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de Gasparin, en France; John Sinclair, en Angleterre ; Ronconi, en Italie; Cotta, Burgsdoff, Kasthofer, en Suisse, en Allemagne et en Belgique, nous ont donné une idée des progrès de la science agricole dans les temps modernes; eh bien! après avoir admiré les ouvrages de ces savants auteurs, nous avons étudié les travaux des premiers cisterciens, nous avons visité ceux qu'exécutent encore aujourd'hui leurs successeurs, les trappistes, et nous avons été forcé de reconnaître que là où les moines ont planté leurs bêches, là sont encore les colonnes d'Hercule de l'agriculture.

La viticulture ne fut pas généralement approuvée au commencement, dans l'ordre de Cîteaux; elle souleva, surtout à Clairvaux, la plus vive opposition. Quelques-uns des religieux voulaient proscrire le vin comme une liqueur trop sensuelle, indigne de la vie austère des hommes du désert, qui devaient se contenter de l'eau de la fontaine ou du torrent. « Aux mon« dains, disaient-ils, la couronne de roses et la coupe pétil<< lante de Bacchus ; aux moines le diadême d'épines, la coupe « des larmes et le calice amer de Jésus-Christ! >>

D'autres n'étaient pas du même avis, opposant que les moines cisterciens, assujettis aux plus pénibles labeurs de l'agriculture, ne pourraient se passer d'un peu de vin; qu'il en fallait pour le saint sacrifice et dans beaucoup de maladies; s; qu'en supposant même qu'il fût entièrement prohibé dans le cloître, on serait libre de l'échanger au dehors contre d'autres provisions telle était l'opinion de frère Christophe, chargé de la haute direction des travaux agricoles, et qui voulut essayer une plantation sur le coteau au sud-ouest de l'abbaye.

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Le pieux Gérard, frère de saint Bernard, alors prieur, s'é– tant efforcé, mais en vain, de l'en empêcher, s'approcha de lui au moment où il enfonçait le fer de sa bêche en terre, et lui cria d'une voix menaçante : « Mon frère, plantez et culti

<< vez votre vigne, puisque vous le voulez; vous ne goûterez jamais de son fruit! »> (1). Et la vigne fut frappée à l'instant même d'une stérilité que rien ne put vaincre, car, quoiqu'elle réunît tous les avantages du sol, le plus propice, de l'exposition la plus heureuse, de la culture la plus assidue et la plus intelligente, qu'elle se couvrît, au printemps, de feuilles et de pampres, elle ne donnait pas en automne un seul raisin.

Le frère planteur étant mort, les moines, désolés de l'inutilité de leurs travaux, vinrent trouver saint Bernard et le prièrent de lever la malédiction : le saint abbé se fit apporter de l'eau dans un bassin, la bénit et ordonna d'en asperger toute la vigne ; cette eau, comme une rosée céleste, lui rendit sa fécondité. Ayant été ravagée quelque temps après par la grêle, il n'y resta que deux raisins entiers; saint Bernard se les fit apporter, en donna un, près de la porte du monastère, à une femme enceinte qui parut le désirer, et pressura l'autre avec sa main dans une cuve que l'on avait préparée dans l'espoir d'une abondante récolte; il en sortit une si grande quantité de vin, que la cuve en fut remplie jusqu'aux bords, et déversa de sa plénitude tout à l'entour (2).

Quoi qu'il en soit, à dater de ce moment, la viticulture, consacrée par un aussi grand miracle, prit une extension considérable; les moines de Clairvaux s'y adonnèrent avec une ardeur qui se propagea dans tout l'ordre, et, par imitation, dans toutes les provinces voisines des monastères (3). Ainsi la vigne de Clairvaux s'est dilatée d'une mer à l'autre, et quelques gouttes d'eau bénite tombées de la main de saint Bernard se sont changées en des fleuves de vin, où viendront s'abreuver des générations sans nombre, dans toute la suite des siècles.

(1) Tu, frater, vineam planta coleque, nunquam tamen de illa gustaturus. (2) Annal. cist., t. 1, p. 150.

(3) Les vignobles de Bar-sur-Aube, près de Clairvaux, sont très-renommés.

Tel est, croyons-nous, le sens historique de la pieuse légende que nous venons de citer (1).

L'abbaye de Morimond ne resta pas en arrière. Il lui fallait un terrain convenable: le coteau des Gouttes, par la nature du sol, par son exposition, par les abris des forêts et des montagnes qui le protègent contre les vents du nord-ouest et de l'ouest, fixa son attention; elle y envoya des frères planteurs, qui le sillonnèrent de tranchées et le disposèrent avec tant d'art à cette nouvelle production, qu'après quelques années il fut couvert dans toute son étendue d'un vignoble qui, pour la qualité du plan, la maturité du raisin, la générosité du vin, n'eut rien à envier aux climats les plus privilégiés de la Champagne.

