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CHAPITRE XXVI.

Schisme à Calatrava; extension de la filiation de Morimond en Allemagne; son influence sur l'état religieux, agricole et social des races germaine et slave.

La province de Champagne, déjà considérable dès la fin du IX siècle, s'était agrandie successivemeut soit par les conquêtes, soit par les alliances de ses comtes; mais Thibaut VI, fils posthume de Thibaut V et de Blanche de Navarre, surnommé le Troubadour à cause de ses goûts poétiques et chansonniers, l'éleva, vers le milieu du XIII° siècle, au plus haut point de grandeur et de gloire. Elle comprenait alors les comtés de Blois et de Chartres (1), ceux de Meaux et de Troyes, une partie de la Brie et du Sénonois, le Langrois, le Rhetelois, le Rhémois, la principauté de Sedan, etc. Elle était bornée à l'est par la Lorraine; à l'ouest par la Picardie, l'Ile-de-France et le Gatinois; au midi par la Bourgogne, au nord par le Luxembourg et le Hainaut. Thibaut, désirant reculer les limites de ses états au levant, jusqu'à la Saône et à la Meuse, convoitait depuis longtemps les plaines fécondes du Bassigny, qui formaient encore à cette époque un comté étendu et puissant, dont les sires de Clémont portaient le titre.

La plupart des seigneurs de la contrée se liguèrent pour résister à l'envahissement, et ils réussirent pendant quelques an

(1) Par droit de suzeraineté seulement.

nées; mais Sanche-le-Fort, roi de Navarre et oncle maternel de Thibaut, étant mort sans postérité, son neveu fut couronné roi à sa place, le deuxième dimanche après Pâques 1234. La puissance de ce dernier se trouvant ainsi énormément accrue, la lutte ne fut plus possible. Thibaut réunit à son domaine, par force, par ruse, par menace et par argent, les châtellenies les plus importantes des bords de la Meuse. Les places de Choiseul, de Dammartin, de Montigny, etc., se rendirent les unes après les autres. Clémont tint quelques mois et finit par succomber; Regnier de Nogent, avec son fils, se retrancha dans son château bâti sur un mont escarpé, environné de fortifications, protégé par de triples fossés du côté du plateau de la montagne, et osa résister à toute une armée; mais il fut forcé de poser les armes, les armes, et le comté du Bassigny enseveli sous les ruines de sa forteresse démantelée. Le vainqueur, avec les débris de sa conquête, organisa un vaste bailliage, ayant Chaumont pour siége, et dont relevèrent jusqu'à 1,800 fiefs (1).

Cette commotion profonde, produite par un changement aussi radical dans le régime de la contrée, n'ébranla point l'abbaye de Morimond. Les liens les plus doux et les plus anciens la rattachaient depuis sa fondation à la maison de Champagne Mathilde de Carinthie, bisaïeule de Thibaut, était la parente de Henri, l'un des quinze compagnons d'Othon; cette princesse, avec son pieux époux, avait comblé nos religieux de bienfaits; Blanche, mère de Thibaut, leur avait accordé également plusieurs priviléges; enfin, Thibaut lui-même était roi de Navarre, et n'ignorait pas tout ce que ses nouveaux sujets leur devaient d'amour et de reconnaissance. Aussi s'empressa-t-il de les prendre sous sa protection et de leur continuer les faveurs de ses ancêtres.

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(1) Math., Hist. des év. de Langres, p. 105; Pithou, Mém. généal. des comt. héréd. de Champ., in-8°; Baugier, Mém. hist. de la Champ., t. 1.

Ils profitèrent de ce temps de calme et de paix, et poursuivirent leurs travaux agricoles avec plus d'ardeur. Les frères qu'ils avaient envoyés sur divers points de la France allaient à leur tour attaquer les déserts, en procession, avec la bêche et la croix pour bannières, chantant les louanges de Dieu dans la joie de leurs cœurs. Le sol se métamorphosait sous leurs pas comme par enchantement; la nature la plus agreste et la plus sauvage semblait aussitôt refléter les couleurs de leurs ames et s'embellir des charmes de leur piété. S'ils arrivaient dans une forêt opaque, elle s'éclairait, se transformait en une blanche et radieuse forêt (Sauve-Cane, sylva cana) (1), le Bosquet (2), Sylvaine (3), Saint-Benoît-dans-les-Bois (4), Haute-Seille (5), Sauvelade (6), Aulne (7), Gimond (8); si c'était un marais

(1) Locus sylvestris, quem Raimundus de Baucio dedit monachis Morim. Tabul. Morim., ad ann. 1147.

