Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

mond, trahie par son premier abbé, abandonnée de ses meilleurs religieux, attaquée au dedans par ses propres enfants et au dehors par ses anciens bienfaiteurs eux-mêmes, semblait devoir trouver la mort dans son berceau; mais elle se releva, appuyée sur celui qui sait, quand il lui plaît, changer la faiblesse en force et les humiliations en gloire.

Saint Étienne, ayant appris la triste fin d'Arnould, en fut d'autant plus affligé qu'elle lui donnait les plus grandes inquiétudes sur le sort éternel d'une ame qui lui était bien chère ; il pleura sa mort comme un bon père pleure celle d'un fils ingrat; mais il fallait arrêter les suites d'un aussi déplorable scandale, soutenir les religieux qui restaient, ramener ceux qui étaient sortis. On sentait le besoin d'une main ferme et habile pour réparer ces désastres; le saint abbé de Citeaux partit donc aussitôt pour Morimond. Voulant auparavant se concerter avec l'homme de Dieu devenu l'oracle de son ordre et du monde, il passa par Clairvaux, d'où il emmena avec lui Gauthier, prieur de cette abbaye, homme d'une vertu consommée, formé pendant dix ans à l'école de saint Bernard (1).

Lorsqu'il entra dans le monastère désolé, il y fut témoin du spectacle le plus triste et le plus attendrissant: tous les religieux coururent à sa rencontre, en versant des larmes et en poussant des gémissements. Quelques-uns lui prenaient les mains et y collaient leurs lèvres ; d'autres baisaient sa coule et son froc; ceux qui l'avaient connu à Cîteaux se jetaient dans ses bras, se tenaient pendus à son cou; tous le saluaient en pleurant, comme leur sauveur. On n'entendait que des sanglots entrecoupés d'actions de grâces.

Enfin, le silence et le calme s'étant rétablis, le saint parla avec beaucoup de force et de douceur, glissa sur le passé avec

(1) Annal. cist., t. 1, p. 165: Virum sanctissimum et in schola Bernardi exercitatum per decem annos.

charité, et insista spécialement sur la nécessité de réorganiser la communauté et de réparer les brèches faites à la discipline monastique par une plus grande régularité, une vie plus fervente et plus mortifiée, une union plus étroite. Ensuite, lorsqu'il eut proposé Gauthier, son compagnon de voyage, pour abbé, il n'y eut qu'une voix pour approuver et proclamer cet heureux choix. Il l'installa donc solennellement, resta quelques semaines encore afin de consolider son œuvre, et, voyant refleurir l'ordre et la paix, il dit adieu à ces enfants chéris qu'il venait d'engendrer une seconde fois à Jésus-Christ, et reprit le chemin de Cîteaux (1).

Le nouvel abbé était un de ces douze religieux qui, sous la conduite de saint Bernard, étaient venus s'ensevelir dans la vallée d'Absinthe. Nommé prieur dès le commencement, il s'était acquitté de ses fonctions avec tant de supériorité, qu'il ne semblait point déplacé à côté de l'illustre abbé de Clairvaux. Les infirmités de ce dernier s'étant aggravées d'une manière alarmante, Guillaume de Champeaux avait exigé qu'il fût complètement déchargé de l'administration de la maison, et vécût dans une cellule isolée pendant un an. Durant tout ce temps, Gauthier avait gouverné seul toute la communauté, et su si bien la maintenir à sa hauteur première, que, selon les historiens, il eût fait oublier tout autre que S. Bernard (2). II prouva bientôt qu'il était au niveau de sa nouvelle posi

tion.

Le patron laïque de Morimond, comme nous l'avons vu, était animé des intentions les plus hostiles, et le départ d'Arnould n'avait fait que l'aigrir davantage. Gauthier, avec ce tact et cette connaissance du cœur humain qui le distinguaient éminemment, comprit qu'il ne pourrait fléchir ce caractère

(1) Annal. cist., t. 1, pp. 90 et 165. (2) Annal. cist., t. 1, pp. 90 et 165.

altier qu'à force de ménagements, de déférence et de douceur, et il finit par le dominer au point d'en obtenir la cession pleine et entière de tous les droits qu'il prétendait avoir sur l'abbaye.

Guillenc, de l'illustre maison d'Aigremont, occupait alors le siége de Langres (1). Ce prélat, ayant appris cet heureux changement, se hâta de convoquer à Morimond la noblesse du Bassigny, et s'y rendit lui-même avec tous les membres de son officialité : le notaire épiscopal, ayant rédigé la charte de fondation, dans laquelle étaient spécifiées l'une après l'autre les donations d'Odolric et d'Adeline, il la confirma de son autorité, la scella de son sceau et du sceau de chacun de ses archidiacres; ensuite, il fit jurer sur les Évangiles à tous les seigneurs présents qu'ils en observeraient les clauses et conditions, sous peine d'anathème et d'excommunication (2).

