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née de hautes forêts d'où s'échappaient plusieurs torrents, et sans aucune route frayée qui pût la rendre accessible aux hommes (1). Partout le silence du désert et de la mort. Ils descendirent dans ce précipice comme dans un grand tombeau, et, lorsqu'ils furent au milieu, près des cabanes qui les attendaient, le monde semblait avoir disparu; ils regardèrent, et ne virent plus que le ciel sur leurs têtes!

CHAPITRE IV.

Position géographiqne et ethnographique de Morimond; habitation et genre de vie des religieux.

Les socialistes ne savent où placer le grand centre pivotal, l'omni-archat de leur association : les cabétiens tournent leurs regards vers l'Amérique, les fouriéristes vers Constantinople (2), d'autres vers l'Afrique ; ils ne s'entendent pas mieux sur la marche à suivre que sur le point de départ. Là où saint Robert s'arrêta dans la forêt bourguignonne, là fut le foyer de l'immense association cistercienne; ce fut de là qu'elle s'étendit sur toute la terre, ce fut là qu'elle revint de toute la terre, comme le sang qui part du cœur et retourne sans cesse au

cœur.

(1) In loco uliginoso, palustrique ac hominibus antea inhabitato et vix accesso. Ann. cist., p. 77, t. 1, c. 1.

(2) Four., Théor. des quatre mouvements, p. 75.

Saint Etienne avait groupé ses quatre premières filles à l'entour de leur mère, de manière qu'elles fussent aux quatre points cardinaux : La Ferté au midi, Pontigny à l'ouest, Clairvaux au nord et Morimond à l'est. De chacun de ces quatre avant-postes partiront successivement de nouvelles milices dans les contrées les plus reculées de l'Europe, pour y livrer les plus rudes combats à la barbarie, aux passions anti-religieuses et anti-sociales, et remporter jusque sur les éléments des victoires prodigieuses dont nous recueillons aujourd'hui les fruits avec une superbe ingratitude.

Notre nouveau monastère avait ceci de particulier, qu'il se trouvait bâti au point de jonction de plusieurs provinces (in meditullio provinciarum) (1), sur les confins de trois grandes tribus gallo-romaines, les Séquanais, les Toulois (Leuci) et les Lingons; sur l'extrême frontière des trois évêchés de Toul, de Besançon et de Langres (2); entre le duché de Lorraine et les comtés de Champagne et de Bourgogne; au point que les bâtiments étaient assis partie sur l'un et partie sur l'autre, et que les moines mangeaient en Lorraine et dormaient en Champagne; entre deux races, la race celtique et la race teutonique, pour les relier l'une à l'autre. Avant tout, Morimond était le poste avancé de l'ordre vers les forêts de la Germanie; aussi saint Etienne lui donna-t-il pour premier abbé un noble allemand, afin qu'il pût propager avec plus de facilité l'institut naissant au-delà du Rhin.

Les socialistes fouriéristes demandent, pour faire leurs essais, des édifices aussi vastes et aussi magnifiques que le PalaisRoyal de Paris, qu'ils donnent comme le type architectural du phalanstère (3). Or, les associations cénobitiques, il faut l'a

(1) Annal. cist., t. 1, p. 81.

(2) Claud. Rob., in sua Gall. Christ. - Près du mur d'enceinte se trouvait une borne appelée vulgairement « la borne des trois évêques. >>> (3) Vict. Considérant, Exposition abrégée, p. 26.

vouer, débutaient beaucoup plus modestement. Rien de plus misérable que les premières constructions de Morimond; c'était un groupe de cabanes construites avec des branches d'arbres et couvertes de joncs ou de roseaux, semblables à ces huttes de charbonniers et de bûcherons que nous rencontrons encore au milieu des mêmes forêts (1). Le chapitre et le cloître ne se distinguaient que par une plus vaste enceinte et par une plus grande nudité. Le dortoir était placé sous un toit sans plafond, ouvert à tous les courants d'air, et où apparaissaient des poutres que la main du charpentier n'avait point équarries. Le réfectoire était encore plus pauvre et plus simple que la nourriture qu'on y prenait. Les religieux n'avaient d'autre vaisselle que de la terre cuite, sur laquelle on servait la plupart des mets. La pauvreté se montrait jusque sur les autels : dans les ornements sacerdotaux, qui n'étaient que de lin ou de futaine; dans les croix de bois peint, dans les chandeliers et les encensoirs en fer; dans les stalles, faites avec des troncs d'arbres grossièremeut creusés; en un mot dans tout l'oratoire, qui n'avait pas d'autre ornement que la majesté du Dieu qui l'habitait (2).

La même modestie, nous dirons plus, la même misère paraissait dans les habits des religieux, qui consistaient en une robe blanche serrée d'une ceinture de corde, avec un scapulaire et une cuculle, le tout de grosse laine velue (3). L'habil

(1) Deus in domibus eorum cognoscebatur, cum simplicitate et humilitate ædificiorum, simplicitatem et humilitatem inhabitantium pauperum Christi vallis muta loqueretur. - Ann. cist., t. 1, p. 80.

