommandés à Dieu, à la Vierge et à leur ange gardien, ils se jetaient sur leurs paillasses, se couvraient de leurs couvertures de laine, croisaient les bras sur leur poitrine et s'endormaient dans la sainte pensée de la mort et du ciel ; et leur sommeil était encore une prière, selon l'expression de saint Jérôme Sanctis ipse somnus oratio (1).

:

Le spectacle d'une vie si sainte, si pauvre, si dure et si crucifiée devait impressionner profondément les pécheurs et produire des fruits de salut parmi les peuples. Car l'homme est ainsi constitué : la voie qui le ramène au bien est longue par le discours et courte par les exemples. Mais ce qu'il y avait de plus édifiant et de plus touchant dans notre abbaye, c'était la mort des religieux.

Lorsque l'un d'eux était sérieusement indisposé, l'infirmier, mandé par l'abbé, le conduisait à l'infirmerie et s'empressait de lui servir tout ce qui semblait nécessaire à son soulagement et à sa guérison.

On lui donnait une couche plus douce que celle du dortoir, du feu, du pain blanc, du vin, et de la viande, que la règle de Citeaux ne tolérait que dans ce seul cas. Au reste, point de médecin ni de remèdes, si l'on excepte des herbes et des raci

(1) C'est bien là encore la vie de nos trappistes. Voir: 1° Notice sur la trappe de Meilleraie, in-18, Nantes, 1851; - 20 Septfons, ou les Trappistes, in-8°, Moulins, 1846; 30 L'ouvrage de M. Gaillardin sur Les Trappistes du XIX siècle, 2 vol. in-8°.

[ocr errors]
« ZurückWeiter »