(2) Boschetum, sylva diæces. Claromontis, non longe ab oppido S.-Restituti, ubi nunc sunt vicus, et ecclesia, et plures villæ. Gall. Christ., t. 1, p. 378. (3) Voir le Tableau de la filiation de Morimond. (4) Sur les confins de l'évèché de Verdun. L'historien lorrain Wassebourg (1. 4, fol. ccc) le place dans le diocèse de Metz. Gissé, chanoine de Metz, dit que cette abbaye fut fondée en 1131, dans la forêt de Richarménil, qui lui fut abandonnée. Etienne, évêque de Metz, lui fit de grands biens. — D. Calmet, Hist. ecclés. et civ. de Lorr., t. 2, p. 110.

(5) Comté de Blamont, sur la petite rivière de Vesouse, dans un lieu couvert de hautes forèts, d'où lui vient son nom (alta sylva). Les comtes de Salm reçurent les moines, dit l'historien, comme des anges de Dieu, et leur laissèrent ces forêts avec les ruines de l'ancien village de Tanconville. Les comtes de Bar leur donnèrent autant de terres à défricher que deux charrues en pourraient labourer, avec le droit de pâturage et d'affouage dans les bois de Rambervillers et de Nossoncourt. D. Calm., Hist. de Lorr., t. 2, pp. 82 et 446, et

Gall. Christ.. 13, p. 1372.

(6) Gasto, vice-comes Bearnensis, cum uxore ejus Talesa, et filio ejus Centullo, cum in Hispaniam intrare vellet contra Saracenos, in sylva quæ dicitur Fayet dedit locum monachis inhabitandum. — Diplom. Gast. Bearn., in Hist. Bearn., 1. 5, c. 21.

(7) Non longe ab oppido Mureti, in valle nemorosa, duabus leucis ab urbe Tolosa versus meridiem. Plures nobiles eo loci vota fecerunt, inter quos comites Tolosæ et Fuxi. Gall. Christ., t. 13, p. 124.

(8) Fundatores donaverunt monachis de Berdonis centum concadas de terra in nemore quod dicitur de Plana-Sylva, ad ædificandum monasterium; etc. Gall. Christ, t. 1, p. 1025.

infect, impraticable, ils l'appelaient des noms gracieux et parfumés de Beaupré, de Rosières (1), de Verger - Fleuri (2), de Floran (3). S'ils trouvaient un ruisseau boueux sans cours et sans issue, l'eau en devenait plus limpide, plus pure dès qu'ils y avaient trempé leurs lèvres virginales : ils le nomaient AigueBelle, Belle-Aigue, Claire - Fontaine, Bonnefont (4), Bolbonne (5). Les solitudes les plus tristes, les plus obscures s'illuminaient à leur aspect et devenaient bientôt des lieux de délices Bellevaux, Lieu-Dieu (6), Lieu-Croissant ou les Trois-Rois (7), Clairlieu (8), Celle-de-Lumière (9), Portde-Gloire (10); un fourré de ronces et d'épines au-delà de Bour

(1) A côté du grand autel de ce monastère, il y avait une inscription portant Gauthier, seigneur de Salins et de Bracon, fondateur de cette église, Goailles et Mont-Ste-Marie, et toutes trois les fonda en un jour. Le matin, il fonda céans; à mi-jour, Goailles, et le soir Mont-Ste-Marie. - Baudouin Moreaux, abbé de Rosières, mort à Rome en 1622, a composé une Histoire de Citeaux et plusieurs autres ouvr.— Ann. cist., t. 1, p. 247; — Archiv. de Vesoul. (2) Baum garten blühend, ce qui signifie en français, jardin d'arbres fleuris. (3) Voir au Tableau de filiation.

(4) Primi monachi de Bonofonte domum ex virgultis et sarmentis construxerunt, et vixerunt diu radicibus herbarum et foliis arborum; eorum tuguria vix ad staturam hominis in altitudine porrigebantur. Rogerius, episcop. Convenarum, hortatus est vicinos milites et alios nobiles ut pauperibus Christi conferrent necessaria, sive ad ædificandum, sive ad vescendum; primus ab bas erat Basinus bassigniacensis. Gall. Christ., t. 1, p. 1023. (5) In comitatu Fuxensi, sic dicta a nemore Bolbonnensi. — Tabul. Morim., ad ann. 1150.

(6) Lieu-Dieu, même que Theuley (Theo locus).

