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(diocèse d'Autun), qui fut la lumière et l'ornement de son vaste diocèse (1).

Guy commençait à s'affaisser sous le poids des années, et, quoiqu'il eût conservé tout le courage et toute l'ardeur de sa jeunesse, il aspirait à jouir de ce repos imaginaire que l'homme se promet au déclin de sa vie, comme le matelot dans la tourmente rêve le port où il ne doit jamais aborder: à peine rentré dans sa vallée solitaire, il fut forcé d'en sortir encore une fois.

Nous avons vu précédemment que l'abbé Pierre, accablé d'ans et d'infirmités, avait délégué temporairement l'abbé de Saint-Pierre-de-Gumiel à l'effet de nommer un prieur et de faire la visite de Calatrava; en conséquence, l'abbaye de Gumiel avait exercé sans réclamation toute la juridiction de l'abbaye mère; mais, soit qu'elle cherchât à se prévaloir de la prescription, soit qu'elle crût à la perpétuité de la délégation, elle avait fini par se substituer entièrement à la place de Morimond. Son abbé, ayant été cité par-devant le chapitre de Cîteaux, en l'an 1235, avait été débouté de ses prétentions; mais, de retour dans son monastère, il n'en avait pas moins agi comnie précédemment et pourvu au prieuré va

cant.

A cette nouvelle, Guy, jaloux de conserver à son abbaye une de ses plus glorieuses prérogatives, retrouva sa première vigueur, revola en Espagne, annula cette nomination, et installa un moine de Morimond qu'il avait amené avec lui. Le roi de Castille en appela au pape; l'abbé Guy en appela à Cîteaux : cette cause ayant été longuement discutée dans l'assemblée capitulaire de 1236, Ferdinand fut condamné, et la sentence de

(1) Lib. 2 Epist. Gregor., in Regest. Vatican. Ex Annal. cist., t. 4, p. 365; - Gall. Christ., t. 4, p. 683.

condamnation ratifiée par le souverain-pontife Grégoire IX, qui, au mois de février 1237, confirma le jugement définitif du tribunal cistercien, et proclama l'ordre de Calatrava dépendant de Morimond et non de l'abbaye de Gumiel, déclarée elle-même dépendante de Morimond (1).

Guy, en récompense sans doute des services qu'il avait rendus à l'Eglise, reçut du même pape une faveur bien précieuse pour sa communauté, et qui couronna dignement sa longue et brillante administration.

Les frères convers ne suffisant plus aux travaux agricoles, mécaniques et artistiques qu'exigeaient et l'abbaye elle-même et les vastes propriétés qui en relevaient, les moines se virent forcés d'appeler à leur secours un grand nombre d'ouvriers et de cultivateurs laïques, qui, étant souvent très-éloignés de leurs paroisses, ne pouvaient en fréquenter les offices, ni, au besoin, recourir à leurs pasteurs. Grégoire IX accorda à l'abbé et au couvent la permission de fonder une chapelle paroissiale et de désigner un religieux pour y dire la messe, entendre les confessions, imposer des pénitences, administrer la communion et tous les sacrements (2).

Les moines avaient compris qu'il fallait aux ouvriers nonseulement la nourriture du corps, mais celle de l'ame. Ils les conviaient à jouir du repos que le Seigneur leur a fait; ils les réunissaient aux pieds des autels; on leur distribuait, comme à la grande famille de Dieu, les agapes de la fraternité et la chair du Sauveur fait homme, pauvre et travailleur : on ouvrait le ciel sur leurs têtes, on leur montrait les trônes d'hon

(1) Cette affaire est rapportée très au long dans les Annales de Citeaux, pp. 522, 528, 529, t. 4.- On retrouvera aux pages indiquées : 1o les plaintes adressées au pape par le roi Ferdinand-le-Saint; 2o la lettre de Grégoire IX à l'abbé Guy; 3o la décision du Chapitre de Citeaux, 1236; 4o la sentence définitive de Grégoire IX.

(2) Archiv. de la Haute-Marne, liasses i et 2;-Tabul. Morim., ad ann. 1238.

neur réservés au labeur patient et vertueux, et les couronnes de gloire destinées à briller pendant toute l'éternité sur leurs fronts noircis par la poussière et la fumée des ateliers. Qui leur parlait du haut de la chaire sacrée? Un cénobite, indigent volontaire, qui n'avait pas même la propriété de son froc de laine, dont les pieds étaient nus, dont les mains dures et calleuses maniaient tous les jours la bêche et la hache. Les moines ajoutaient donc ainsi le pain spirituel au pain matériel, et, comme le divin Sauveur, ils nourrissaient l'homme tout entier; totum cibabant hominem.

