Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

tres personnages, et il voulut les interroger. Pierre de Tarantaise et Aliprand, auxquels il s'était adressé plus particulièrement, lui répondirent avec une franchise chrétienne et une liberté vraiment monastique : il avait compris dès lors combien serait longue et énergique la résistance qu'on lui opposerait, et il s'était hâté de convoquer le conciliabule de Pavie (1).

Aliprand jouissait d'une si grande réputation de probité, de science et de discernement, que les seigneurs du Bassigny et de la Lorraine le choisirent pour arbitre en diverses circonstances. On venait le trouver des contrées les plus éloignées, et il rendait la justice sous les arbres des forêts de Morimond, comme plus tard saint Louis sous le chêne de Vincennes. Ce fut au milieu de cette carrière si glorieuse qu'une mort prématurée l'enleva à ses religieux, dont il était le père et le modèle, à son pays, qui l'écoutait comme un oracle, et à l'Eglise, à laquelle il aurait pu rendre encore d'éminents services.

Odon et Gauthier, ses deux successeurs immédiats, ne gouvernèrent qu'un instant l'abbaye le premier eut parmi ses contemporains une certaine renommée d'orateur et d'écrivain mystique; la plupart de ses ouvrages ont été dévorés par le temps: on en retrouve encore quelques débris dans les Bibliothèques des écrivains de l'ordre (2). L'administration du second ne dura qu'un an et n'eut rien de remarquable. Enfin, en 1162, Aliprand, deuxième du nom, profès de l'abbaye de Morimond en Lombardie, fut élu unanimement. Ce fut lui qui agrégea à l'ordre de Cîteaux Regnier d'Aigremont et Simon, vicomte de Clémont, les bienfaiteurs de son monastère. Cette double cérémonie se fit à l'oratoire de Morimond, le jour de

Ann. cist., t. 2, p. 327.

(1) Radev., 1. 2, cc. 69, 70 et 72; (2) Philipp. Seguin., Biblioth. cist.; Hist. de la vie et des écrits d'Odon, abbé de Morim., Hist. litt. de France, t. 13, pp. 610 et 613.

la Nativité de la sainte Vierge, en 1163, en présence d'une foule de seigneurs et de tous les moines (1).

ni

Cette même année saint Raymond rendit le dernier soupir à Calatrava, et son corps fut transporté à Cirvelos qui en dépendait (2). Après sa mort, les chevaliers, quoique la plupart ne fussent que des frères convers auxquels il avait fait prendre les armes, ne voulurent plus avoir de moines avec eux, être gouvernés par un abbé, et élurent pour premier grandmaître Garcias, l'un d'entre eux. Il s'éleva bientôt un débat très-vif entre les religieux de Citeaux et de Sainte-Marie-deFitero d'un côté, et les chevaliers de l'autre, les religieux prétendant que c'était à eux que Calatrava avait été donné; mais le grand-maître, d'après les conseils de Vélasquez, le seul moine qui fût resté à Calatrava, conduisit cette affaire avec tant de prudence qu'elle s'accommoda.

Au mois de septembre 1164, lorsque tous les abbés de l'ordre étaient réunis à Cîteaux, dans la salle capitulaire, on vit arriver un chevalier étranger, avec son costume guerrier, son épée, sa lance, son bouclier. Ayant traversé l'enceinte, il vint se jeter aux pieds de Gilbert, l'abbé général. « Que Cî<< teaux, s'écria-t-il, daigne aussi nous recevoir; car nous << sommes ses enfants, et rien ne pourra jamais nous détacher « du sein de notre mère! Le vénérable Raymond nous a en<«< gendrés à la vie religieuse dans la forteresse de Calatrava ; <«< nous sommes entrés ensuite dans la grande famille cister<<< cienne; nous avons vécu jusqu'alors sous des abbés, et plût << au ciel qu'ils fussent encore à notre tête! Affranchis de tout << autre soin, nous serions à cette heure à la poursuite des in<< fidèles qui ont envahi l'Espagne. Mais des moines pacifiques

(1) Tabul. Morim., ad hunc ann. 1163.

[ocr errors]

(2) Roder. tolet., 1. 7, c. 14; Mariana, 1. 2, c. 6; Calatr., c. 6.

Rades Andrad., Hist.

<<< ne veulent pas ou ne peuvent pas commander à des hommes <«< qui ne vivent que sur des champs de bataille et dans le <«<sang; aussi les autres ordres militaires, comme les Tem«< pliers, qui se glorifient d'avoir saint Bernard pour législa<< teur, sont-ils gouvernés par des grands-maîtres pris parmi «<les chevaliers. C'est d'après cet exemple que ceux de Cala<< trava m'ont élu moi-même, non pour secouer le joug mo<< nastique, mais pour ne pas le souiller. Les moines, irrités << de cette élection, nous ont abandonnés; rien n'a pu les re<< tenir : ni le doux souvenir de Raymond, illustré par des mi«racles après sa mort, comme il l'avait été par ses vertus << pendant sa vie ; ni leur propre sang, qu'ils ont versé sur «< cette terre; et ils nous ont délaissés sans lois, sans guide; <«< nous aurions même été privés des secours spirituels de l'E<«<glise, si nous n'avions nommé des chapelains pour nous les « administrer. Nous venons nous jeter dans vos bras; daignez << nous accueillir et nous tracer une règle de vie. Si nous ne << pouvons plus être les enfants de Cîteaux, qu'au moins nous << soyons ses alliés et ses amis ! >>

