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« scandale, de susciter des schismes, de contrister vos amis, << de troubler la paix de l'Église, de rompre l'unité, et par<< dessus tout de mépriser votre évêque.

<< Maintenant, j'en appelle à votre conscience: Êtes-vous « parti de votre propre mouvement, ou malgré vous ? Dans le << premier cas, ce n'est donc pas par obéissance; dans le se<< cond, vous deviez avoir pour suspect un commandement <«< auquel il vous répugnait de vous soumettre. Comment n'a« vous pas été épouvanté de cette menace tombant du ciel «< comme la foudre : Malheur à celui par qui le scandale ar« rive! Cette parole si forte, si puissante, qui a fait lever les << morts de leurs sépulcres, tiré les ames des enfers, uni la << terre au ciel ; qui a retenti dans tout l'univers, n'a pu péné« trer jusqu'à votre cœur endurci, ni réveiller votre ame en« dormie ! C'est le sang de Jésus-Christ même, ô frère Adam! « qui élève sa voix en faveur des moines pieusement rassem<< blés dans le cloître, contre les impies perturbateurs! Si vous « êtes insensible à ses gémissements, il n'en sera pas de même << de celui qui l'a laissé couler de son sein entr'ouvert; car « comment n'entendrait-il pas la voix de son propre sang, lui << qui a entendu la voix du sang d'Abel!

«Ne m'objectez plus que, simple disciple, vous étiez là pour << apprendre et non pour enseigner, pour suivre et non pour précéder votre maître! O le plus obéissant de tous les moi<«< nes! qui ne laisse pas perdre un seul iota de tout ce qui tom<< be des lèvres de son supérieur! qui ne fait attention qu'au «< commandement et non à la chose commandée! dites moi, « je vous prie, s'il eût armé votre main d'un glaive et vous eût << ordonné de l'enfoncer dans sa gorge, est-ce que vous y au<< riez consenti? S'il vous eût enjoint de le précipiter dans le «feu ou dans l'eau, est-ce que vous auriez obéi? Non, évi<<< demment ; vous auriez reculé devant un pareil crime. Eh

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<< bien ! en favorisant sa fuite scandaleuse, en l'accompagnant, << vous vous êtes rendu plus coupable: votre obéissance a été << pire qu'un homicide!...

« Je n'en dirai pas plus, car vous n'avez pas besoin de longs « discours, vous qui avez l'esprit si prompt à saisir et la vo<«<lonté si ardente à choisir. Quoique cette lettre vous soit << adressée spécialement, je ne l'ai point écrite pour vous seul, <«< mais encore pour ceux auxquels Dieu a prévu qu'elle était << nécessaire. Je finis, en vous priant de songer au danger af<«< freux qui vous menace, et de ne pas tenir plus longtemps << dans une si cruelle incertitude tant d'ames qui vous regret<< tent et vous désirent. Vous avez dans votre main le sort de << ceux qui sont avec vous: je pense qu'ils feront tout ce que vous << ferez ou tout ce que vous voudrez; autrement, dénoncez-leur << ouvertement la sentence redoutable prononcée contre eux << par le chapitre de tous nos abbés: A ceux qui reviendront, « la vie; à ceux qui resteront, la mort! » (1).

Cette lettre, dont nous avons reproduit seulement les parties les plus saillantes, est une des plus longues, des plus éloquentes, des plus pathétiques et en même temps des plus logiques de celles qui sont sorties de l'ame et de la plume de saint Bernard; elle brisa l'obstination des fugitifs. La chronique de Morimond raconte qu'Adam et ses compagnons, tremblant de voir la foudre dont on les avait menacés éclater sur leurs têtes et de nouveaux abîmes s'ouvrir sous leurs pas, reprirent le chemin de la solitude qu'ils avaient désertée (2). Ainsi Arnould, qui aurait dû les précéder dans leur retour, comme il les avait précédés dans leur fuite, fut le seul qui ait persisté dans son opiniâtreté et qui soit mort sur une terre étrangère, hors de son ordre et de sa profession; nul de ses religieux ne resta pour

(1) Epist. 7.

(2) Tabul. Morim., p. 13.

prier et pleurer sur sa tombe. Sans doute on doit lui pardonner beaucoup, à cause de ses qualités et de ses grands services; mais jamais sa mémoire n'a brillé pure, ni dans l'Église, ni dans le cloître, et son buste, dans la galerie de Morimond, a toujours paru couvert d'un voile funèbre (1).

CHAPITRE VIII.

De l'hospitalité à Morimond; arrivée du jeune Othon d'Autriche
et de ses compagnons.

