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ordonnancé par le chapitre; c'était une maxime de droit consacrée par un grand nombre de statuts, qu'un fardeau dont chacun doit porter sa part doit être approuvé d'un chacun : onus quod omnes tangit ab omnibus debet approbari.

Ce forum monacal avait sa tribune, ses débats parlementaires, ses séances tantôt calmes et tantôt orageuses, mais toujours dignes et graves. C'était une école de haute convenance et de respect mutuel. Lorsqu'un orateur abusait évidemment de la liberté de discussion, le président ne se contentait pas de le rappeler à l'ordre, mais l'assemblée réprimait sévèrement ses fougueuses saillies, et, au besoin, brisait son orgueil sous les pénitences les plus humiliantes. Ainsi, en 1199, l'abbé de Morimond, ayant parlé avec trop peu de mesure, fut condamné à rester quarante jours hors de sa stalle dans son monastère, à être trois jours à Cîteaux en coulpe légère, et, l'un d'eux, au pain et à l'eau (1).

C'était non-seulement une assemblée délibérante, mais une cour judiciaire, un tribunal suprême appelé à prononcer sur tous les délits publics et toutes les affaires contentieuses de l'ordre, ayant ses huissiers, ses greffiers, ses juges d'instruction, ses procureurs et ses avocats-généraux. Le coupable s'accusait lui-même, et, dans le cas où il n'en avait pas le courage et la volonté, un autre abbé l'interpellait. En 1205, l'abbé de Pontigny fut interpellé par Guy de Morimond pour avoir permis à la reine de France et à quelques dames de sa suite l'entrée de son monastère, contrairement aux statuts; il aurait été déposé à l'instant même, si l'archevêque de Reims et plusieurs autres prélats n'eussent intercédé pour lui.

(1) Abbas Morimundi, qui nimis indisciplinate locutus est in capitulo (1199), quadraginta diebus extra stallum suum sit in Morimundo; tribus diebus sit in levi culpa apud Cistercium, uno eorum in pane et aqua. - De la manière de se comporter au chap. génér., in-4o, pp. 45 et 46.

On distinguait deux sortes d'audience, celle du chapitre et celle du définitoire; tout ce qui avait été jugé à l'une ou à l'autre, l'était irrévocablement. On pouvait cependant en appeler au pape dans certains cas prévus par les règlements.

Voyez comme la justice avait été grandement et libéralement organisée par les moines! Chaque abbé était juge dans son monastère ; ce tribunal local était dominé par une sorte de tribunal de première instance, celui du premier père dans toute sa filiation; puis venaient la cour royale et les assises du chapitre. Ce n'était pas tout: l'innocence condamnée pouvait encore crier vers Rome et se sauver dans la barque de Pierre, ce dernier et suprême asile de la justice ici-bas (1).

La langue latine était la seule en usage dans le chapitre ; voilà pourquoi l'élection d'un abbé illettré était annulée par le fait même.

Ce tribunal s'était acquis une si grande réputation d'équité, de haute impartialité, de discernement, qu'il fut bientôt reconnu de l'Europe, et que les princes venaient de toutes les parties du monde lui confier leurs différends, s'en rapportant à ses décisions. Plusieurs d'entre eux avaient pourvu à ses dépenses Richard, roi d'Angleterre, avait donné, pour couvrir les frais des trois premiers jours, les revenus de l'église de Schardebourg; Alexandre II, roi d'Écosse, vingt livres sterling pour le quatrième jour; Bela IV, roi de Hongrie, s'était chargé du cinquième et dernier jour.

L'époque de la tenue du chapitre varia comme l'esprit cistercien d'annuel qu'il était, il devint bisannuel, puis quadriennal; il y eut même des lacunes de quinze, vingt et quarante ans, durant les périodes les plus orageuses de notre histoire. Sous Louis XIV, Alexandre VII ordonna qu'il serait trien

(1) Innoc. VIII, Bull. Etsi, ann. 1489.

nal et que, dans l'intervalle des sessions, les quatre premiers pères se réuniraient en petit chapitre pour préparer les matières (1).

De quelque côté que l'on envisage cette magnifique institution, on ne peut qu'être frappé d'admiration au point de vue monastique, rien n'était plus propre à réunir les divers membres de la corporation cistercienne épars sur un espace immense, y conserver la vie primitive et à la maintenir dans l'uniformité des mêmes observances.

à

Au point de vue social, rien n'a contribué plus puissamment à relier les différentes nations et à les faire progresser vers l'unité, que ces assemblées périodiques formées d'une grande multitude d'abbés venant de toutes les parties de la terre, parlant pendant cinq jours la même langue, comme une vaste famille de frères, emportant les mêmes idées sur tous les points du globe.