Désormais tranquille sur le soin des choses temporelles, voyant fleurir autour de lui toutes les vertus monastiques, Gauthier, semblable au bon Pasteur, oublia les brebis renfermées dans le bercail, pour ne songer qu'à celles qui étaient égarées dans les déserts lointains et exposées à la dent des loups. Ne pouvant aller lui-même les chercher et les ramener sur ses épaules, il ne cessait de les poursuivre partout, tantôt de ses douces et amicales invitations, tantôt de ses reproches et de ses menaces; mais, soit que les fugitifs fussent retenus par la honte de leur première démarche, soit que Dieu, pour les punir de leur trop longue désobéissance, eût endurci leurs cœurs, ils n'en continuaient pas moins de marcher avec une désolante obstination dans leurs voies perverses.

Alors il crut devoir en appeler à saint Étienne, le père de la

(1) D'autres le disent cousin ou frère d'Ebbe, comte de Saulx, et conséquemMangin, Hist. ecclés. de Langres, t. 2, p. 330.

ment de cette maison.

(2) Gall. Christ., int. Inst., t. 4, p. 159.

[ocr errors]

grande famille; celui-ci en référa au chapitre général qui devait se tenir cette année. Il y fut statué que si, dans un délai fixé, les rebelles n'étaient pas rentrés dans la maison dont ils étaient profès, ils seraient excommuniés; on pria saint Bernard de leur notifier cette décision capitulaire et d'essayer encore une fois de les ramener par la douceur (1). Le saint abbé, sachant que le retour d'Adam, s'il pouvait l'obtenir, serait bientôt suivi de celui de tous les autres, adressa à ce religieux une seconde lettre très-détaillée, dans laquelle il semble avoir épuisé toutes les ressources de sa charité et de son génie.

<< Par votre départ scandaleux vous avez, lui dit-il, blessé << la charité, troublé la paix, brisé l'unité; or, si quelqu'un « est en dehors de la charité, de la paix et de l'unité, que lui << reste-t-il dans le royaume du Christ et de Dieu? Mais vous « me répondez-Notre abbé nous a emmenés, nous ordon<< nant de le suivre; devions-nous désobéir? - Soit : enfants, << vous avez dû accompagner votre père; disciples, votre maî<< tre; soldats, votre chef; mais son autorité sur vous n'a pu << durer plus que sa vie. Maintenant que vous êtes assurés de << sa mort, qui vous empêche de prêter l'oreille, je ne dirai << pas à ma voix, mais à celle de notre Dieu vous disant par la << bouche de Jérémie : Celui qui est tombé ne se relèvera-t-il plus? ou Celui qui était égaré ne se retrouvera-t-il jamais? <<< Est-il encore nécessaire d'obéir à un mort? Vous ne croyez <<< pas que les liens qui attachent les moines à leur abbé soient « plus forts et plus indissolubles que ceux qui unissent les « époux entre eux; or, cependant, l'Apôtre affirme que la « femme est dégagée de ses serments par la mort de son mari; << et vous, vous penseriez être liés envers un abbé qui a cessé « de vivre!

(1) Annal. cist., t. 1, p. 165.

« Je vous ai parlé de la sorte, non que je pense que vous << ayeż jamais dû lui obéir ou que votre soumission aveugle << ait été une véritable obéissance, car nous ne devons pas obéir «< à ceux qui nous commandent le mal, parce que ce serait dé« sobéir à Dieu qui nous défend toute action mauvaise. Quoi! << Dieu m'interdit ce que l'homme me prescrit, et j'écouterais « l'homme, sourd à la voix de Dieu ! Les apôtres n'ont point agi ainsi ; ils nous crient du fond de leurs tombeaux : Il « vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes !.....

<< D'après les maximes des anciens, dans le conflit de deux « autorités, c'est à la plus élevée qu'il faut se soumettre; or, <«<l'abbé de Cîteaux était le supérieur d'Arnould, comme le «< père est le supérieur de son fils, le maître de son disciple et << l'abbé d'un simple moine, et vous avez foulé aux pieds sa ju<< ridiction, ainsi qu'il s'en plaint avec raison. Vous avez mé« prisé l'évêque de Langres, dont vous n'avez pas attendu le «< consentement. Peut-être m'opposerez-vous l'autorité du « pontife romain, dont vous auriez obtenu, dit-on, l'approba<«<tion. Quoi qu'il en soit, le prêtre éternel, celui qui est entré <<< seul et une seule fois dans le saint des saints pour y consom<<mer, par son propre sang, la rédemption du monde, mena«ce d'une voix terrible quiconque scandalisera un des plus << petits enfants. Or, il est certain que vous avez scandalisé << une grande multitude d'ames, en préférant le commande«ment de l'homme au commandement de Dieu. Le pape lui«< même, quelque grande que soit son autorité, ne peut faire « que ce qui est mal de soi cesse de l'être et se change en « bien ; je ne croirai jamais que le successeur de Pierre ait << donné les mains à votre projet, à moins que vous ne l'ayez << surpris par vos mensonges ou vaincu par votre importunité; << autrement, il faudrait dire qu'il vous aurait accordé, je ne << dirai pas la permission, mais la licence de semer partout le

« ZurückWeiter »