Semblables à la fleur odorante qui embaume dans la vallée tout ce qui croît autour d'elle, les saints répandent le parfum de leurs vertus sur ceux qui les approchent; ainsi les bénédictions célestes dont l'ame de saint Bernard était remplie semblaient s'être déversées en partie sur l'ancien prieur de Clairvaux. Sous son administration tout marche, se développe et grandit avec tant de rapidité et d'éclat, qu'on doit dire que c'est à lui que commence l'ère héroïque, le cycle glorieux de Morimond.

A cette époque, il y avait une multitude de malheureuses victimes du despotisme des rois ou de la violence tyrannique des petits seigneurs, qui se sauvaient pour se soustraire aux plus affreux supplices et à la mort; des pèlerins de toutes les parties de l'Europe cheminaient vers les lieux saints, en ré

(1) Mangin, Hist. ecclés. du diocèse de Langres, t. 2, p. 269.

citant les Psaumes de la pénitence; des chevaliers erraient de province en province, cherchant des tournois et des aventures ; des religieux, des prêtres et des évêques, au moment des chapitres, des synodes et des conciles, étaient forcés de traverser des espaces immenses; il n'y avait en occident que deux ou trois grandes écoles, où les écoliers se rendaient des contrées les plus lointaines.

Les voyages alors ne se faisaient point, comme aujourd'hui, en poste et sur les ailes de la vapeur; mais ils présentaient des embarras et des dangers sans nombre : point de routes nivelées et entretenues, presque point de ponts sur les rivières et sur les fleuves; de sombres forêts, où des chemins boueux étaient sillonnés de profondes ornières semblables à des précipices; des villages très-éloignés les uns des autres.

Où le pauvre pèlerin attardé, épuisé de faim et de fatigue, ira-t-il demander un gîte et du pain? Sera-ce au manoir? Il s'en gardera bien; il sait qu'en certain pays tout étranger qui cherche un asile, comme tout vaisseau qui brise au rivage, appartient au seigneur : il a l'aubaine et le bris. Descendrat-il à une hôtellerie? Il n'en existe point, surtout dans les campagnes. Posera-t-il sa tente au milieu des champs et à l'abri des grands arbres? Mais il risque d'être surpris par les bandes vagabondes qui traversent le pays en tous sens, ou dévalisé par les voleurs qui infestent les bois (1). Il ne lui reste donc que le monastère. C'est là qu'il retrouvera une famille, un foyer ami, toute la bienveillance, la charité et les sympathies de l'hospitalité chrétienne.

Ainsi que nous l'avons fait remarquer, l'abbaye de Morimond était placée sur le passage des peuples, au confluent des races, sur la lisière des forêts du versant occidental des

(1) Vie de saint Etienne, p. 11, trad., 1846.

Vosges, à l'entrée d'une vaste et profonde vallée débouchant d'un côté sur la Lorraine et de l'autre sur la Champagne, la Bourgogne et le centre de la France. C'était une grande hôtellerie dont l'abbé était le maître, avec les religieux et les convers pour serviteurs et pour valets. Les moines étaient moitié allemands, moitié français, afin que les étrangers, soit qu'ils vinssent du midi ou du nord, pussent entendre et parler la langue de leur pays.

Aussi le nombre des voyageurs qui arrivaient de toutes parts fut bientôt si considérable, qu'il fallut songer à agrandir la celle des hôtes; car on ne refusait jamais l'hospitalité pour une nuit, ni aux piétons, ni aux cavaliers qui la demandaient (1). Quelquefois ils ne descendaient pas jusqu'au monastère, mais ils s'arrêtaient aux granges qui étaient comme les gardes avancées de la charité monastique, lorsqu'ils craignaient d'interrompre le court sommeil des religieux et de troubler le silence solennel du cloître. C'est pourquoi chaque grange avait un frère hospitalier; une lampe y brûlait toute la nuit, comme pour servir de fanal au voyageur égaré dans les ténèbres et ranimer son courage (2).

Les phalanstériens nous tracent des tableaux séduisants de la manière dont les hommes voyageront dans la société harmonique. Partout les voyageurs et les colonies seront reçus au son des instruments de musique, par trente chœurs de jeunes vierges et de jeunes gens (3); des fêtes splendides seront célébrées à l'occasion de leur arrivée et de leur départ. Tout cela est magnifique dans les colonnes d'un journal ou dans les pages d'un roman; mais jamais les socialistes n'ont rêvé une

(1) Tabul. Morim., c. 13; — Lib. Us., c. 128.

(2) Annal. cist., t. 2, p. 50; (3) Four., Traité d'assoc., cc. 33 et 34.

Regul. S. Benedic., c. 53.

t. 2, pp. 486 et suiv.; - Cabet, Voy. en Icarie,

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