Sous le rapport politique, nous retrouvons dans le chapitre, à l'aurore du XIIe siècle, la vérité du gouvernement représentatif dont les peuples européens n'ont encore pu saisir que l'ombre, après tant d'années d'efforts et d'expériences désastreuses, à travers tant de sang et de ruines, et cette république fédérative rêvée par Franklin et Washington au sein des forêts du Nouveau-Monde, réalisée, en 1119, par onze pauvres moines dans une misérable cabane au milieu d'un marais de la Bourgogne.

Au point de vue national, cette assemblée, qui fut pendant si longtemps l'arbitre des empereurs et des rois, le conseil de l'épiscopat, l'appui et l'asile de la papauté dans les tempêtes du

- De

(1) Traité hist. du chap. génér. de l'ordre de Citeaux, pp. 353 et suiv.; la manière de se comporter au chap. génér., pp. 45 et 46;- Hélyot, Hist. des ordr. relig., t. 5, pp. 365, 366 et 367; In Nomastic. cist., lib. ant. definit., P. 484.

moyen âge; qui parlait et voyait les peuples s'incliner sous le souffle de ses lèvres ; cette assemblée se tenait dans une province et sous la protection de la France, sous la présidence et la haute direction de cinq abbés français, parmi lesquels était celui de Morimond. On conçoit que par elle notre patrie devait avoir une influence prépondérante sur les destinées de l'Europe, et donner le branle au monde par les douze cents monastères étrangers qui relevaient de Cîteaux.

Clément IV, ayant organisé le définitoire et réglé plusieurs autres points de discipline, s'occupa des chevaliers de Calatrava. Les clercs attachés à cette milice lui avaient député l'un d'eux pour se plaindre de ce qu'un simple laïque recevait leurs vœux, au préjudice du prieur venu de Morimond, que les chevaliers repoussaient à cause de sa profession et de son habit. Le pape, par un bref daté de Pérouse, au mois d'août 1265, renvoya toute cette affaire au chapitre général de Cîteaux, comme au tribunal auquel elle ressortissait naturellement. Les abbés capitulaires rendirent une sentence constatant irrévocablement le droit de Morimond.

Cette décision ne pacifia pas entièrement les esprits : Jean I", ayant été élu abbé en 1272, se hâta de se rendre en Espagne, et alla droit à Calatrava, où Jean Gondisalvi faisait les fonctions de grand-maître. La milice était parvenue au plus haut point de sa puissance et de sa gloire; les destinées de la péninsule semblaient être dans ses mains. Une grave dissension s'étant élevée entre Alphonse-le-Sage d'un côté, et son frère Philippe avec la plupart des grands du royaume de l'autre, ce dernier parti allait se réunir aux Maures, et l'Espagne touchait à sa ruine, si Gondisalvi ne se fût interposé et n'eût, par son habileté et son ascendant, réussi à calmer les esprits (1).

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L'abbé Jean, à son arrivée, convoqua l'ordre entier, et formula une série de statuts empreints de la plus haute sagesse et groupés sous douze titres commençant par ces mots : Nous Jean, par la grâce de Dieu abbé de Morimond, visitant personnellement la vénérable congrégation des ordre et milice de Calatrava, notre illustre fille, ordonnons de notre autorité et au nom de l'obéissance, à tous les membres desdits ordre et milice, d'observer, chacun en ce qui le concerne, les présents règlements, etc. (1).

Les chevaliers reçurent ces lois avec respect, comme émanant du chef suprême de l'ordre, et jurèrent d'y obéir; aussi le Dieu des batailles, en récompense, continua-t-il de bénir leurs armes et de guider leur drapeau dans les sentiers de la victoire. Ils marchèrent, avec Sanche-le-Hardi, jusqu'au centre de l'islamisme, à la pointe la plus méridionale de l'Espagne, assiégèrent et prirent Tarifa; et, comme le roi voulait raser cette ville, le boulevard des infidèles sur le détroit de Gibraltar, ils se chargèrent de la défendre et d'y tenir bonne garnison, afin de couper les communications des ennemis avec la mer et l'Afrique, et de les cerner de toutes parts sur le continent.

Après la mort du roi Sanche, la tutelle de Ferdinand IV fut confiée au grand-maître D. Roderic Pérez, qui, ayant réuni ses forces à celles de son royal pupille, alla fièrement dresser sa tente sous les murs de Grenade. Attaquée près d'Aznallos, l'armée catholique remporta la victoire ; mais ce ne fut qu'après un combat aussi sanglant qu'opiniâtre. La milice cistercienne fut décimée, et le grand-maître, criblé de coups, mourut de ses blessures à Arcos (2).

(1) Series abbat. Morim., apud Ang. Manriq., t. 1, ad fin.

(2) Rades Andrad., Hist. Calatr., c. 18.

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