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stalles, alternant d'un ton grave et pieux des psaumes et des hymnes; au fond la foule des pèlerins agenouillés; à droite et à gauche une multitude de chevaliers et de barons dont l'armure étincelle dans l'ombre; des nuages d'encens qui s'élèvent du sanctuaire et embaument toute l'enceinte, les vitraux vibrant sous les échos ondulatoires de tant de voix diverses, le son des cloches qui ébranle les airs et semble emporter cette grande et sublime prière vers les cieux; ajoutez, pour compléter le tableau, l'ombre de la mort se levant de toutes ces pierres sepulcrales armoriées, à demi-usées sous les pas des religieux, du sein de ces cinquante cénotaphes sur lesquels gîsent étendus les hauts et puissants seigneurs de Choiseul, d'Aigremont, de Bourbonne, de Vaudémont, de Beaufremont, de Grancey, de Tréchâteau, revêtus, jusque dans les bras du trépas, de leurs plus beaux habits de fête du sayon, de la pelisse fourrée, de la toque ornée de plumes, de l'écu, du collier, du bracelet, etc.; ayant les mains jointes comme pour implorer la pitié des moines et le suffrage de leurs oraisons (1); voilà à quelle époque et à quel point de vue il faut se placer pour juger convenablement le basilique de Morimond.

La pensée génératrice qui présida à la construction de ce temple dut bientôt irradier autour d'elle, inspirer de nombreux artistes et faire surgir une foule d'édifices formés à son image. Le bien et le beau en tous genres venaient alors de Cîteaux; ce fut de là que partit également l'impulsion architecturale. Les églises cisterciennes furent élevées la plupart de 1150 à 1250, et, si l'on considère que la France seule en comptait plus de trois cents et le reste de l'Europe au moins douze cents, on aura une idée de l'influence immense que cet ordre a exercée sur les destinées de l'architecture.

(1) Jongel., Notit. abb. cist., pp. 33 et 34. Série des tombeaux de Morimond.

Voir, aux Pièces justificatives, la

Pour ne parler que de l'abbaye qui nous occupe spécialement, nous dirons qu'en visitant les grandes et belles églises de l'ouest de la Lorraine, du nord de la Franche-Comté et de l'est de la Champagne, nous y avons retrouvé l'idée première, le dessin, la disposition des lignes principales et l'ensemble de l'église de Morimond, sauf les modifications apportées par les tendances architectoniques de l'époque d'érection de chacune d'elles. C'est partout le parallelogramme de l'oratoire cistercien: deux bas-côtés ne se prolongeant point autour du chœur, deux chapelles correspondant aux deux nefs latérales et ne dépassant point le parallelogramme des bas-côtés; le chœur placé presque partout en avant du sanctuaire, comme celui des moines; la phase transitionnelle de la période byzantine combinée avec la phase, tantôt sévère, tantôt ornée, du style ogival; telles sont les églises de Colombey-lès-Choiseul, de Brevannes, de Meuvy, de Damblain, de Vrécourt, de Neufchâteau, de Jussey, de Bourbonne, de La Marche, etc., toutes filles de Morimond, toutes reproduisant les traits principaux de leur mère, toutes se ressemblant dans la variété même de leur physionomie, comme il convient à des sœurs (1).

Le 7 septembre 1253, la nouvelle église fut consacrée par Guy de Rochefort, évêque de Langres, assisté d'Arnaud, ancien évêque de Sinigaglia, en présence d'un grand nombre d'abbés et de seigneurs. Mais, comme la solennité de l'anniversaire de la dédicace n'aurait pu se faire convenablement, à cause de la foule des religieux étrangers qui encombraient le monastère à cette époque, concordant avec celle de la tenue du chapitre général, on la remit, de l'autorité des prélats, à la fête de saint Protais et de saint Hyacinthe, martyrs.

Ce temple, malgré sa simplicité, sera plus digne de la ma

(1) Il serait possible que quelques-unes de ces églises eussent été reconstruites ou restaurées depuis sur d'autres plans.

jesté et de la gloire de Dieu que le pauvre oratoire : il y aura une plus haute vertu inspiratrice dans ces arceaux et ces colonnes s'élançant vers les cieux; les cénobites, désormais comme échappés d'une prison étouffante, respireront librement dans cette vaste enceinte et pourront y déployer à leur aise toute la puissance de leur voix et toute l'harmonie de leurs pieux cantiques.