L'abbé Gilbert répondit avec une sévérité mélangée de beaucoup de douceur, montra l'irrégularité de l'élection du grand-maître sans l'avis et la participation de Cîteaux, et glissa rapidement sur le passé; on leur donna une Règle sans les rattacher à aucune maison. Garcias se rendit à Sens pour la soumettre à l'approbation du Souverain-Pontife Alexandre III, et retourna ensuite en Espagne (1). Les Maures ayant essayé, peu de temps après, de reconquérir les places qu'ils avaient perdues, les chevaliers les refoulèrent en leur faisant essuyer des pertes considérables. Alphonse IX, pour les récompenser, leur donna la moitié des châteaux d'Almaden et de Chillon.

(1) Annal. cist., p. 400, t. 2; pp. 564 et sq.

Hist. de l'Egl. gallic., Longuev., t. 9,

Ayant appris que le roi assiégeait Zorita, ils lui envoyèrent douze cents hommes pour l'aider à s'en emparer; ils allèrent ensuite attaquer les ennemis au foyer même de leur domination, et les défirent en bataille rangée, sans autre secours qu'un renfort de deux mille hommes qui leur était venu de la ville de Tolède. Le roi leur abandonna les terres de Cogolludo, d'Almoguera, de Maqueda, etc. Ces exploits les mirent en si grande réputation, que le roi d'Aragon, étant pressé par les Maures, pria le grand-maître de lui envoyer ses gens, avec lesquels il enleva d'assaut et à la pointe de l'épée plus de douze places fortes (1). Nos chevaliers semblaient se multiplier pour repousser ou prévenir les attaques, aujourd'hui dans le royaume de Cordoue ou de Valence, demain dans la contrée de Jaën, brûlant les camps et les villages, traversant les forêts et les montagnes avec la rapidité de l'aigle, passant tour-à-tour des frontières de Castille à celles d'Aragon; se divisant ordinairement par pelotons, pour échapper aux forces supérieures de l'ennemi ; faisant une guerre de tirailleurs et de guérillas, la plus terrible de toutes, sur le sol si montagneux et si accidenté de l'Espagne.

Cependant, quand l'occasion favorable se présentait, ils ne refusaient pas la bataille; ils la provoquaient même. Ainsi, les infidèles ayant fait une incursion dans le pays d'Alarcos et de Benavente, nos chevaliers y volèrent aussitôt, les poursuivirent et les serrèrent de si près, qu'ils les forcèrent d'en venir aux mains et en tuèrent plus de trois mille. Le drapeau de Calatrava à la devise et aux couleurs de Cîteaux est partout vainqueur, et l'Espagne chrétienne lui devra son salut.

Aliprand II, abbé de Morimond, était mort dès l'an 1168; Gilbert, qui lui succéda, ne fit que se montrer et disparaître ;

(1) Rades Andrad., Hist. Colatr., cc. 10, 11 et 12; relig. et milit., t. 6, p. 38.

[blocks in formation]

il fut remplacé par Henri II. Ce dernier obtint, en 1178, du pape Alexandre III, une bulle de protection, avec de grands priviléges. Comme Aliprand, il était ordinairement choisi pour arbitre dans toutes les dissensions et par toutes les classes de la société. Il rétablit successivement la bonne harmonie entre les religieux de Flabémont et ceux de Beaupré; entre Pierre, évêque de Toul, et son chapitre; entre les fils de Simon de Clémont, qui se disputaient l'héritage de leur père. Il fut appelé à Metz, à Langres, à Besançon, pour terminer des différends, éteindre des haines invétérées qui semblaient devoir durer toujours (1).

Quand le socialisme moderne réussit à pénétrer quelque part, soit en Suisse, soit en France, ou en Allemagne, ou en Italie, il y traîne à sa suite la haine de Dieu et de l'humanité, le désœuvrement, toutes les débauches de l'esprit et du cœur, les révolutions, la guerre civile. Il peut répéter en toute vérité les paroles que Milton met dans la bouche de l'ange rebelle précipité des cieux : Là où je tomberai, là sera l'enfer!

Partout où nos cénobites posaient leurs tentes, ils apportaient dans les plis de leurs blanches robes, avec l'amour de Dieu et des hommes, la paix et le travail. La contrée qui leur ouvrait son sein devenait bientôt un paradis terrestre.

Hélas! nous n'avons plus ces anges de charité, ces messagers du ciel qui venaient du désert apporter au monde la tranquillité et le bonheur; qui d'un mot calmaient les orages du cœur, jetaient l'ennemi dans les bras de son ennemi, qui l'embrassait et lui jurait oubli et pardon! — Qui nous rendra nos cénobites avec leur puissance consolatrice et pacificatrice?... qui empêchera nos douleurs et nos discordes d'être éternelles ?...

(1) Tabul. Morim., ad ann. 1177; Gall. christ., t. 4, p. 817.

« ZurückWeiter »