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pouvoir représentatif dans la réunion annuelle de tous les abbés, mandataires chargés de défendre les droits et les intérêts de leur communauté respective et de l'ordre en général; le pouvoir législatif dans le chapitre; le pouvoir exécutif dans les abbés des quatre premières maisons-mères pour toute leur filiation; enfin, la présidence de l'abbé de Citeaux dans les limites. posées par la charte, sous le contrôle du chapitre et des quatre premiers pères de Morimond, de La Ferté, de Clairvaux et de Pontigny, auxquels la plus grande part d'autorité semble avoir été dévolue, puisqu'ils avaient le droit de visiter Cîteaux, de veiller sur cette maison pendant la vacance du siége abbatial, de présider à l'élection, de recevoir le serment du nouvel élu, et, s'il avait le malheur de s'écarter des saintes règles avec sa communauté, de le déposer. Ce n'était que dans un chapitre général qu'ils pouvaient prendre cette dernière mesure, ou tout au moins dans une assemblée d'une partie notable des abbés de la filiation de Cîteaux. L'abbé détrôné se retirait dans un des quatre premiers monastères, où on le recevait comme simple frère, après qu'il avait satisfait selon la règle. Cette satisfaction consistait à rester un certain temps à la porte du couvent, à genoux, au milieu des mendiants, mangeant avec eux le pain de l'aumône, priant, pleurant, demandant miséricorde et pardon (1).

Voilà comme on punissait à Cîteaux l'abus de la puissance, et à quel prix, dans un siècle de despotisme social, l'Eglise sauvait la liberté et protégeait l'obéissance! Voilà les grands enseignements politiques qu'elle donnait au monde ! Voilà les institutions libérales dont quelques pauvres moines, réunis dans une cabane, au milieu des forêts, avaient déjà doté le genre humain, il y a plus de 700 ans ; institutions acceptées et

(1) Annal. cist., p. 109, t. 1;- Hélyot, Hist. des ordres religieux, t. 5, p. 351.

pratiquées par plusieurs milliers de monastères cisterciens, et autres, répandus sur la surface de l'Europe, sans qu'on ait eu besoin de verser une seule goutte de sang, de faire une seule ruine; sans soldats, sans impôts, avec le commentaire d'une ligne de l'Évangile !

La solution du problème de l'association universelle, d'après nos réformateurs modernes, consisterait à découvrir un procédé qui permettrait de combiner unitairement les facultés, les travaux et les intérêts d'un certain nombre d'hommes destinés à respirer le même air, à exploiter le même sol, à vivre de la même vie, à former, si l'on veut, l'élément alvéolaire de la société nouvelle. Ces éléments se grouperaient autour de centres secondaires; ceux-ci se réuniraient à leur tour en satellites autour de centres plus considérables, et ainsi de suite, jusqu'au foyer de l'association universelle (1). Or, il y a plus de sept siècles que ce plan magnifique d'association, rêvé et dénaturé par les utopistes fouriéristes, a été réalisé par les cénobites cisterciens. Chaque couvent ou noyau d'association se reliait à une maison-mère secondaire, chaque maison-mère avec sa filiation à une des quatre maisons principales, et celles-ci à Cîteaux, centre primitif auquel aboutissaient de tous les points de la terre tous les rayons de l'association.

Après saint Bernard, Arnould était un des membres les plus capables de l'assemblée capitulaire; nous ne pouvons douter qu'il n'ait pris une part très-active et très-honorable à ses travaux. Il en revint avec toute l'ardeur d'une foi retrempée à sa source, et continua l'œuvre de son infatigable prosélytisme. Bientôt son monastère, comme une ruche trop pleine, laissa partir, sous le souffle de la miséricorde divine, un essaim nou

(1) V. Considérant, Exposit. du syst. phal., p. 10; — A. Paget, Introd. à la science soc., in-18, pp. 50 et 60; — Ch. Pellarin, Four., sa vie, sa théor., etc., in-18, passim.

veau. La puissante maison de Clémont ne voulut pas céder à d'autres cette bénédiction du ciel : elle la réclama à titre de reconnaissance, et pour elle-même et pour le Bassigny, et céda dans une de ses forêts, au doyenné de Chaumont, un emplacement considérable, où douze religieux avec un abbé jetèrent les fondements d'une abbaye qu'ils appelèrent en latin Christa, par un barbarisme sublime (vulgairement La Chreste) (1). Elle se développa rapidement, au point de devenir mère à son tour après quelques années. Parmi ses filles nous citerons la maison des Feuillants, au diocèse de Rieux, à laquelle se rattache la fameuse réforme de Jean de la Barrière, dont nous parlerons plus tard.

