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En face, à l'ouest, et à peu de distance, sur le revers du mont qui borde et domine ce vaste bassin où la Meuse prend sa source, s'élevait un autre monoir, rival du premier, et qu'on nommait Clémont (clarus mons, claire montagne), sans doute parce que de ce point culminant l'œil embrasse un horizon immense, un des plus beaux et des plus riches paysages de la France. Ce castel en imposait par sa hauteur, l'épaisseur de ses murs, la masse de ses fortifications, ses glacis, ses contrescarpes, les bouches béantes de ses meurtrières, qui semblaient toujours prêtes à vomir la mort sur vingt villages couchés à ses pieds (1).

A l'est de Choiseul, sur la lisière des forêts des Vosges, apparaissait, comme un nid d'aigle sur la cîme d'un rocher, le château d'Aigremont (acer mons), la rude montagne, taillée à pic presque tout à l'entour (2), environnée de ravins et de précipices. Ce dernier fief était peu considérable, ne renfermant que quatre pauvres villages: Aigremont, Arnoncourt, La Rivière et Mont.

Ces trois familles tiraient leur origine des comtes du Bassigny (3), comptaient parmi leurs aïeux saint Gengoul (4) et

y arrivait par deux chemins : l'un, descendant du côté du nord, allait rejoindre la levée romaine de Langres à Toul, au-delà de Meuvy, en passant par le vallon des Gouttes; l'autre, au sud-est, tombait sur le village de Choiseul presque perpendiculairement. A la fin du XVIe siècle, le château fut transféré dans ce dernier village, que les seigneurs avaient toujours habité en temps de paix. La célèbre maison de Choiseul a pris son nom de cette terre.

(1) Il y a encore des restes de ce château, et ceux qui les visiteront verront que nous n'avons rien exagéré. Nous n'avons trouvé aucun titre primitif latin où ce château serait nommé clavis montium.

(2) Migneret, Rech. hist. sur le château et la commune d'Aigremont, pp. 4 et 3. Nous ne connaissons ce lieu que par cet ouvrage.

(3) C'est l'opinion du savant Jac. Vignier (Chronic ling.) et de plusieurs autres, comme André Duchesne et Le Laboureur.

(4) Tous les auteurs, dit le docte Mangin (Hist. ecclés. et civ. du diocèse de Langres, t. 1, p. 347), conviennent que S. Gengoul fut une tige de l'illustre maison de Choiseul.

sainte Salaberge (1), étaient unies entre elles non-seulement par les liens du sang, mais par des traités d'alliance, et donnaient en général le ton et le mouvement à tous les seigneurs du pays, dont plusieurs étaient leurs vassaux à ceux de Bourbonne, de Coiffy, de Maulain, de Lanque, de Nogent, de Reynel, de Saint-Blin, de La Fauche, etc. Ils entraînaient même souvent à leur suite les sires de Montsaugeon, de Vergy, de Grancey, de Tréchâteau en Bourgogne, de Beaufremont, d'Ische et de Vaudémont en Franche-Comté et en Lorraine; et, lorsque le cri de guerre Bassigny! retentissait du haut des tours de Choiseul, soudain plus de vingt seigneurs se levaient avec leurs bannières et leurs gens d'armes, des rives de la Moselle à celles de la Seine, et répétaient : Bassigny! (2)

Tout ce système gigantesque de despotisme et de compression doit s'écrouler; la Providence a décidé que cette grande révolution ne s'opérerait point subitement, par la spoliation et les ruines, mais dans la justice et la douceur, à force de temps et de patience; c'est pourquoi elle suscite à cet effet des moines, des ermites, c'est-à-dire des hommes de charité, de prière et de travail.

Regnier, tige de la maison de Choiseul, vivait à la fin du XIe siècle; il avait épousé Ermengarde de Vergy, et avait fait partie de la première croisade en qualité de chevalier banneret. La papauté luttait dans ce moment avec un courage héroïque contre la tyrannie des investitures; nos pieux époux,

(1) Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur à la belle et solide dissertation sur Ste Salaberge, insérée dans l'Annuaire de la Haute-Marne, 1838, et signée Beaulleret, curé de Dammartin. Selon le P. Vignier (Décade hist., 689, 690), elle serait une des tiges de la maison de Choiseul.

(2) Mangin, dans l'ouvrage que nous avons déjà cité, t. 3, pp. 486-495, après avoir récapitulé les terres et seigneuries qui relevaient de la maison de Choiseul, dit que, toutes ensemble, elles auraient formé un arrondissement de pays de plus de 40 lieues de circuit.

qui jouissaient du droit de patronage sur l'église de SaintGengoul de Varennes, l'abandonnèrent à l'abbaye de Molesme, et érigèrent cette église en prieuré, après l'avoir splendidement dotée (1). De Regnier et d'Ermengarde naquirent Roger, leur fils aîné et leur principal héritier, Conon, et Adeline qui épousa Odolric, fils de Foulque d'Aigremont. Ce dernier avait été marié deux fois : 1° avec la fille d'Odolric, comte de Reynel; 2° avec Eve de Grancey ou de Châtillon, veuve de Tescelin, seigneur de Fontaine près de Dijon (2). La fille du vertueux Regnier propagea dans la famille de son époux les grâces célestes dont elle avait été comblée dans la maison de son père; ce fut par son inspiration qu'Odolric fit construire un petit oratoire dans une forêt marécageuse, inhabitable, entre Damblain et Fresnoy, et y envoya un saint anachorète appelé Jean, comme pour adoucir et pacifier cette nature âpre et rebelle par la présence d'un ami de Dieu (3). L'évêque Robert de Bourgogne s'était empressé de donner sa bénédiction à ce solitaire et de l'exhorter à faire fleurir ce désert.