Pendant que les moines de Morimond étaient occupés de la construction de leur église, les chevaliers, électrisés par les éloges de Grégoire IX et les faveurs du légat Jean d'Abbeville, évêque de Sabine, qui était venu prêcher la croisade en Espagne, enlevèrent successivement, avec le roi de Castille Ferdinand III, les places de Quesada, de Baëza, d'Andujar et le fort de Martos, qu'ils eurent en récompense; le roi de Baëza fut réduit à une telle extrémité, qu'il se rendit à discrétion avec sa ville. La château de Pliego tomba en leur pouvoir avec ses trésors, ainsi que celui de Laza, autour duquel les Maures laissèrent quatorze mille morts. Ayant surpris l'ennemi entre Séville et Carmona, ils lui tuèrent vingt-mille hommes, puis, réunis aux troupes commandées par l'infant Alphonse; ils contribuèrent puissamment au gain de la fameuse bataille de Xérès de la Frontera, qui fraya aux chrétiens le chemin de Cordoue; enfin, la veille de saint Pierre 1236, cette ville, la capitale et le foyer de l'islamisme en Espagne, ouvrit ses portes à Ferdinand de Castille, qui fit arborer la croix au sommet du minaret le plus élevé, d'où les muezims appelaient les musulmans à la prière, et consacra à Dieu et à la sainte Vierge la principale mosquée (1).

Grégoire IX, plein d'admiration pour les travaux et le pieux dévouement de la milice de Calatrava, adressa au grand-maî

(1) Andrad. Rad., Hist. Calatr., cc. 16 et 17; Series magist. milit. Calatr., apud Manriq., t. 3, ad calcem.

tre une lettre de félicitations, dans laquelle il appelle l'ordre l'espoir d'Israël, le boulevard et le salut de l'arche sainte, et le prie d'envoyer une colonie de ses chevaliers dans la Pouille, non loin de la mer, dans une place qu'il mettait à sa disposition. Il écrivit ensuite au patriarche d'Antioche de chercher en orient un lieu favorable pour y fonder un établissement de ce genre, espérant que là, comme en Espagne, le mahométisme serait bientôt terrassé par l'épée et par la prière de Cîteaux; mais la mort de ce pontife, qui arriva en 1241, ne lui laissa pas le temps de réaliser un aussi magnifique projet (1).

Ce fut à cette brillante époque et au moment où l'ordre semblait avoir atteint le plus haut degré de sa gloire, que l'abbé Conon se mit en route pour le visiter. On lui fit en Espagne une réception vraiment royale: partout les chevaliers allaient à sa rencontre, descendaient de cheval pour s'incliner sous sa bénédiction, lui offrir les clefs des places qu'ils tenaient et recevoir ses ordres. Il approuva la fondation qu'ils avaient faite du monastère de Saint-Félix, au diocèse de Burgos, où des religieuses devaient être uniquement occupées à prier pour eux et à combattre avec eux par leurs soupirs et leurs orai

sons.

(1) Annal. cist., t. 4, p. 200.

CHAPITRE XXII.

Du chapitre général de Cîteaux; du rôle qu'y jouaient les abbés de Morimond; de l'influence politique et sociale de cette institution; suite de l'histoire et des conquêtes de Calatrava.

D'après la Charte de charité, lorsque l'abbaye de Cîteaux devenait vacante, c'était à l'abbé de Morimond et aux trois autres premiers pères à veiller sur elle et à en prendre soin; c'est pourquoi ils devaient être informés aussitôt de la vacance, et, dans le délai de quinze jours, procéder conjointement avec les religieux à la nomination du nouvel abbé (1). Or, après la promotion de Guy II au cardinalat, le prieur de Cîteaux n'avait pas cru devoir convoquer les quatre premiers abbés, et Jacques II avait été élu sans leur participation; ils réclamèrent donc contre l'élection, la déclarant illégale et frappée de nullité; de là une scission malheureuse, qui dura plusieurs années.

Nicolas Ir, abbé de Morimond, s'unit à Philippe, abbé de Clairvaux, à l'effet d'adresser au pape Urbain IV des plaintes communes. Le Souverain-Pontife leur envoya des lettres d'exemption de la juridiction de Cîteaux et d'assistance au chapitre général, tant que dureraient les débats. L'année suivante, Jacques ayant cédé à l'orage et s'étant démis volontairement, Ni

(1) Stat. 19, Ann. cist., t. 1, p. 111: Et congregati in nomine Domini, abbates et monachi cisterciensem eligant abbatem.

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