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CHAPITRE XXIII.

Influence de Morimond sur l'affranchissement communal et paroissial du Bassigny; de la commune et du communisme; propriétés de l'abbaye à la fin du XIIIe siècle.

Pendant que les chevaliers de Calatrava continuaient leurs conquêtes au-delà des Pyrénées, sous la haute influence et la bannière de Morimond, les religieux de ce monastère, en France, quoiqu'avec des armes différentes, n'en combattaient pas moins fructueusement pour la cause sacrée du catholicisme et de la civilisation.

La féodalité avait substitué le servage à l'esclavage. C'était déjà un premier pas vers la liberté; mais le joug trop dur des seigneurs pesait aux villes, dont les citoyens se réunirent pour s'opposer aux vexations continuelles de leurs capricieux tyrans; ils mesurèrent les murailles et les tours des manoirs, en élevèrent d'aussi hautes autour de leurs demeures pour se garantir du pillage, et se firent soldats pour les défendre. De cette solidarité d'intérêts entre les habitants d'une même ville naquit la Commune. Le clergé fut le premier à donner le signal : les évêques de Laon, de Rheims et d'Amiens, qui étaient en même temps seigneurs temporels, accordèrent des chartes d'affranchissement. Ce mouvement fut secondé puissamment par les moines de Morimond dans la province du Bassigny. Le cloî

tre et l'église étaient, à cette époque, les deux seuls asiles de la liberté; c'est de là qu'elle descendit dans le peuple.

L'institution des communes fut l'œuvre exclusive du catholicisme. D'un côté, les hordes errantes du nord, se nourrissant de sang et de pillage, n'étaient stables que dans leur incessant vagabondage; de l'autre, les païens avaient des groupes plus ou moins considérables de maisons formant des bourgades et des villes; mais, avec le polythéisme, l'esclavage et les castes, le foyer domestique égoïste et isolé, la propriété despotique et sans entrailles, la commune était impossible. Que fit le catholicisme? Il fonda entre ces deux écueils, ce Charybde et ce Scylla des sociétés primitives, des agrégations de familles s'aimant en Jésus-Christ, destinées à vivre sur un terrain limité et sous des lois garantissant à chacun les fruits de son travail, son champ et sa liberté. L'Eglise en fut le noyau dans chaque localité, en faisant converger toutes les individualités vers elle comme vers leur centre, par une communauté de foi, de charité, d'espérance, de sacrifice et de culte. L'unité religieuse enfanta l'unité paroissiale, et celle-ci l'unité communale, d'où découla progressivement toute la civilisation européenne.

Avant Luther, la plupart des communes étaient déjà organisées en Europe; tout ce qui a été fait ou tenté depuis en dehors de l'influence catholique, les communautés des frères Moraves (1), des Quakers, des Tunkers, des Shakers (2), des Baptistes, des Memnonites, des Doukhobortses schismatiques, etc. (3), ont été envahies d'un côté ou d'un autre, tôt ou tard, par l'anarchie et la promiscuité. Des essais tout récents, pour rem

(1) Mosheim, Hist. ecclés., t. 6, p. 23, note; in-8°, 1785.

Pilar. et Moravet, Morav. Hist.

(2) H. Tucke, The principl. of Quak.; in-8°, 1814.

(3) Strahl, Beitrag zer Russisch Kirch geschicte; Arn. Meshov., Hist. Anabap.; in-4o, col. 1617; — Herm.-Schyn., Hist. Memn., Belg.; Amst., 1723.

placer la commune chrétienne par l'association plus ou moins communiste, ne semblent pas destinés à un meilleur sort. La plupart de nos réformateurs semblent s'accorder à entraîner l'humanité vers le double abîme du paganisme et de la barbarie, d'où le catholicisme l'a tirée. Lisez leurs théories de commune sociétaire : ils nous ramènent à l'ère de la sauvagerie ; c'est le genre de vie du Hun, de l'Alain, de l'Hérule dans leurs chariots d'écorces, où les petits ne connaissaient ni leurs pères ni leurs mères, où le mâle rencontrait fortuitement la femelle; c'est la même soif de destruction, le même instinct de la ruine. Nous y retrouvons tout ce que le sensualisme païen a eu jamais de plus raffiné, de plus lubrique, de plus immonde ; un mélange monstrueux des deux extrêmes de la vie sociale du genre humain : le Caraïbe à la table de Vitellius, le Cimbre sur le lit de roses du Sybarite, Attila et Sardanapale!