Tout faisait donc espérer que cet humble ermitage serait bientôt trop étroit pour contenir ceux qui viendraieut l'habiter; mais la Providence, qui avait ses vues sur cette terre, en avait décidé autrement. En vain le dévot ermite conjura le Seigneur de dilater sa tente et de lui envoyer des frères; en vain il fit retentir la sombre forêt de ses gémissements et des

(1) Ce prieuré, si célèbre à cause des reliques de S. Gengoul, fut desservi primitivement par des religieux de Molesme; il tomba ensuite en commande; il jouissait d'un revenu de 14,000 livres de rentes avant notre grande révolution. Plusieurs autres prieurés, comme ceux de Coiffy et de Choiseul, s'y rattachaient. - Mangin, t. 2, p. 32.

(2) Archiv. de la Haute-Marne, 2e liasse; Recueils divers concernant l'Hist. généal. des mais. de Chois., aux arch. de l'évêché de Langres.

(3) Cet ermitage était à une lieue du vallon de Morimond; on l'appelle encore aujourd'hui le Vieux-Morim. Il n'en reste que des ruines. - Voy. Annal. cist., t. 1, c. 14, p. 78; ensuite, la charte de fondation de l'Abbaye, Gall. christ., t. 4, inter instrumenta.

sons pieux de sa petite cloche: l'établissement ne prit aucun accroissement durant l'espace de dix ou douze ans. Alors Jocerand de Brancion, successeur de Robert, engagea le solitaire désespéré à aller offrir sa cabane et son oratoire à l'abbé de Cîteaux, après avoir obtenu la permission du seigneur d'Aigremont (1). Telle fut la modeste origine de Morimond. Mais ce grain de senevé, sous le souffle du Très-Haut, deviendra un grand arbre, qui abritera non-seulement la contrée qui l'a vu naître, mais encore une portion considérable de l'Eglise et de l'Europe, du Mançanarez à la Vistule.

CHAPITRE III.

Arrivée de l'ermite Jean à Cîteaux; il revient avec deux religieux au château d'Aigremont; embarras inattendus; saint Etienne se rend dans le Bassigny; départ de la colonie pour Morimond.

Notre vénérable solitaire, après s'être prosterné devant Dieu pour lui recommander l'objet de son voyage, prit sa ceinture de corde, ses sandales, sa pannetière et son bourdon, sortit de sa forêt et s'achemina vers Cîteaux, priant et mendiant le long de la route. Quels ne durent pas être son étonnement et son édification, lorsqu'arrivé au terme de sa course il n'aperçut, au lieu de la célèbre maison qu'il cherchait, que quelques misérables huttes, construites sans art, avec des branches, du feuil

(1) Archiv. de l'év. de Lang., Du pays et archid. du Bassig., p. 473.

lage et de la terre, auprès desquelles sa cellule eût été un palais! Partout aux alentours de l'eau et de la boue, partout l'apparence de la pauvreté et du dénûment!

L'ermite exposa au saint abbé, dans le plus grand détail, toutes les circonstances de l'affaire qui l'amenait, la nature et le site du désert, la bienveillance des seigneurs et le zèle des populations du voisinage. Étienne, après y avoir réfléchi mûrement, se décida à envoyer deux de ses frères, choisis parmi les plus âgés et les plus prudents, pour examiner les lieux, s'entendre avec les propriétaires fonciers, organiser des ressources et préparer tout ce qui était nécessaire pour une œuvre aussi importante (1).

Ainsi, l'association monastique ne courait point à la propriété, mais la propriété venait à elle et demandait à se placer sous sa douce et salutaire influence.

Le bon ermite, ayant passé quelque temps à Cîteaux et vu de ses propres yeux toutes les merveilles que la renommée en publiait, en partit accompagné de deux religieux, et reprit la route du Bassigny. Après trois jours de marche pénible, les trois voyageurs arrivèrent devant le castel d'Aigremont, dont les ponts-levis ne tardèrent pas à se baisser devant eux. Le vertueux Odolric et sa digne épouse les reçurent comme des anges de bénédiction. Mais c'est le propre des œuvres de Dieu ici-bas, d'être marquées au coin de la contradiction.

Quoique tout semblât leur sourire, ils s'aperçurent bientôt que le fils aîné du baron leur était opposé et cherchait à entraver les desseins charitables de ses parents (2), tantôt leur représentant le peu d'étendue et d'importance de leur fief dont il

(1) Annal. cister., t. 1, p. 78;

t. 2, p. 159.

Mangin, Hist. ecclés. et civ. de Langres,

(2) Annal. cister., t. 1, p. 81: Impediente progressus filio comitum, cui semper monach. conventus molestus fuit.

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