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place de Salvaterra, ils s'y fixèrent: d'où vint à l'ordre le nom de Salvaterra, qu'il conserva quatorze ans ; c'est de là que, renaissant en quelque sorte de sa cendre, la milice s'élancera à de nouveaux combats et à de nouvelles victoires (1).

CHAPITRE XIX.

Saint Pierre de Gumiel; extension territoriale de Morimond; réunion de l'ordre d'Avis à Calatrava; Guy est élu abbé; suite de la mission religieuse et sociale de Morimond.

Didace Vélasquez, le compagnon de saint Raymond, n'avait jamais quitté les chevaliers, partageant leurs expéditions et leurs dangers, priant et combattant tour-à-tour, moine et soldat tout à la fois; mais, accablé sous le poids des ans et des infirmités, il voulut, malgré les instances du grand-maître et les larmes de toute la milice, se retirer à Saint-Pierre-de-Gumiel, pour s'y préparer à la mort (2).

Ce couvent bénédictin, situé près de Gumiel, dans une vallée très-pittoresque et très-fertile, avait été demandé au roi de Castille par les chevaliers pour y faire fleurir la règle de saint Benoît selon la réforme de Cîteaux, et le roi s'était empressé de le leur abandonner; mais, ainsi que nous l'avons vu, il ne leur était permis ni d'accepter des abbayes, ni d'en

(1) Rades, Hist. Calatr., c. 13; Series præfect. Calatr., t. 3, ad fin., Annal. cisterc.

(2) Annal. cisterc., t. 3, p. 284.

fonder sans la permission de l'abbé de Morimond. Alphonse, roi de Castille, en écrivit aussitôt à l'abbé Pierre, pour l'engager à venir en Espagne, afin de recevoir ce monastère royal et de former à l'observance cistercienne les religieux qui l'habitaient. Le roi tenait alors sa cour à Tolède. L'abbé fut introduit près de lui, et accueilli avec de grandes marques de distinction et de respect; on dressa l'acte de donation, conçu en ces termes :

<< Moi, Alphonse, par la grâce de Dieu roi de Castille et de Tolède, je donne à l'ordre de Citeaux et à vous dom Pierre « et à vos successeurs le monastère de Saint-Pierre-de-Gu<<< miel, avec toutes ses dépendances, pour que vous le possé«< diez irrévocablement et en jouissiez à perpétuité. Que si << quelqu'un ose violer cette charte, qu'il encoure pleinement << la malédiction du Tout-Puissant et soit condamné aux pei« nes de l'enfer, avec le traître Judas; qu'il paie au roi mille << maravédis en or, et restitue le double du dommage qu'il « aura causé » (1).

Pierre souscrivit à cet acte, et, comme le roi lui eut témoigné le désir d'avoir sur les lieux quelqu'un qui fût à même, par la connaissance de la langue, des mœurs et du pays, d'exercer un vigilance continuelle sur la milice, de régler surle-champ les différends qui pourraient survenir entre les chevaliers, il établit l'abbé de Saint-Pierre son vicaire en Espagne, avec plein pouvoir de visiter, corriger, reprendre, etc.; se déchargeant sur lui de cette partie des devoirs de sa place, qu'il ne pouvait remplir à cause de son grand âge et de l'éloignement.

L'abbé de Morimond, de retour dans son monastère, se livra tout entier aux pieux exercices du cloître, et, après une

1) Annal. cist., t. 3, p. 283.

vie pleine de bonnes œuvres, il s'endormit paisiblement dans le Seigneur, le 14 de septembre 1198, jour auquel le Ménologe de Cîteaux fait mémoire de lui (1).

Le territoire de notre abbaye ne cessait de s'étendre: Renard, seigneur de Lambrey, l'avait agrandi du fief de Mont; Thibaut, comte de Bar et de Pont-à-Mousson, de quelques métairies, avec le libre passage de la Moselle à pied et à cheval, tant à travers les gués que sur les ponts, dans tout le comté; Foulque de Choiseul, en 1195, du domaine de Salveschamp; Simon, duc de Lorraine, de prés et de vignes aux environs de Neufchâteau.

Les socialistes se vantent d'avoir trouvé le secret, au moyen de ce qu'ils appellent l'association intégrale, de donner du travail à tous les ouvriers, d'organiser les travailleurs et d'utiliser toutes les forces et toutes les ressources de l'humanité (2). Du travail toujours et pour tous! voilà la grande devise écrite sur tous leurs drapeaux. Ce rêve était réalisé au moyen âge dans la plupart de nos grands instituts cénobitiques; tout ouvrier venant frapper à la porte du monastère y trouvait en tout temps l'occupation pour laquelle il se sentait le plus d'attrait et d'aptitude. C'était pour faire face à tous les besoins et à toutes les capacités, que la communauté cistercienne s'efforçait de réunir autour d'elle tous les genres d'arts, de métiers et d'industries, comme nous le voyons dans la donation de Gérard de Vaudémont. Ce seigneur, par le conseil et l'intermédiaire de l'évêque de Toul, abandonna à Morimond l'exploitation des mines de fer de Chaligny, avec la permission de prendre du bois dans ses forêts pour faire du charbon, de construire des fourneaux et des forges, et à l'entour des logements pour

(1) Henriq., Menol. cist., mens. sept.