Les moines essayèrent de transporter l'élément viticole dans les territoires environnants, à l'ouest; mais cette culture ne s'y est pas maintenue pour les raisons que nous exposons plus bas. Ils furent plus heureux à l'est, du côté de Serqueux et de Bourbonne-les-Bains.

Nos cénobites, au commencement, ne vivaient que de fruits et de légumes : leur régime était entièrement végétal; c'est pourquoi ils durent s'attacher de bonne heure à l'horticulture, en faire une étude spéciale.

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Les jardins potagers de Morimond jouissaient d'une grande réputation, tant pour la beauté que pour la variété des pro duits, et passaient pour les plus riches en ce genre de toute la contrée. Le verger n'était pas moins remarquable : les frères jardiniers et les religieux s'en occupaient spécialement, et, d'après le souvenir des vieillards, on ne voyait nulle part des arbres et des arbustes aussi nombreux, aussi bien soignés et aussi divers. Ils n'étaient point mélangés, mais classés par es

(1) Tout le monde a entendu parler de la Cuve de S. Bernard.

pèces, au fond ou sur les flancs du vallon, au nord ou au midi, selon leur origine et leur nature. Or, quand une colonie sortait de Morimond, elle emportait avec elle des semences et des plants de toutes sortes pour les jardins du nouveau monastère; de ce monastère ils passaient dans un autre, et ainsi de suite jusqu'aux extrémités de l'Europe. D'ailleurs, lorsque les religieux, dans leurs pérégrinations perpétuelles, découvraient une espèce nouvelle, ils s'empressaient de la porter dans leur couvent; du jardin du couvent elle entrait dans celui du villageois voisin, et les climats échangaient leurs productions par l'intermédiaire des moines, que nous pouvons appeler les courtiers agricoles du moyen âge (1).

Ainsi, les religieux qui partirent pour Ald-Camp, près de Cologne, emportèrent le pommier de reinette grise, si commun dans le Bassigny; d'Ald-Camp d'autres cénobites le transplantèrent à Walkenrode en Thuringe, de là à Porta en Saxe, de Porta à Lubens en Silésie, d'où il se propagea dans toute la Pologne (2). Par la même voie, un grand nombre d'arbres de la Germanie arrivèrent à Morimond, et de Morimond dans la Champagne et la Lorraine.

On se ressouvient encore combien les soldats alliés, au commencement de ce siècle, furent émerveillés de retrouver dans nos vergers la plupart des arbres de leur patrie; mais les hommes sont si oublieux, que, vingt-cinq ans à peine après la destruction de notre abbaye, Allemands et Français avaient perdu la mémoire de la mission agricole et civilisatrice de Cîteaux. Les uns et les autres ignoraient que leurs pères s'étaient em

(1) C'est ce qui se fait aujourd'hui chez les trappistes. Près de chaque maison vous remarquerez de grands vergers très-bien entretenus, de belles pépinières peuplées de toutes sortes d'arbres fruitiers et forestiers, avec des dépôts de graines potagères et fourragères que l'on transporte au loin. - Notice sur la trappe de Meilleraie, in-18, p. 49.

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- On les appelle aussi pommes de Porta.

brassés dans un vallon du Bassigny et s'étaient donné réciproquement, en signe d'alliance et de fraternité, les plantes et les fruits de leurs pays.

Notre abbaye était située dans cette grande zone forestière qui s'étend des Ardennes sur tout le nord-est de la France. Les forêts alors étaient autant de masses confuses, aquatiques et continues, au point qu'un écureuil aurait pu parcourir le sudouest de la Lorraine sans mettre pied à terre, en sautant de branche en branche. Les populations s'éloignaient de ces tristes lieux d'où s'exhalaient des miasmes pestilentiels, comme les sauvages fuient loin des savanes et des pampas de l'Amérique méridionale.

Il est certain qu'une contrée couverte de trop vastes forêts, relativement à son étendue, sera marécageuse, les eaux n'ayant pas un libre cours, et conséquemment insalubre; d'une température froide, entretenue par trop d'ombrage et l'éternelle humidité du sol; frappée de stérilité, la terre ne devenant productive qu'autant que rien n'entrave la combinaison des éléments entre eux et avec elle. Tel était l'état du Bassigny sur une partie considérable de sa surface, à l'arrivée des moines; ce qui nous explique ces longues séries d'années calamiteuses qui désolèrent ce pays aux X et XI° siècles, et pourquoi les deux versants des Vosges restèrent si longtemps déserts (1).

Les moines entreprirent de creuser des canaux dans les basfonds les plus humides, de dégager de larges espaces pour ouvrir un libre cours aux vents, de tracer des tranchées d'aménagement, des allées de décoration et de promenade, enfin des routes d'exploitation et de communication qui existent encore. Ils se mirent à défricher avec non moins d'ardeur, se faisant aider, soit par des mercenaires dont ils payaient chaque

(1) Voir aux Pièces justificatives.

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