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(2) Dalgairns, Vie de saint Etienne, trad., p. 208.

(3) Cette couleur blanche était un emblême de leur candeur et de leur innocence. Habes tu idoneum defensorem albedinis tuæ simplicem oculum conscientiæ tuæ, écrit Pierre-le-Vénérable à S. Bernard, ad majorem et novum monasticæ religionis fervorem, hoc hactenus inusitato vestium candore excitari arte laudabili voluisti.· L. 4, Epist. 17.

Une pieuse légende raconte que la sainte Vierge étant apparue aux moines réunis à l'oratoire, le vêtement noir des cénobites réfléchit l'éclat de la blan

lement des frères convers était de couleur tannée et brune, c'est-à-dire de la couleur de la terre qu'ils devaient creuser pour y trouver leur nourriture et leur pénitence.

Pendant que les clunistes dégénérés se drapaient dans les plis de leurs manteaux doublés de fourrures du plus grand prix, et sortaient de leurs cellules parés comme des époux qui vont à l'autel de l'hyménée (1), les enfants de Cîteaux, remontant le torrent, couvraient leurs corps de leurs vêtements grossiers, comme on enveloppe un cadavre de son linceul. Les lits, à Cluny, se composaient de plusieurs coussins trèsdoux, de tapis marquetés, de couvertures précieuses, avec des draperies flottantes (2). La couche des moines de Morimond consistait en une paillasse et un drap de laine; ils s'y jetaient avec leurs habits, comme le soldat sur la paille des bivouacs (3). Leur nourriture était si chétive et si maigre, qu'on s'étonnait qu'elle pût soutenir leur existence. Leur principal repas, même les jours de fête, consistait en un pain grossier, fait avec de la farine dont le son n'était pas extrait. Lorsque le froment manquait et qu'on était réduit à user de seigle ou d'orge, on pouvait séparer le son au moyen d'un tamis ou bluteau (4). Le pain blanc était réservé aux malades et aux étrangers. Le poids du pain quotidien, mis dans la balance

cheur virginale de la reine du ciel et devint blanc à l'instant même. Cette métamorphose est mentionnée dans le Ménologe cistercien: Quinta die Augusti, anno 1101, B. Virgo descendit in Cistercio et mutavit habitum de nigro in album.

(1) Ornare se, velut sponsi procedentes de thalamo, summo studio contendebant. Statut. clun., 16.

(2) Ann. cist., p. 28, t. 1: De materia vestium, de pelliceis, de stramentis lectorum, etc.

(3) Habent autem lectos de stramine... in quibus, cum tunica et cuculla vestiti jacent. - Jacob. de Vitri., Hist. Occident., c. 25.

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Panis non

(4) Ne in cœnobiis fiat panis candidus, sed grossus, ubi autem frumentum defuerit, cum sacco liceat fieri... - Instit. cap. gen., 1134, c. 14. tam furfureus quam terreus videbatur.

pour chaque moine, n'excédait pas une livre; on en gardait le tiers pour le souper, quand il devait avoir lieu, car les mercredis et vendredis, hors le temps pascal, pendant tout l'Avent et le Carême, on ne faisait qu'un seul repas, et après none seulement (1). Ils se désaltéraient avec l'eau du torrent ou avec de la bière légère. Les pois, les fèves, les légumes bouillis, les racines à l'huile étaient leur nourriture ordinaire; il n'était pas permis d'en relever la fadeur nauséabonde par aucune sorte d'épices. Les œufs, le lait, le fromage, le poisson de loin en loin, formaient leurs mets exquis et extraordinaires ; encore s'en privaient-ils souvent par mortification (2). Il était rigoureusement défendu de manger de la viande ou de la graisse dans le monastère et ses dépendances, sauf le cas d'une maladie grave.

Cette vie, continuée de nos jours par les trappistes, était une grande expiation, et il peut être utile de la signaler, dans un siècle que l'on a appelé avec tant d'impudence « le siècle de la réhabilitation de la chair, » et à une époque où l'on proclame l'innocence et l'irresponsabilité absolues de l'homme (3). Un philosophe bien connu disait aux athées de son temps: « Pour vous écraser, il ne me faudrait que l'aile d'un papillon. » Pour confondre le socialisme, nous ne demandons. qu'une goutte de larmes. Il y a plus de trois mille ans que Job s'écriait, sous le ciel de l'Idumée : L'homme naît de la femme; il vit de temps, il est rempli de beaucoup de misères. Or, peu depuis, le genre humain n'a cessé de progresser: il a mesuré le globe, il a dompté les éléments et les a enchaînés à son service; le Christ est venu, il a pris la douleur, il l'a transfor

(1) Inst. cap. gen. Quibus diebus vescimur tantum quadragesimali cibo ;

c. 25.

(2) Jac. de Vitriaco, Hist. Occid., c. 15.

(3) Voir Louis Reybaud, Essai sur les réform.contemp., conclusions générales, p. 311-330.

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