(2) Hipp. Renaud, Solidarité, etc., in-8°, passim;

A. Tamisier, Coupd'œil sur la théorie des fonct., in-8°; L. Blanc, Organisation du trav., in-8o.

des frères forgerons; y ajoutant le droit de pêcher dans la Moselle durant huit jours, au moment du chapitre général, de tirer une charretée de foin de son breuil, un tonneau de vin de sa vigne et une mesure de blé de sa corvée (1).

Dès l'an 1172, le comte de Bourgogne avait déjà cédé aux moines une partie des salines et des forges de Scey-sur-Saône, où ils entretenaient des chaudières et des fourneaux avec un grand nombre de frères salinateurs et de frères forgerons.

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La position du monastère, au milieu des bois, entre des ravins profonds, en offrant aux malfaiteurs une grande facilité pour se glisser furtivement dans l'enceinte claustrale, surtout lorsque les moines étaient réunis au chapitre ou au chœur, devint bientôt une nouvelle source d'inquiétude et de trouble, surtout dans des temps de guerre et de brigandage. Il arriva même que des troupes de hardis voleurs se précipitèrent avec la rapidité de l'éclair du fond des forêts des Vosges, envahirent le cloître, en brisèrent les portes, en pillèrent les objets les plus précieux, et portèrent leurs mains sacriléges sur la personne des religieux.

La papauté était alors, comme depuis, le refuge et l'appui des opprimés et des malheureux; Morimond cria vers elle, implorant sa protection; aussitôt Innocent III manda à tous les archevêques, évêques, doyens et curés de la province de faire rechercher les voleurs dans leurs diocèses et leurs paroisses, de les punir selon les canons, de les forcer à restituer, et, à leur défaut, ceux qui seraient en possession des objets volés, menaçant les récalcitrants de l'indignation des bienheureux Pierre et Paul et des foudres de l'Eglise (2).

Vetholo était alors abbé de Morimond; son administration, quoique très-courte, fut encore signalée par un autre événe

(1) Archiv. de la Haute-Marne, voir les liasses concernant les pays cités. (2) Id., liasses 1, 2, 3.

ment mémorable pour son abbaye; nous voulons parler de la réunion de l'ordre d'Avis à l'ordre de Calatrava. Du temps d'Alphonse I, roi de Portugal, quelques gentilshommes, s'étant concertés pour combattre les Maures, avaient fait entre eux une société en forme de religion militaire, d'après les principes de l'institut de Cîteaux, et avaient pris leur nom de la forteresse d'Avis, bâtie par eux et ainsi appelée parce qu'au moment où ils en traçaient l'enceinte ils avaient vu un aigle s'élever et planer dans les airs. Cette pieuse association était à son origine si pauvre et si faible, que les chevaliers de Calatrava, pour en empêcher la ruine, lui donnèrent les héritages qui leur appartenaient en Portugal, à condition qu'elle leur serait soumise et recevrait la visite de leur grand-maître. Morimond ne fut pas longtemps sans étendre sur elle sa juridiction (1).

Comme un fleuve, à mesure qu'il s'éloigne de sa source, voit à chaque pas son cours se grossir du tribut que lui apportent les rivières et les ruisseaux, ainsi Morimond voyait chaque année sa famille monastique et militaire grandir, se dilater, non-seulement par la fécondité de ses propres enfants, mais encore par l'affluent des générations étrangères dans son sein.

Cette prodigieuse fécondité et cette prospérité toujours croissante devaient exciter la jalousie des autres maisons. L'abbaye de l'Echelle-Dieu, en particulier, ne cessait de réclamer contre les mesures prises par le chapitre au sujet de l'affiliation de Calatrava à Morimond, comme contraire aux usages de Cîteaux. Pour faire cesser ces plaintes, deux évêques, ceux de Langres et de Châlons, et les principaux abbés de l'ordre écrivirent à Innocent Ill. « Nous venons, disaient-ils, exposer « à votre paternité ce qui a été statué touchant les frères de

(1) Series magistrorum A visiensium, Annal. cist., t. 2, pp. 46-49 ad calcem. - Voiraux Pièces justificatives les preuves de la juridiction exercée par Morimond sur cet ordre militaire.

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