(7) Lieu-Croissant, fondé dans le comté de Bourgogne, dans la terre de Vaugenans. Cette maison prit plus tard le nom d'abbaye des Trois - Rois, parce que, dit-on, les reliques des trois rois Mages, lors de leur translation de Milan à Cologne, y restèrent longtemps déposées. (Communiqué par M. l'Archiviste du Doubs.)

(8) Clairlieu, à une heure de marche de Nancy, dans un vallon qui s'appelait auparavant Ame-Leu on Amer-Lieu (amarus locus), « vallon sauvage, dit Pierre, évêque de Toul, et chargé d'épines, dans les bois de Heys, rendu propre à la demeure et nourriture des hommes; en sorte qu'en cet endroit où l'on n'entendait auparavant que les cris et les hurlements des bêtes féroces, on a commencé à ouïr retentir les louanges de Dieu et le chant des anges incarnés. »> D. Calmet, Hist ecclés. et civ. de Lorr., t. 2, p. 11.

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(9) Celle-de-Lumière, même que Lucelle (Lucis cella).

(10) Arnaldus de Bolhas dedit monachis locum in nemore suo Portaglonii et

bonne-les-Bains, près de La Ferté-sur-Amance, Vaux-la-Douce (1); des ravins abandonnés, des coupe-gorges bordés de rochers, repaires de voleurs et d'assassins: La Charité (2), Val-Honnête (3), Vaux-Sainte (4), La Grâce-Dieu (5), le Port-du-Salut, Bénissons-Dieu (benedictio Dei) (6); le désert, selon l'expression d'Isaïe, se réjouit, il tressaille d'allégresse et s'épanouit comme la fleur du lis (7).

in aquis mortuis. Dominus de Castelar et uxor sua dederunt quoque nemus · Gall. christ., t. 1, p. 1024.

suum.

(1) « C'est aujourd'hui un vallon très-agréable, entouré de prés, de bois, de vignes et de terres très-fertiles, fécondées par les travaux des moines. Ceux-ci, réunissant les fontaines qui descendaient des côteaux voisins, en formèrent un ruisseau assez considérable, qui donne de l'eau en abondance par différents canaux, tant dans les jardins que dans la maison; les jardins potagers et fruitiers y sont dessinés avec art: de petites loges, placées de distance en distance, entremêlées de cabinets de verdure avec de petits parterres ornés de fleurs, forment un coup-d'œil charmant pour le voyageur; les bosquets ensuite et les promenades en bois de haute futaie achèvent le paysage. Le dortoir des religieux était orné de 113 tableaux travaillés avec art, représentant autant de personnages illustres de l'ordre de Citeaux. L'église était très-remarquable par sa belle architecture. » — Mangin, Hist. civ. et ecclés. du diocèse de Langres, t. 3, p. 434.

(2) La Charité fut donnée vers l'an 1112 par ses fondateurs, que nous avons cités, aux chanoines de St-Paul de Besançon. En 1133, les chanoines la cédèrent à l'abbé de Bellevaux, qui y envoya des religieux. En 1148, le pape Eugène III bénit son église, sépulture de plusieurs comtes et comtesses de Bourgogne, entre autres d'Etienne II et de sa fille Béatrix de Marnay. · Voir Ann. de la Haute-Saône, par Louis Suchaux, art. Neuvelle-lès-La-Charité).

(3) Voy. Feniers, Tableau de la filiation, année 1169.

(4) Abbaye fondée au diocèse d'Apt, dans des terres incultes, entre Carmuols, Vachères et Oppede. Bouch., Hist. de Prov., t. 2, p. 169, et Gall.

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(5) La Grâce-Dieu, à quelques lieues de Besançon, dans un vallon sauvage fertilisé par la sueur des moines sortis primitivement de La Charité sous la conduite de l'abbé Gauthier. Outre ses fondateurs, les seigneurs de Vercel, d'Orsans et de Montfaucon furent ses bienfaiteurs. Cette maison est occupée par des trappistes depuis 1844.

(6) Voir au Tableau de la filiation, ann. 1184.

(7) Que d'autres noms symboliques et poétiques ne pourrions-nous pas ajouter à ceux-là, sans sortir de l'ordre de Citeaux en France? L'Amour-Dieu (Soissons), Belle-Branche (Mans), Belle-Perche (Montauban); Beauvoir, Bellus-Visus, (Bourges); Bonrepos (Quimper ), Bonport (Evreux), Cherlieu (Besançon), Chercamp (Amiens), La Colombe (Limoges), La Cour-Dieu (Orléans), l'Au

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