Nous avons eu le bonheur d'être témoin de semblables merveilles dans quelques maisons de trappistes et de chartreux, en France; mais rien n'égale ce que nous avons vu sous les voûtes souterraines de Saint-Sulpice, à Paris. Des milliers d'ouvriers, chaque dimanche, étaient silencieux, immobiles, sous le charme de la parole d'un bon religieux ; ils s'agenouillaient ensemble, ils priaient ensemble, ils se prosternaient ensemble à l'élévation de la sainte hostie; en se relevant, ils entonnaient ensemble le cantique: O roi des cieux! vous nous rendez tous heureux.... Je l'avoue, je n'ai jamais pu entendre ces voix réunies d'hommes, de femmes, d'enfants et de vieillards, sans que mes entrailles ne s'en soient émues, n'en aient tressailli, et que de douces larmes n'aient coulé de mes yeux. Nous adjurons ceux qui, comme nous, en quittant ces lieux, sont allés au Conservatoire des arts et métiers assister à ces cours d'économie domestique, politique et sociale faits surtout pour la classe ouvrière, de nous dire si, à l'aspect de ces longues salles désertes, de ces figures tristes et mornes, de ces doctes professeurs s'agitant dans le vide, ils n'ont pas reconnu qu'il fallait plus que de la science pour arriver sûrement à l'ame et au cœur du peuple!

La chapelle dont nous avons parlé plus haut, bâtie hors du

mur d'enceinte, près de la porterie, à gauche en entrant, fut dédiée à sainte Ursule, en souvenir et en l'honneur des reliques de cette sainte martyre et de ses compagnes, qui avaient été envoyées de Cologne à Morimond, comme nous allons le raconter.

A la fin du IV siècle, la Grande-Bretagne était ravagée par les barbares. Ursule, fille d'un roi chrétien du pays, et une multitude considérable d'autres vierges, pour échapper au déshonneur et à la mort, s'embarquèrent sur un frêle esquif et furent jetées par la tempête sur les côtes de la Germanie. Par un de ces accidents providentiels qui déconcertent et écrasent notre débile raison, elles tombèrent au pouvoir des Huns, qui infestaient alors le littoral de la Manche. Traînées à la suite de ces hordes féroces jusque sous les murs de Cologne, elles y furent massacrées vers l'an 384 (1). En 1156, on découvrit dans cette ville plusieurs tombeaux, avec des inscriptions portant que c'étaient ceux de sainte Ursule et de ses compagnes, que l'on y honorait depuis plusieurs siècles.

Gerlac, abbé de Duits, envoya les principales et les plus remarquables de ces inscriptions à Elisabeth, religieuse de Schonauge, qui était en grande réputation de sainteté. Elle se prononça pour l'authenticité, et raconta fort au long l'histoire de sainte Ursule, d'après une révélation qu'elle en avait eue. Alors on se mit de toutes parts avec ardeur à la recherche de tous ces ossements sacrés, que l'on savait être enfouis aux environs de Cologne, et la Providence se plût à révéler par divers prodiges les lieux qui recélaient ces précieux dépôts.

Tantôt, racontent les pieux chroniqueurs du temps, on voyait dans l'obscurité de la nuit une procession de vierges habillées de blanc, resplendissantes de lumière et de gloire, venir

(1) Godescard, Vies des saints, 21 oct.;— Fleury, Hist. eccl., t. 14, ann. 1156.

du côté de la mer, marcher longtemps, s'arrêter pour indiquer l'endroit de leur sépulture, et disparaître; tantôt c'était l'ombre d'une des compagnes d'Ursule qui se levait de terre, apparaissait dans le silence du cloître à une religieuse en oraison, et lui montrait du doigt son tombeau ignoré (1).

Deux de ces corps saints, ceux qui nous intéressent plus spécialement, furent découverts d'une manière encore plus extraordinaire, et abandonnés aux religieux d'Aldemberg (2).

Cette abbaye ayant été enrichie dans la suite d'un grand nombre d'autres reliques de la même espèce, elle en envoya à beaucoup de monastères dans toutes les parties de l'Europe; fille de Morimond, elle ne pouvait trouver une occasion plus favorable de témoigner à sa mère son amour et sa reconnaissance : aussi deux de ses religieux, avec deux frères convers, furent chargés d'y transporter les corps dont nous venons de parler.

La marche du convoi à travers l'Alsace et la pieuse Lorraine fut un triomphe continuel. Les laboureurs quittaient leurs champs, les barons descendaient de leurs manoirs pour jeter des fleurs sur la cendre des vierges; les châtelaines attachaient à la châsse leurs bagues, leurs colliers, leurs bracelets et leurs plus précieux bijoux. Les moines sortirent de leur cloître et allèrent au-devant jusqu'au-delà de Damblain, faisant retentir les bois et les vallons de leur psalmodie.

Ils étaient précédés des évêques de Besançon, de Toul, de Langres et de Châlons, en habits pontificaux, avec un nombreux clergé. La procession était fermée par une foule immense de fidèles brûlant du désir de contempler ces saintes reliques et bénissant le ciel d'avoir choisi la terre du Bassigny

(1) Annal. cist., pp. 217 et 218, t. 3.

(2) Annal. cist., t. 2, ad ann. 1163, p. 379. tives.

Voyez aux Pièces justifica

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