La renommée eut bientôt publié au-delà du Rhin la ferveur et les progrès de Morimond sous l'abbé Arnould. Frédéric, archevêque de Cologne, en fut heureux et fier tout à la fois. Désirant s'aider dans son laborieux ministère des prières et des expiations de ces saints serviteurs de Dieu, et répandre de plus en plus dans son diocèse la bonne odeur de Jésus-Christ, il manda son frère pour se concerter avec lui sur la fondation d'un couvent cistercien: Arnould se rendit en toute hâte à Cologne. A peine y fut-il arrivé, qu'on le vit, avec l'archevêque, parcourir les campagnes environnantes, cherchant un lieu tranquille et solitaire pour le nouvel établissement. Ayant cru l'avoir trouvé sur les confins des duchés de Clèves et de Gueldre, non loin de Rheinbach, on commença aussitôt les tra

vaux.

Pendant ce temps, notre abbé, pour gagner des ames à Dieu et remplacer par des recrues les frères qui allaient quitter Morimond, se livra à la prédication. La semence évangélique,

(1) Annal. cist., ann. 1121, c. 5, n. 8, t. 1: Dans un lieu où l'on assure avoir été autrefois une maison de refuge pour les plèerins écossais, sur la rivière de Rognon. Mang., Hist. ecclés. du diocèse de Langres, t. 2, p. 274.

tombant dans une terre bien préparée, produisit les fruits les plus abondants. D'ailleurs, par une bénédiction particulière, le monde était alors tellement disposé, qu'il s'inclinait sous la parole du moine comme le roseau sous le souffle du vent; le froc, du haut de la chaire, semblable à un aimant sacré, attirait tout à lui. Le prédicateur se vit bientôt environné de l'élite des jeunes gentilshommes du pays, décidés à le suivre dans son vallon sauvage. Conrad, l'un d'eux, le plus distingué par sa naissance, entrait à peine dans l'adolescence; Arnould, dans l'ardeur de son zèle, quelques instants avant son départ, l'avait arraché, non sans scandale (non sine scandalo), des bras de son père et de sa mère, et baigné de leurs larmes; puis, se mettant à la tête de toute cette nouvelle milice, il était revenu dans le Bassigny comme en triomphe (1).

A son arrivée au monastère, il réunit tous les religieux au chapitre et fit introduire ses compagnons de voyage. Ces fiers enfants de la Germanie, humblement prosternés, demandèrent qu'il leur fût permis de tout quitter pour suivre Jésus-Christ. On les dépouilla aussitôt des orgueilleuses livrées du monde, qui furent remplacées par une pauvre robe de laine, et on les admit au noviciat. Arnould choisit ensuite douze moines, auxquels il donna pour abbé le vénérable Henri, religieux d'un âge avancé et d'une vertu éprouvée, et les envoya à son frère. Frédéric les reçut avec une bonté paternelle, et, comme le monastère n'était point encore achevé, il les logea, en attendant, dans son palais. Enfin, le jour de la prise de possession ayant été fixé, ils furent installés solennellement, en présence d'une grande foule de peuple, qui temoignait par son allégresse et ses chants pieux des sentiments de bienveillance et de sympathie qui l'animaient envers les cénobites.

(1) Ann. cist., t. 1, p. 137: Prædicationis, qua nimium præcellebat, rete in capturam laxans, non parvam cœpit rationabilium piscium multitudinem secum adducendorum ad Morimundum. - S. Bern., Epist. 6, ad Brun. Col.

Telle fut l'origine de l'abbaye Notre-Dame-d'Ald-Camp, en langue vulgaire Ald-Velt ou Campen. Comme elle était la première de l'ordre de Cîteaux au-delà du Rhin, la divine providence déposa dans son sein tant d'éléments de bien et une si grande force d'expansion, qu'elle projeta au loin de sa surabondance et se vit bientôt entourée de plus de soixante-dix filles ou petites-filles, qui, de tous les points de l'Allemagne, lui formaient comme une auréole de gloire qui se reflétait jusque sur Morimond (1).

CHAPITRE VI.

L'abbé Arnould quitte son monastère, il entraîne avec lui plusieurs religieux; lettres de saint Bernard à cette occasion; mort d'Arnould.

Nous avons vu, dans le court espace de dix ans, l'abbaye du Bassigny, bénie de Dieu, faire les plus rapides progrès. Représentée par une illustre fille au sein de la race germaine, elle semble devancer La Ferté et Pontigny, et devoir marcher désormais l'émule de Clairvaux. Ce que saint Bernard opérait par le prestige de son génie et l'ascendant de sa sainteté, Arnould s'efforçait, autant qu'il était en lui, de le reproduire par la ferveur de son zèle, une activité prodigieuse et un dévouement

(1) Gall. Christ., t. 3, p. 782; -Tabul. Morim., hoc anno 1122;

Gasp. Jong., Not. abbat. cist., etc., p. 250;
Aub. Miræus, Chron. cist., hoc anno 1122.

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