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Pierre, l'agronome qui fait produire à un terrain une gerbe de blé de plus, ou qui améliore un arbre fruitier, rend souvent aux hommes un plus grand service que le savant qui leur donne un livre (1).

CHAPITRE XXXVI.

De la nécessité de remonter aux sources pour juger impartialement la question monastique au XVIIIe siècle; cérémonie de l'élection d'un abbé cistercien; dom Aubertot, dom Languet et dom Guyot occupent successivement avec éclat le siége abbatial de Morimond.

Nous voici arrivés au XVIIIe siècle, en face de cette fausse philosophie dont les perfides écrits ont renversé tant d'institutions qui semblaient avoir jeté dans le sol de la France des racines éternelles. La voilà armée de toutes pièces, prête à entrer en campagne; par où va-t-elle commencer? Elle commencera, comme les Vaudois, les Hussites, les Luthériens et les Calvinistes, par l'avant-garde du catholicisme, c'est-à-dire par les moines. Elle entassera mensonges sur mensonges, calom

(1) Depuis qu'ils n'avaient presque plus de frères convers, ils se servaient des bras du premier désœuvré qui se présentait; souvent ils arrêtaient dans leur vagabondage ces misérables familles alsaciennes et lorraines qui traînent aujourd'hui leur dénûment, leurs vices et leur ignominie dans les rues de nos villages, sur toutes nos routes et à l'entour de nos villes; ils les occupaient à transporter des terres, dessécher des étangs, niveler des routes, combler des ravins, pétrir la tuile, etc. Les moines de Citeaux eux-mêmes employèrent un grand nombre de ces familles nomades à essarter les champs et à bâtir le village de Saint-Bernard, en 1608.

nies sur calomnies; les communautés les plus pures ne trouveront pas grâce devant elle; elle ira à la quête des plus petits scandales, et, après les avoir grossis et dénaturés, elle fera rejaillir l'opprobre d'un membre indigne sur tout le corps. Elle jettera sur le froc, pour l'avilir aux yeux du monde, les plus monstrueuses turpitudes; puis, après avoir débuté par la fange, elle finira sur l'échafaud, dans le sang!

Elle sera aidée, il est vrai, dans son œuvre de destruction par l'opulence d'un certain nombre d'abbayes, la vie dissipée et parfois dissolue de quelques cénobites, l'ennui du cloître au sein d'une société où bouillonnaient toutes les passions les plus anarchiques. Elle trouvera aussi un puissant auxiliaire dans le pouvoir civil, qui, à force de tyrannie et de vexations, a dégradé l'état monastique et façonné les religieux à manœuvrer sous ses ordres comme une troupe de valets.

La grande question du monachisme a été traitée par les sophistes et les économistes, comme toutes les autres, avec la plus déplorable légèreté. Audin a intitulé un chapitre de son Histoire de Léon X: Du rire dans le drame de la Réforme! Nous engageons ceux qui voudront écrire l'histoire de la ruine des maisons religieuses en France à lire attentivement ce chapitre. Les ennemis des couvents savaient, aussi bien que Luther, qu'aux yeux d'un peuple ignorant et frivole on a toujours raison quand on fait rire; donc, pour provoquer et alimenter le rire, ils recueillirent toutes les vieilles épigrammes qui avaient eu cours jusqu'alors contre les moines, et ils en composèrent de plus piquantes encore; ils se servirent de la caricature, cette arme de la lâcheté méchante, représentant les religieux sous les plus ridicules accoutrements, avec les physionomies les plus grotesques et dans les postures les plus ignominieuses. Ils n'ignoraient pas que parmi nous on a l'habitude de tout chansonner, le plaisir et la douleur, la vie et la mort,

le ciel et l'enfer, et qu'un grand nombre d'hommes et d'établissements célèbres de notre pays ont été tués par une chanson. Aussi se hâtèrent-ils de rimer les couplets les plus satiriques et de les propager dans le voisinage de tous les monastères. Le bouvier, le berger, le laboureur les fredonnèrent dans les champs; l'enfant les répéta sur la place publique; la fille et le jeune homme les redirent sans rougir au foyer domestique. Un soir d'un jour de noce ou de fête de village, un fermier qui convoitait un pré ou un champ de l'abbaye unissait sa voix avinée à celle de quelque matrone rubiconde et réjouie, et tous deux chantaient, aux applaudissements de la compagnie, la gourmandise et l'intempérance des capucins, des bernardins et des chartreux (1).

Dans les villes, le cloître calomnieusement exploité fournira aux théâtres publics les scènes les plus scandaleuses, tandis que dans les campagnes, à défaut de spectacles, on propagera, pour les longues soirées d'hiver, des contes orduriers où il ne sera question que d'intrigues, de rendez-vous, de rencontres infàmes, et les rieurs, comme bien vous pensez, ne seront pas pour le pauvre moine. Ainsi, des épigrammes, des caricatures, des chansons et des romans, voilà toutes les pièces du procès intenté aux cénobites du XVIIIe siècle; nous n'avons pas trouvé autre chose, ni dans l'école légère et moqueuse de Voltaire, ni dans celle plus sérieuse mais non moins injuste de Montesquieu (2). Morimond fut attaqué par ces armes déloyales comme tous les autres monastères, et il succomba avec eux.