Les moines, ainsi que nous l'avons vu, jouissaient de tous les droits seigneuriaux dans un grand nombre de localités ; leurs archives et celles des départements limitrophes nous apprennent qu'ils y organisèrent de bonne heure une administration civile sur le modèle de l'administration conventuelle si sagement libérale. Le procureur, le maïeur, le syndic représentèrent l'abbé, et les anciens, appelés à donner leurs avis dans les délibérations, les vieillards du monastère qui aidaient l'abbé de leurs conseils. Il y eut, comme dans le couvent, fusion de tous les éléments de sociabilité et équilibre entre eux : l'égoïsme individuel eut pour correctif l'amour du prochain; la famille, par le dogme de la fraternité universelle, s'étendit à la mesure de l'humanité; la liberté avait pour contrepoids l'autorité ; audessus du droit de propriété, on plaça le devoir de charité : le village refléta le cloître.

Ce fut d'après ce plan et dans cet esprit que furent érigées, dans le cours du treizième siècle, beaucoup de communes du

Bassigny, de la Lorraine, de la Franche-Comté, dont on pourrait retrouver les chartes d'affranchissement (1).

Il y avait, dans le sein de l'Eglise même, un autre désordre auquel il était plus urgent encore d'apporter un remède.

Durant la confusion effroyable qui suivit la déroute de la dynastie carlovingienne, les barons s'étaient emparés des bénéfices ecclésiastiques, avec le droit non-seulement de présentation, mais très-souvent encore avec celui de collation au moment de la vacance. Le Bassigny n'avait pas été préservé de ce fléau, qui en avait amené un autre à sa suite, celui de la simonie; beaucoup de cures n'y étaient plus considérées que comme les annexes des fiefs. Les moines, dont la mission était de guérir les plaies les plus invétérées et les plus dangereuses de l'ordre religieux et civil, s'efforcèrent d'arracher l'étole pastorale des mains profanes de la féodalité, pour la remettre dans celles de l'épiscopat. Sebille de Clémont, dame de SaintJulien, leur céda son droit de patronage sur l'église de lluillécourt; Simon de Clémont, son oncle, fit la même chose pour l'église de Perrusse; Bertrand, chevalier de Damblain, pour celle de Germainvillers; Jean de Choiseul, pour celle de Chézeaux, etc.; mais bientôt, presque partout, Morimond se dessaisit en faveur des évêques, qui, de cette façon, purent reconquérir la juridiction dont ils avaient été injustement spoliés dans des temps malheureux.

Ainsi, pendant que les moines soutenaient d'une main le berceau des communes naissantes, ils brisaient de l'autre le joug féodal sous lequel les églises paroissiales avaient été si longtemps captives, pour les rattacher à l'épiscopat; ils maniaient les deux glaives avec autant d'adresse que de bonheur:

(1) Nous citerons: Levécourt, Huillécourt, Lavilleneuve, Maisoncelle, sières, Tolaincourt, Germainvillers, Villers, Blondefontaine, etc.

Ro

ils faisaient marcher de front les deux sociétés dans les voies

de la liberté.

Rien ne fait mieux connaître les ressources dont ils pouvaient disposer et leur influence immense que les donations dont ils continuaient d'être l'objet soit par échange ou par achat, soit par don pur et simple, soit à charge de prières d'obits, de commémoraisons funèbres, etc., ils se trouvèrent à la fin du XIIIe siècle décimateurs en tout ou en partie, dans plus de cinquante villages de la Champagne, de la Lorraine et du comté de la Bourgogne.

L'origine de la dîme est religieuse et sacerdotale; tous les peuples ont reconnu le souverain domaine de Dieu sur la terre et ses produits, et tous lui ont témoigné leur reconnaissance en lui consacrant, par le sacrifice ou dans la personne de ses prêtres, quelque chose de leurs récoltes. Nous avons retrouvé l'usage de l'offrande décimale non-seulement chez les Hébreux, mais chez les Grecs et les Romains, chez les sauvages de l'Amérique et de l'Océanie (1).

Primitivement, il n'y eut point d'autres dîmes dans le christianisme que les dîmes ecclésiastiques; mais, sous les faibles successeurs de Charlemagne, aux époques les plus orageuses de notre histoire, les seigneurs laïques se les étant inféodées, à titre de défenseurs des églises, elles devinrent héréditaires comme le fief; les enfants des barons se les partagèrent, et il arriva en peu de temps qu'il y eut dans chaque village un nombre aussi considérable de décimateurs que de cultivateurs (2); d'où naquit une épouvantable confusion, une foule

(1) Voir l'ouvrage Ms. de dom Bastide, De Decimis et earum origine apud Judæos, Gentiles et Christianos, ou simplement : Voyage d'Anacharsis, t. 2, p. 417; Du Boulay, Trésor des antiq. rom., in-fol., p. 351; Mœurs des Sauv. amér., t. 1, in-4o.

Laffit.,

(2) Brevannes avait plus de quinze décimateurs; il en était de même de la plupart des villages du Bassigny au XIIe siècle.

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