Ainsi que nous l'avons dit, la solitude ne glaçait point le

(1) Nous avons parcouru quatre ou cinq Chansonniers imprimés de 1760 à 1789, et sur cent chansons il y en a de soixante à soixante-dix sur les moines. (2) OEuvres choisies de Volt., 2 vol. in-12 (1789), où l'on a recueilli tout ce qu'il a écrit de plus infâme sur la vie monastique; Montesquieu, Lettres persanes, in-12, p. 177, lettr. 57, Usbeck à Rhedi; -id., Esprit des Lois, in-12, t. 1, p. 83; t. 3, pp. 79, 121, 174, 211, 212, etc.

cœur des moines; ils aimaient souvent à confondre leur vie avec la vie des peuples qui les environnaient. Mais c'était surtout aux jours du deuil et du malheur qu'ils sortaient du cloître, pour mêler leurs larmes aux larmes des affligés, sous la chaumière comme au sein des palais.

Léopold Ier, duc de Lorraine, invita, à peu près à cette époque, l'abbé de Morimond à venir partager sa douleur, en assistant aux obsèques de son père, Charles V. Ce prince était mort au retour d'une expédition guerrière, à Velz, près de Lintz, en Autriche, et son corps était resté quelque temps déposé à Inspruck, dans l'église des jésuites, près de ceux des archiducs; mais son fils l'avait fait transporter à Nancy, dans l'église des pères cordeliers. Les funérailles, accompagnées de touchantes et magnifiques cérémonies, durèrent trois jours. Les chanoines réguliers de Prémontré officièrent le premier jour; les bénédictins, le deuxième; enfin, le troisième jour, sur les quatre heures du soir, l'abbé de Morimond, accompagné de quatre abbés de son ordre, commença les vêpres et les vigiles des morts, y officia pontificalement, de même que le lendemain à la messe, après laquelle il conduisit le corps à la chapelle ducale, où les pères cordeliers continuèrent leurs prières encore pendant quarante jours (1).

Cet abbé s'appelait D. Henri Duchesne ; il avait succédé à Nicolas de Chevigny vers l'an 1681. Etant mort en 1703, Louis XIV fit écrire aussitôt à nos moines qu'il leur donnait la permission de se réunir pour élire un abbé, et qu'il nommait l'intendant de Champagne pour assister, comme son commissaire, à l'élection. C'était à l'abbé de Cîteaux à fixer le jour de la cérémonie et à y présider, soit par lui-même soit par l'un de ses délégués.

(1) Archiv. de la Haute-Marne, cartt. 9 et 10; D. Calmet, Hist. ecclés. et civ. de Lorr., t. 3, p. 1338.

On commençait par la messe du Saint-Esprit, à laquelle tous les religieux communiaient; on se rendait ensuite à la salle capitulaire : là, le grand-chantre lisait à haute et intelligible voix le chapitre de la Règle de Saint-Benoît intitulé : Qualiter debeat esse abbas. Le président faisait un discours analogue à la circonstance, et entonnait ensuite le Veni Creator. Les religieux, ayant nommé trois scrutateurs, venaient alternativement déposer leurs bulletins dans un calice placé sur l'autel.

Le scrutin étant terminé, les scrutateurs se retiraient pour le dépouiller; en rentrant, l'un d'eux en proclamait le résultat par ces mots : Notre frère (un tel) a été élu abbé. On lisait plusieurs passages des bulles des Souverains-Pontifes sur le régime abbatial, et, la communauté ayant répondu : Deo gratias, le notaire ecclésiastique, recevant des mains du sacriste les clefs de l'église, les remettait au nouvel élu, en disant : De l'autorité apostolique à moi commise, je vous établis par la tradition de ces clefs au gouvernement de ce monastère de Morimond, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

Les religieux venaient les uns après les autres, suivant leur rang de profession, se mettre à genoux devant l'abbé, et, plaçant leurs mains jointes entre les siennes, disaient : Révérend père, je vous promets obéissance jusqu'à la mort, selon la Règle de Saint-Benoît. Il les relevait et les embrassait, en répétant à chacun Det tibi Deus vitam æternam; puis il entonnait le verset Adjutorium nostrum, ensuite le Te Deum, pendant lequel on allait à l'église. Enfin, le notaire publiait l'acte de la cérémonie, qui devait être signé par tous les religieux et par deux curés du voisinage servant de témoins.

Tout n'était pas fini : il fallait encore que l'abbé de Citeaux confirmât d'une manière spéciale la nomination et installât par lui-même ou par l'un de ses vicaires le nouvel abbé. Venait ensuite le brevet royal, portant que le roi, informé des

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